Trois médias, dont Regards, ont demandé à Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon de débattre publiquement. Le texte de compromis, appel diffusé sur l’ensemble des trois médias contient une phrase que, personnellement, je ne partage pas : elle affirme que les deux hommes porteraient une responsabilité énorme s’ils concouraient séparément à la présidentielle. Mais l’essentiel du communiqué est dans cette autre affirmation, que je fais mienne, selon laquelle ils se doivent de dire de façon claire, soit comment ils peuvent s’unir, soit pourquoi ils ne peuvent pas le faire.
Je tiens pour ma part qu’ils devraient s’y atteler, pour une raison toute simple : une majorité d’électeurs de gauche rêve d’une gauche rassemblée, pour battre la droite et, plus encore, l’extrême droite. Ou bien on pense qu’il est possible d’accéder à cette demande et il faut énoncer les conditions qui lui permettent de se réaliser. Ou bien on considère qu’elle n’est pas de saison et il faut montrer les raisons profondes de cette impossibilité. Dans tous les cas, la gauche française a le droit de savoir ; et pour que les choses soient loyalement exprimées, autant le faire en face-à-face.
Mathématique et politique
Ce préalable étant énoncé, entrons dans le vif du débat. Je considère que, dans l’état actuel, un accord de premier tour, entre la logique Hamon et la logique Mélenchon, relèverait d’un faux-semblant, dont le prix à payer pourrait être redoutable.
Il est vrai que ces élections se déroulent dans un climat inédit de crise politique et d’éparpillement du paysage politique français. La droite est allée de l’avant, mais est perturbée par la forte poussée du Front national. La gauche, elle, a été désorientée et même désespérée. Ce n’est pas l’affaire d’une élection, ni même d’un quinquennat. La fragilisation de la gauche trouve sa racine dans le tournant qui, à partir de 1982-1983, conduit la force majoritaire à gauche – le Parti socialiste – à choisir de s’adapter aux contraintes présumées de la mondialisation.
Dans le marasme politique actuel, une force qui regroupe entre un cinquième et un quart de l’électorat au premier tour de la présidentielle peut certes espérer accéder au second. Mathématiquement, le total des intentions de vote Jadot-Hamon-Mélenchon laisse espérer que cet objectif peut être atteint. Admettons – ce qui est loin d’être sûr – que la mathématique rejoigne la politique et que les intentions de vote s’additionnent vraiment. Un candidat ou une candidate du bloc ainsi délimité pourrait franchir l’obstacle du premier tour et, face à Marine Le Pen, pourrait sur le papier être élu(e) au second tour.
Qui peut croire, avec une si faible base électorale, que pourrait s’appliquer une politique en rupture avec tout ce qui s’est fait depuis plus de trois décennies ? Et comment la gauche pourrait-elle convaincre, au pouvoir, en contournant l’exigence de cette rupture ?
Méthode de l’entre-deux
Poursuivons le raisonnement. Ce qui relance conjoncturellement l’espérance à gauche, c’est l’abandon de François Hollande et la défaite de Manuel Valls à la primaire du PS. Voilà un fait qui ne peut cas être sous-estimé. Il pourra s’avérer décisif pour l’avenir à long terme de la gauche française. Mais s’il ne faut pas le négliger, il ne serait pas plus raisonnable d’en surestimer la portée. Benoît Hamon, à ce jour, n’a pas pris de distance avec l’évolution longue du PS. Son droit d’inventaire s’applique à la gestion Valls ; pas à la totalité de la gestion Hollande et, a fortiori, pas à celle de leurs prédécesseurs. Suffirait-il de revenir à 2012 et à la tonalité un peu plus à gauche du discours du Bourget ? Ce ne serait ni raisonnable ni responsable.
