De quoi s’agit-il ? Vendredi dernier se tenait à Saint-Denis un meeting "pour une politique de paix, de justice et de dignité". Qui appelait ? Le collectif contre l’islamophobie, qui avait invité plusieurs associations, dont la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature, ainsi que le Monde diplomatique. À ce meeting, il se trouve que participait le très controversé Tariq Ramadan. Clémentine Autain n’était pas à ce meeting et le mouvement Ensemble, dont elle est la porte-parole, ne faisait pas partie des appelants. Mais cette organisation composante du Front de gauche avait décidé de relayer sur son site l’annonce de la rencontre.
À partir de là, c’est le déchaînement. Le Figaro a lancé la ronde aussitôt, suivi de près par Causeur. Caroline Fourest, comme on pouvait s’y attendre, y est allé de son couplet virulent habituel. Julien Dray a enchaîné sur son tweet : on ne peut pas « mesurer l’effet Autain, mais il y en a eu un ». Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, a vitupéré « l’offensive antirépublicaine menée par Tariq Ramadan (…) avec le concours ou la bienveillance de certaines organisations d’extrême gauche ». Frédéric Haziza, écoutant les débats post-électoraux de dimanche soir, a eu une révélation : en entendant parler Clémentine Autain, dit-il, « j’ai reconnu le parler, la rhétorique et aussi les critiques de son ami Tariq Ramadan ».
Intelligence avec l’ennemi
Restons-en là. Clémentine Autain n’est pas là, n’appelle pas, mais elle est coupable d’intelligence avec l’ennemi. Nous sommes en état de guerre et, en guerre, il n’y a que trois postures possibles : on est du côté des patriotes, du côté de l’ennemi ou on appartient à la "cinquième colonne". Les héros, les traîtres et les "idiots utiles"...
Claude Bartolone a pourri sa dernière semaine de campagne avec la polémique sur la « race blanche ». Jusqu’au jour du vote, la presse, pour l’essentiel, n’a pas parlé du meeting de Saint-Denis ou de Clémentine Autain, mais des « dérapages » du candidat socialiste. Au lieu de mobiliser la gauche, il a ainsi contribué à tirer vers le vote Pécresse – cas unique sur tout le territoire métropolitain – les quelques pourcentages d’électeurs FN qui ont assuré la victoire de la droite. Et malgré cela, l’opprobre de l’échec ne se porte pas sur lui, mais sur l’une de ses colistières.
Or il y a une logique dans l’attitude des amis de Claude Bartolone. Comme des millions de téléspectateurs, j’ai écouté dimanche soir l’intervention du premier ministre. Avec stupéfaction. Manuel Valls nous a bien sûr joué le grand air républicain. Sauf que ses premières considérations n’ont pas porté sur la "Sociale" ou sur les droits, mais sur la sécurité et l’amour du drapeau. Notre société crève de déficit d’égalité, de citoyenneté et de solidarité. Mais le premier ministre a fait sur le registre de l’ordre et de l’autorité. Comme s’il ne s’adressait pas à la gauche, mais à la droite, et pas à la plus mesurée. Disons-le d’une autre manière : au soir du second tour, le cœur du pouvoir a choisi le répertoire de l’identité et de l’état de guerre. Or c’est ce répertoire qui, depuis des années, fait les beaux jours de l’extrême droite européenne.
Une gauche battue
Ne nous y trompons donc pas. Derrière le flot de vitupérations contre Clémentine Autain, au-delà de la piteuse tentative pour dédouaner les responsables de la débâcle, il y a le choix d’une stratégie, décidée dès la fin 2012 et confirmée depuis. Le modèle social-libéral, c’est en France comme ailleurs le mariage de la compétitivité concurrentielle assumée, de la gouvernance technocratique institutionnalisée, de la mise au travail par le précariat et de l’ordre sécuritaire. François Hollande chef de guerre, Manuel Valls garant de la sécurité : les images ne sont pas choisies au hasard. Elles sont à terme catastrophiques.
Je suis désolé de le dire mais, quoi que l’on puisse penser de Tariq Ramadan, c’est le choix de la logique gouvernementale qui met la gauche au tapis. Si quelque chose fait le lit du Front national, c’est bien cette politique. Oui, seule une gauche rassemblée peut battre la droite. Mais une gauche qui tourne le dos à ses valeurs fondatrices (égalité, citoyenneté, solidarité) ne peut pas se rassembler, elle ne peut pas unifier un peuple écartelé, elle ne peut pas contenir le ressentiment qui nourrit l’abstention et le vote FN. La gauche telle qu’en rêve le pouvoir en place est donc une gauche battue.
Tout le reste est littérature.
Lire aussi la réponse de Clémentine Autain, "La réalité de mes combats".
Claude Bartolone n’a pas encaissé l’article de regard sur lui qui le dépeignait comme "le parrain du 93" , le fossoyeur des villes communistes.... et, comme il ne peut accepter sa défaite, due essentiellement au fait que le PS tourne le dos aux combats de gauche contre le chômage et les inégalités, il a trouvé un bouc émissaire en Clémentine. Du même coup, il s’exonère de sa propre responsabilité de désespérer la gauche et de tacler ceux qui à gauche de la gauche prône l’émancipation humaine.
Je suis atterrée du résultat des régionales, 1er et second tour : plus d’opposition de gauche dans 2 grandes régions historiquement de gauche ! Une poignée d’élus dans le reste de France de la gauche de la gauche et des centaines d’élus pour le FN !!! Mais, j’avoue que la claque dans la goeule de ce cacique du PS me fait relativement plaisir, même si je redoute Pécresse et ses cohortes de militants anti mariage pour tous ! Barto, en plus, n’était pas obligé d’en rajouter avec son buzz sur Pécresse et la race blanche ! Mais il aime tellement les caméras et les micros, qu’il en oublie de faire marcher ses neurones !
Torreton et Filoche ont raison dans leur expression dans l’huma : quand on tourne le dos aux vrais combat de gauche, la désespérance croit, l’abstentionnisme devient un choix politique, et le vote FN de plus en plus un vote d’adhésion.
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