Tout comme la crise de 2007-2008 n’était pas l’affaire de quelques personnes ou de quelques banques qui se sont mal comportées, l’affaire Cahuzac n’est pas l’affaire d’un seul homme. Une fois qu’il sera chassé du pouvoir, tout n’ira pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et même, rien ne sera réglé. Il restera la racine du problème : un système politique marqué par la connivence entre appareil d’Etat et monde des affaires, avec des dirigeants politiques et des hauts fonctionnaires habitués aux allers-retours avec le « business » - qui leur rend bien -. C’est le cas en particulier de la « clique de Bercy », ces hauts dirigeants du ministère des finances liés de multiples façons aux grandes banques françaises et que le député européen Philippe Lamberts « vomit » [1], lui qui s’est battu contre les banquiers pour faire passer un plafonnement des bonus.
La pression des grandes banques françaises est d’ailleurs telle que le gouvernement a fini par accoucher d’une réformette bancaire, qui laissera la voie libre aux pires comportements des banques et risque de tirer vers le bas les législations européennes. Au fond, cette connivence est à l’image de ce que défendent - ou acceptent - les dirigeants des deux principaux partis de ce pays : un système économique qui laisse libre cours à la loi du profit et du capital.
L’affaire Cahuzac est donc très grave, car elle renvoie dos à dos le PS et l’UMP, avec un sentiment qui s’installe dans la société que de gauche comme de droite, les hommes et femmes politiques sont tous les mêmes, tous corrompus. Tout ça dans un contexte où les effets sociaux de la crise économique se sont durement sentir. C’est cette même situation qui amène Beppe Grillo à rallier de plus en plus de partisans en Italie, sur fond de rejet brutal du « politique » et de la corruption mais aussi, de populisme assumé, de prophéties obscures et de déclarations xénophobes et homophobes.
En France, le risque est évidemment la montée de l’extrême droite. Il règne une atmosphère des années 1930, marquée par les ravages sociaux de la crise de 1929, par une grave crise politique, par des hommes et femmes politiques complètement dépassés, des scandales au plus haut sommet de l’État et la montée du fascisme.
Il existe un facteur commun dans les cas français et italien : l’incapacité du mouvement social, qu’il soit syndical, associatif ou « spontané », à se fédérer et à fédérer. Or, l’histoire montre que dans les retournements politiques en faveur des droits citoyens se sont toujours appuyés sur des mouvements sociaux et citoyens d’ampleur, des lames de fond intellectuelles et militantes, qu’on peine à voir aujourd’hui.
Cette lame de fond ne se commande pas et elle peut surgir d’un moment à l’autre. En attendant, on pourra toujours travailler aux conditions de ce surgissement : la convergence des multiples cercles intellectuels qui phosphorent pour élaborer des alternatives fondées sur les droits sociaux, la transition écologique et la démocratie ; la convergence des forces sociales, associatives et politiques, au moins sur des revendications et luttes concrètes ; au final, la convergence de toutes les forces qui rejettent la loi du profit des capitaux, au détriment du progrès social et écologique. A l’inverse des thèses nationalistes, cette convergence doit pouvoir s’enrichir des résistances qui ont émergé dans beaucoup de pays du monde et qui ont su marquer leur société, à commencer par la Grèce, l’Espagne, le Portugal...