Le problème tient-il seulement aux intentions formelles de Benoît Hamon ? Il l’a emporté sur la base du rejet de Valls : cela en fait désormais candidat officiel de tous les socialistes. Or beaucoup parmi eux, à l’image de Jean-Marie Le Guen, expliquent d’ores et déjà qu’il est un candidat « radicalisé ». S’il pousse un peu trop loin sa critique globale du quinquennat, il court le risque de reporter une part plus grande encore des responsables et militants attachés aux choix gouvernementaux vers Emmanuel Macron. Est-il prêt à le faire ? Est-il prêt à l’exprimer dans la tonalité globale des futures candidatures socialistes aux législatives ?
Pour l’instant, on est loin du compte, dans la parole officielle et dans le profil prévisible d’une majorité à venir. Si, parce qu’il ne peut pas faire autrement, B. Hamon ne tranche pas entre rupture et compromis, il reste dans la vieille méthode de l’entre-deux. Or elle a épuisé la gauche française à plusieurs reprises ; elle lui interdit de reprendre l’offensive, de percer électoralement et, surtout, de réussir l’épreuve du pouvoir.
Pour régler le problème suffit-il de mettre par écrit les bases d’un accord bien à gauche ? Une charte ou un pacte ? Ils n’ont pas manqué dans le passé. En 2001, communistes et socialistes ont signé un accord politique solidement à gauche, pour les deux dernières années du gouvernement Jospin. Il n’a pas empêché un recentrage de l’action gouvernementale, entre 2000 et 2002, avec les conséquences politiques que l’on sait. En 2012, encore, écologistes et socialistes ont adopté un catalogue commun de mesures environnementales, base de la participation gouvernementale d’EE-LV : combien ont été appliquées ? Et là encore, à quel prix ?
La dispute nécessaire
Pour rassembler le peuple, il faut en passer par un rassemblement de la gauche. Mais pour promouvoir l’égalité et la souveraineté populaire, ce rassemblement ne sert pas à grand-chose, s’il ne se construit pas sur un projet et sur une méthode de rupture avec les logiques délétères de la concurrence et de la gouvernance. Ce n’est pas alors affaire de texte, mais de volonté, de cohérence, de méthode d’action, et pas seulement gouvernementale. Et, de plus, c’est affaire d’équilibre au sein de la gauche elle-même.
La débâcle de Hollande et de Valls ouvre la porte de la reconstruction pour une gauche bien à gauche. Mais convenons qu’il y a aujourd’hui deux manières d’y parvenir. Mélenchon incarne un esprit de rupture, construit sur un long parcours, partagé avec beaucoup d’autres au fil des combats européens et nationaux. Hamon incarne un entre-deux, prometteur sans doute, préférable à la dérive sociale-libérale, mais qui reste du domaine du discours et qui hésite à aller jusqu’au bout de la rupture.
L’essentiel, pour la gauche d’aujourd’hui et de demain, est de dire lequel de ces états d’esprit est le plus propulsif, pour mettre fin à la pression d’une droite de plus en plus radicalisée. Jean-Marie Le Guen redoute un excès de radicalité à gauche ? Il faut lui dire, de façon massive, que le réalisme n’est pas dans la soumission, ni à l’esprit de concurrence, ni à la tentation technocratique, ni aux sirènes de l’état de guerre. Selon la réponse donnée par les citoyens, la gauche se redressera ; ou alors, elle sera réduite à compter sur les seuls faux-pas d’une droite classique bien à droite. Au risque de laisser la mise finale au Front national. La gauche, en fait, n’a plus droit à l’échec, dans les urnes et au gouvernement.
On conviendra que ce débat n’est pas de mince importance. Il ne servirait à rien de nourrir l’espoir d’une gauche immédiatement rassemblée, pour faire ensuite porter la responsabilité de la désunion sur tel ou tel. Ce petit jeu n’est pas à la hauteur des enjeux. Mais la dispute nécessaire à l’intérieur de la gauche, n’est pas le combat contre la droite. Elle peut se mener, sans faux-semblants, sans calculs boutiquiers, sans hargne et sans dissimulation. La gauche française le vaut bien. Offrons-lui ce débat.
La fin de l’histoire et le début d’une autre !
