Au début, il y a un livre. Un essai, qui balance entre autobiographie et théorie critique. Signé en 2009 par Didier Eribon, Retour à Reims désigne celui du sociologue et universitaire dans la maison familiale et les retrouvailles avec sa mère. Effectuées alors que son père, atteint d’Alzheimer vit en institution spécialisée, prolongées après la mort de ce dernier, elles vont amener le fils à se pencher à travers son histoire et ses origines ouvrières sur différents mécanismes de domination.
C’est ce parcours en plusieurs étapes que Laurent Hatat transpose au théâtre avec les deux comédiens Antoine Mathieu et Sylvie Debrun. Sur un plateau occupé seulement de chaises, d’une table et de deux caisses d’où sortiront les couverts pour le repas échangé ou les photos de famille autour desquelles se noueront les conversations, la mère et le fils échangent. Dans un jeu tout en retenue et se défiant du naturalisme, les discussions se succèdent, des récits de la mère sur son enfance à ses confidences quant à l’absence d’amour pour son époux, en passant par son incompréhension du rejet de son fils.
Un dialogue intime, subtilement interprété, où les réponses de Didier Eribon sont l’occasion d’un rigoureux travail d’introspection, mettant patiemment à jour son évolution sociale et les diverses hontes qui y sont liées. Didier Eribon en vient ainsi à s’interroger « Pourquoi, moi qui ai tant écrit sur le mécanisme de la domination, n’ai-je jamais écrit sur la domination sociale ? » Cette question pivot du choix de s’intéresser à l’oppression sexuelle plutôt qu’aux luttes de classe structure tout le spectacle. C’est par elle que le fils homosexuel analyse précisément la honte sociale qui l’a miné, ainsi que le chemin parcouru par sa famille du vote communiste vers le Front national.
Mis en scène dans une forme épurée toute au service de l’examen attentif auquel se livre le narrateur, Retour à Reims nomme de façon implacable certaines raisons de ce basculement – et avec elles, des champs de luttes possibles : disparition de la classe ouvrière du radar social et donc du sentiment d’appartenance à un groupe constitué, extinction de la nécessité de l’action collective.
Un souffle vivant.
Dans la solennité
d’une pensée
fugitive la fête
du soleil retrouve
la jeunesse et
le chant d’un
oiseau qui cherche
l’harmonie.
Francesco Sinibaldi
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