Rarement le BAL, lieu d’exposition dédié à l’image-document qui fête en 2015 ces cinq ans d’existence, aura accueilli exposition aussi feutrée que celle de l’artiste canadien Mark Lewis. Ce silence, le spectateur le pressent avant même de pénétrer dans la première salle, dont les portes habituellement ouvertes sur la librairie et la billetterie sont ici closes.
Une fois entré le calme règne, amplifié par l’obscurité et les œuvres présentées. Car si les vidéos de Mark Lewis, réalisées entre 1998 et 2014, abordent des thèmes différents et sont projetées aux murs selon des tailles variables, elles partagent quelques points communs : sans bandes sonores (mis à part The Pitch, dans lequel Lewis s’adresse à la caméra), empreintes d’une certaine lenteur, toutes sont tournées en un plan-séquence et débutent par un plan fixe. Le plus souvent, c’est la caméra qui rompt l’immobilité et se met en branle en travelling, survolant des montagnes pour se concentrer sur un ancien château fortifié dans Forte ! (2010), auscultant un terrain de foot et ses alentours dans Hendon F.C. (2009), élargissant le champ de Lewis à une foule dans The Pitch (1998), ou tournant autour d’une autoroute surélevée investie par les cyclistes et les promeneurs dans Above and Below the Minhocão (réalisée à Sao Paulo en 2014, l’œuvre donne son titre à l’exposition).
Mais parfois, le plan fixe demeure et c’est alors ce qui est filmé qui s’anime : tandis que dans Cold Morning un sans-abri range sur un trottoir ses affaires, dans Cigarette Smoker at the Café Grazynka Warsaw (2010) un vieil homme attablé fume tranquillement en buvant une bière. Ce qui relierait l’ensemble de ces travaux serait peut-être, au-delà de la banalité des sujets – paysages ruraux ou urbains, scènes de la vie quotidienne –, une temporalité à la lenteur particulière. Serein pour Hendon F.C. et Above and Below the Minhocão, à l’amplitude vertigineuse pour Forte !, ce temps se révèle progressivement crispant jusqu’à l’angoisse dans Cold Morning – le rythme soulignant le froid qui engourdit le sans-abri – et Cigarette Smoker at the Café Grazynka Warsaw – le vieil homme ayant la tête littéralement écrasée par une étagère.
Dans cet ensemble, The Pitch apparaît comme un manifeste possible. Unique œuvre sonore de l’exposition (audible par un seul casque), elle filme l’artiste lisant un texte sur les figurants et révèle progressivement un groupe de personnes qu’on suppose être des usagers dans un hall de gare. Au fil du zoom-arrière, le texte lu par Lewis résonne étrangement avec le propos de The Pitch, ainsi qu’avec l’ensemble des œuvres réunies. Soulignant que « la spécificité du figurant au cinéma tient à ce qu’il est à la fois présent et absent » et émettant l’hypothèse selon laquelle ils constituent « le prolétariat silencieux du cinéma », Mark Lewis invite à regarder avec d’autant plus d’attention toutes les figures qui traversent ses films, soient-elles fugitives ou filmées en gros plan.