Regards.fr. Qu’entendez-vous par « men » dans votre titre The End of Men (La Fin des Hommes) ?
Hanna Rosin. La fin de la domination masculine, la fin des privilèges du mâle, ou bien encore la fin des hommes tels que nous les connaissions seraient des titres plus appropriés. Je ne décris pas un matriarcat utopique où les femmes ont tout le pouvoir comme dans la littérature féministe des années 1920. Ce que je décris n’est même pas forcément positif. Les femmes subviennent aux besoins de la famille, mais elles sont seules. Les hommes sont balayés du tableau, ça a un côté tragique. Les femmes ont beaucoup plus d’opportunités, mais actuellement elles en font trop. Elles veulent réussir au travail, à la maison, avec les enfants. C’est stressant.
Vous décrivez l’émergence de véritables matriarcats dans les Etats très conservateurs des Etats-Unis, durement frappés par la récession. Comment réagissent les habitants au pouvoir grandissant des femmes ?
Les familles très religieuses estiment généralement que l’homme doit être le chef de famille. D’un autre côté, les Etats les plus religieux sont aussi les plus ouvriers. Beaucoup d’hommes y ont perdu leur emploi et ce sont définitivement les femmes qui rapportent l’argent. Mais les hommes ne le reconnaissent pas. Ils refusent d’en parler, et se sentent émasculés. A New York ou San Francisco, même si les hommes ne soutiennent pas totalement l’évolution vers une société où les femmes ont davantage de pouvoir, ils savent qu’ils le devraient.
Malgré l’évolution que vous décrivez, les femmes sont quasi absentes des postes de pouvoir, gagnent beaucoup moins que les hommes et font la majeure partie des tâches ménagères…
Je décris une transformation culturelle toute nouvelle, qui n’est pas achevée. Le sexisme au travail fait partie des barrières qu’il reste encore à faire sauter. Je ne crois pas que les hommes feront un jour la moitié des tâches ménagères, mais ils en font de plus en plus : la cuisine, les factures, les réparations, etc. Ils sont encore regardés très bizarrement aux Etats-Unis s’ils prennent un jour pour s’occuper de leurs enfants. Le sexisme au travail joue aussi sur ce point.
Comment réagissent vos lecteurs ?
J’ai été surprise de l’ouverture d’esprit et de la curiosité des hommes en général. Pour les femmes, celles appartenant à la classe moyenne m’ont globalement dit que ce que je décrivais était évident, que cela correspond à leur situation et à celle de leurs proches. Les femmes situées plus haut dans l’échelle sociale sont globalement plus hostiles à mon propos. Si elles occupent par exemple la deuxième ou la troisième place dans leur entreprise, elles me rétorquent que tous leurs supérieurs sont des hommes. Elles sont si près du sommet qu’elles ont une vision bien différente de la majorité des femmes.
Le salut ne viendrait-il pas des couples culbuto, dans lesquels l’un et l’autre partenaires jouent tour à tour le rôle de chef de famille ?
De toutes les situations que je décris, c’est clairement le modèle le plus porteur d’espoir. Le couple Obama est le plus connu des couples culbuto : lorsque Barack Obama terminait ses études, Michelle tenait le rôle du chef de famille. Maintenant qu’il est président, elle a mis sa carrière entre parenthèses, mais Barack Obama a toujours dit qu’ensuite ce serait au tour de Michelle. Notre vice-président Joe Biden est également dans une relation de ce type. C’est un bon modèle pour les deux partenaires, et statistiquement, ces couples divorcent moins. Mais ce modèle est celui de la classe moyenne supérieure et des classes dirigeantes.
Les classes moyennes s’orientent-elles vers ce modèle ?
Pas vraiment… Elles suivent plutôt le modèle des familles pauvres, avec un nombre incroyable de femmes seules élevant leurs enfants sans aucune aide du père. En étant optimiste, on peut se dire que les classes moyennes adopteront le modèle des classes dirigeantes, avec par exemple la femme qui tiendrait le rôle du chef de famille pendant que l’homme au chômage reprendrait des études. Plus le modèle culbuto sera accepté culturellement, mieux ce sera pour tout le monde.