Lorsque Zeev Sternhell, professeur de sciences politiques à l’université
de Jérusalem, publie Ni droite ni gauche. L’idéologie fasciste en France en
1983, il déclenche une polémique toujours vivace aujourd’hui. Dans
cet ouvrage, il démontre que le fascisme n’a pas épargné la France,
qu’il n’est pas apparu au sortir de la Première Guerre mondiale en
Italie ou en Allemagne. Sa base idéologique provient d’une sorte
d’avant-garde protofasciste issue de certains courants intellectuels
émergeant dès la fin du xixe siècle en France. Le fascisme serait issu de
la conjonction d’une droite réactionnaire antidémocratique et, c’est là
l’apport de l’auteur, d’une gauche révolutionnaire refusant la démocratie
libérale, les valeurs bourgeoises, le socialisme parlementaire tout
en s’éloignant des idées marxistes, en particulier celle voulant que le
prolétariat génère la révolution. Cette gauche serait issue d’un mouvement
national refusant le matérialisme et les valeurs des Lumières. En
s’appuyant sur un impressionnant travail de consultation d’archives et
d’exhumation de citations, il désigne la France des années 1880-1930
comme terreau idéologique du fascisme qui, à force d’infuser la société,
a permis la mise en place sans révolte excessive de la Révolution
nationale de Pétain en 1940. Grosse polémique. L’imposant travail et
l’énorme érudition de Sternhell sont partout reconnus, mais sa méthodologie
heurte nombre d’historiens. Car il éclaire ces idées naissant à
la fin du xixe siècle à l’aulne d’un mouvement qui n’émergera que dans
les années 1930 et non à la lumière de leurs conditions de production
historique. Sternhell raccroche par anticipation la pensée de ceux
qu’il nomme protofascistes à un courant politique que certains ne
suivront pas, que d’autres ne connaîtront même pas. L’autre problème
majeur vient de la définition même du fascisme. Selon qu’on le tienne
pour une idéologie, un mouvement, un régime ou strictement pour
la période mussolinienne, ce qui est alors considéré comme fasciste
varie considérablement. Sternhell, en concevant le fascisme comme
l’application d’une idéologie, gomme presque totalement l’importance
des conditions sociales dans l’apparition des autoritarismes des
années 1930. Il dénonce les critiques qui lui sont adressées comme
des prétextes pour refuser de considérer la période pétainiste comme
autre chose qu’une parenthèse historique imposée par une invasion
extérieure. Le problème reste donc entier dans le milieu relativement
courtois de la recherche historique.
Ni droite ni gauche : L’idéologie fasciste en France, de Zeev Sternhell,
éd. Gallimard, 2013, 1075 pages, 14,50€.