Au delà du destin personnel de Benoît Hamon, son passif de pur apparatchik et celui de ses amiEs, la Pasokisation du PS est en marche, elle est inéluctable, l’hallali est maintenant sonné, il peut se prolonger, la bête souffrira davantage. Un pronostic analogue sans risque d’erreur peut être appliqué au PCF parvenu au stade terminal de PDSisation à l’italienne.
Nous sortons touTEs de cette histoire de la gauche occidentale éreintéEs, par les compromissions social-démocrates insupportables et avec encore sur les épaules les gravats du mur de Berlin. Certaines gauches veulent continuer à jouer cette partie de la grande démocratie électorale et ses multiples combinaisons censées ralentir leurs grands effondrements sectaires ou opportunistes. Les campagnes électorales les passionnent encore après des décennies d’espoirs déçus, c’est leur seul et unique horizon, une forme de soumission totale et une légitimation morbide des formes de représentations imposées par l’ordre bourgeois, à son seul service.
L’ éparpillement des forces des gauches a de profondes racines, elles sont largement documentées, il n’est pas utile d’en établir l’exégèse maintenant pour dire comment s’en sortir. Il nous interpelle car ceux qui ont le privilège de savoir ont le devoir d’agir.
Un « nous » est à reconstruire sur la disparition du vieux monde social-démocrate et « communiste » et leurs scories, en faisant le lien avec toutes les tentatives d’émancipation qui sourdent et qui se diffusent depuis des années, sous les écrans radar des scènes médiatico-politico-électorales. Certaines sont bien repérées dans le mouvement social, d’autres ne se prêtent pas aux anciennes grilles de lecture et peuvent se manifester parfois là où on ne les attend pas, dans le chaos du monde et la confusion qu’il génère.
Penser les « récupérer » ou les canaliser dans des combinaisons électorales les mieux élaborées est vain, c’est regarder cette nouvelle génération de radicalités avec ces vieilles lunettes qui rendent aveugles. Celles qui empêchent de comprendre les expressions de la violence ouvrière comme celle des banlieues, les Zad, mais aussi la candidate voilée du NPA, les bonnets rouges, celles qui empêchent de comprendre ce que produit le désespoir des humiliéEs, dans les quartiers de relégation comme dans les zones rurales abandonnées, la rage qui les submerge et d’où émerge des succès du FN, des engagés dans le djihad, et partout ailleurs les phénomènes Trump, le Brexit, etc.
« ...au vu des enjeux colossaux de notre époque et de la trajectoire probable des sociétés contemporaines, me semblent considérables et proprement historiques... » Il nous incombe donc de nous refonder aussi et de discuter des moyens de réaliser ce nouveau creuset, une politique vivante capable de donner envies et espérances, celles qui peuvent déplacer des montagnes. La prétention des partisanEs de jlm2017 d’imposer les conceptions de leur leader par l’injonction, la violence verbale et parfois l’insulte pose un réel problème politique qui éclaire également cette discussion.
Il est illusoire de prétendre parachuter cette unité, cette construction d’un « nous » par la soumission à une énième aventure électorale, et les combinaisons qu’elle induit. Le nouvel argument de la percée du FN n’est pas suffisant si on souhaite s’affliger des conséquences sans analyser les causes et enrayer les mécanismes qui font son succès : les atermoiement avec la fausse gauche mondialiste. C’est proposer un fantôme de « mouvement » au mouvement lui-même, c’est proposer des formes politiques inoffensives qui ont abandonné au FN la position de l’opposant radical.
« Ce seraient alors les citoyen-ne-s eux-mêmes qui se chargeraient de reprendre la main sur les institutions politiques (et médiatiques) de leur pays, et de les remodeler à leur convenance. » C’est ce que disent à peu près Philippe Marlière, Antoine Trouillard, Laurent Mauduit sur Mediapart ce qui suscite des centaines de commentaires. La perception que seule un vaste mouvement populaire sera en mesure de renverser le rapport de force avec le capital est une bonne compréhension de la situation. Il s’agit donc de discuter clairement de la façon de le construire, avant le temps électoral, pendant et après.
