En visitant cette exposition, on ne peut s’empêcher de penser à la fameuse phrase prononcée par Nicolas Sarkozy en 2007 à Dakar sur « l’homme africain (…) pas assez entré dans l’histoire » et de son imaginaire où il n’y aurait « de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. » Pour l’art non plus, on suppose ? C’est contre de telles idées d’arrière-garde que s’est battu toute sa vie l’homme à qui est consacrée cette exposition du musée du quai Branly.
Charles Ratton (1895-1986), expert, marchand et collectionneur, a contribué à conférer le statut d’oeuvres d’art à des objets d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie perçus jusque là par les Occidentaux, au pire comme « primitifs », au mieux comme de simples objets d’étude anthropologique. Un honorable conservateur de musée parlait d’« art arriéré » quand, dans les années 1920, le débat faisait rage pour savoir si de tels objets pouvaient entrer au Louvre (ce qui adviendra en 2000, amorce de la création du musée du quai Branly).
Une démarche novatrice qui conduira Charles Ratton à fréquenter l’avant-garde artistique parisienne avec qui il organisera une exposition où se cotoieront ready-made, objets surréalistes et « beaux fétiches et masques américains et océaniens », afin de créer le « choc » selon le mot d’André Breton. En 1930, dans une autre exposition, des statues jugées obscènes devront être retirées. Cependant, un an plus tard, Ratton ne participera probablement pas à la « contre-exposition coloniale » organisée, en réaction à la manifestation officielle, par des opposants à la politique impérialiste française. Il restait un marchand et il entretenait un entier mystère sur la manière dont il obtenait les objets mis en vente, sujet tabou que n’aborde malheureusement pas l’exposition. Car la vision portée sur les civilisations extra-européennes par ces esprits éclairés pour l’époque n’est malgré tout pas sans ambiguité. Ainsi, la belle photo de Man Ray qui sert d’affiche à l’expo, véhicule un imaginaire « sensuel et exotique » qui fleure bon un certain colonialisme bienveillant.
Philippe Dagen, commissaire de l’exposition