L’ effondrement du FDG et le refus d’organiser la résistance comme de construire un bloc d’opposition face gouvernement Hollande avec tous celles et tous ceux qui se sont mobilisés après la séquence électorale de 2012 doit être sérieusement interrogé. Nous disions que l’échec du gouvernement Hollande, que les hésitations à son égard serait avant tout le succès du FN, et pas celui d’une gauche de gauche toute incluse dans la co-gestion.
Par quelle sorte de miracle il serait aujourd’hui judicieux de construire ce mouvement sur la seule perspective de « reprendre la main sur les institutions », le processus constituant après un éventuel succès électoral d’un candidat de gauche.
Pourquoi ne pas décider d’en jeter dès maintenant les bases ?
Cette unité/fusion, ce « nous » porteur de refondation historique, ne pourra se construire qu’au travers des formes de « démocratie radicale » en sens propre : la multiplication de collectifs de résistance et de luttes autonomes, rassemblant largement touTEs celles et ceux qui confrontéEs à la domination du capital, n’ont plus d’avenir et désespèrent, salariés, chômeurs, précaires, alternatifs, paysans, artisans, petits commerçants, indépendants, chercheurs, artistes, etc. C’est dans ces creusets que se dessineront les bases de ce mouvement populaire, quand ces collectifs seront dans l’action - car l’action précède la conscience - dans chaque quartier, dans chaque village et dans chaque cage d’escalier. Ils prendront d’abord en main les problèmes concrets auxquels le « peuple » est confronté, sans se borner aux séquences exclusivement électoralistes, quel qu’en soient les modèles les plus innovants.
C’est ce « mouvement » qui permettra le dépassement de toutes les divisions imposées aux classes populaires par la dictature du capital et de l’impérialisme, de toutes les compromissions qu’ils imposent et offrent ainsi des espaces à l’extrême droite.
Les nouvelles gauches détestent les politiques institutionnelles et les jeunes détestent massivement les politiciens professionnels
La reconnaissance et le rapprochement avec les formes concrètes d’alternatives à caractères anti-capitalistes, qui foisonnent aujourd’hui, en dehors de tout processus électoral et donc, en dehors des structures politiques classiques est un enjeu tout aussi déterminant, qu’un improbable « succès » électoral.
L’action politique se développe aussi et même surtout loin du champ clos de la politique institutionnelle et en dehors des campagnes électorales hallucinogènes. Sans les négliger, on n’ y engrangent que le travail qui a été fait avant, en dehors justement du temps électoral particulièrement stérile et mortifère. Ce fourmillement pose des problèmes d’orientations stratégiques nouvelles et ringardise définitivement toutes ces « organisations », dans lesquelles, il suffit de désigner le chef, car à la fin c’est lui qui décide. On ne leur fera pas le coup du "sauveur suprême".
Puisque nous sommes en période électorale « il faut malgré tout se poser la question de la manière d’en tirer le meilleur parti au regard de la poursuite de ses propres fins » : Une vaste mobilisation populaire avec des airs « d’indignados » qui nous manque tant pour imposer une « unité » populaire, avec ses comités de base autonomes, ouverts à toutes et à tous en mesure de dépasser par l’action collective « le dégoût que peut nous inspirer le fonctionnement du système électoral sous le régime de la manipulation médiatique de masse ». C’est à la constitution de ces comités « d’ union populaire » qui faut appeler sans attendre, c’est à eux de désigner leurs représentants à tous les niveaux avec des conditions de révocabilité qui ne leur permettraient pas de s’affranchir du contrôle de leurs mandantEs. C’est la seule façon de se débarrasser des logiques partisanes et personnelles qui poussent la majorité du peuple à l’abstention et à la résignation face au pire.
On commence quand, comment ? L’histoire nous mord la nuque disait déjà Daniel Bensaïd... http://www.anti-k.org/
Répondre