L’accident nucléaire survenu à la
centrale de Fukushima Daï-Ichi,
le 11 mars 2011, est l’un des
plus grave de l’histoire. Compte tenu
du volume important des rejets, il a
été classé au niveau 7 – le plus élevé
– de l’échelle internationale des événements
nucléaires, ce qui le place
au même degré de gravité que la
catastrophe de Tchernobyl (1986).
Depuis maintenant des semaines, il
ne se passe quasiment pas un jour
sans que l’opérateur privé chargé de
l’exploitation de la centrale, Tokyo
Electric Power Company (TEPCo),
n’annonce une fuite ou un risque de
fuite d’eau contaminée. Malgré de
nombreuses tentatives, il s’est avéré
impossible de stopper le ruissellement
d’eau radioactive vers la mer, sans
compter les risques sur les nappes
phréatiques. L’estimation communément
admise évalue à 400 000 tonnes
la quantité d’eau pleine de césium,
strontium, tritium et autres joyeusetés
radioactives enfouie dans le sous-sol
ou stockée dans le millier de réservoirs
spéciaux montés après la catastrophe.
Ce volume ne cesse d’augmenter,
à raison de 400 tonnes par
jour, car il est impératif de continuer
à refroidir les réacteurs pour éviter
tout nouvel emballement.
Radioactivité
Le 31 août, le niveau de radioactivité
relevé dans un réservoir contenant
de l’eau contaminée sur le site de
Fukushima s’élevait à 1 800 milliSieverts
(mSv) par heure : de quoi tuer
en quatre heures toute personne qui
y serait exposée. À ce jour, les responsables
de Tepco sont toujours
incapables d’expliquer les causes
d’une telle augmentation du niveau
de radioactivité.
Déjà, le 19 août, un employé a découvert
une fuite d’eau sous l’un des
réservoirs d’eau contaminée. Près de
300 tonnes d’eau radioactive se sont écoulées dans les sols via des
évacuations destinées à l’eau de pluie.
A 50 cm de la surface d’une flaque,
on a relevé un débit de 100 millisieverts
par heure, soit cinq fois la dose
annuelle acceptée pour un travailleur
du nucléaire. Une nouvelle fois, TEPCo
a cherché à minimiser l’affaire, mais
l’Autorité de sûreté japonaise l’a classée
au niveau 3 de l’échelle internationale
des incidents et accidents nucléaires.
Le niveau 3 signifie « incident
grave », sa définition se caractérise par
« Contamination grave ou effets aigus
sur la santé d’un travailleur » sur le
site nucléaire mais « Très faible rejet :
exposition du public représentant une
fraction des limites prescrites » en ce
qui concerne l’incidence hors site [1]. Les
conditions de travail sur le site et l’attitude
de la direction de TEPCo à cet
égard constituent un problème en soi
(voir ci-contre).
Barrières insuffisantes
TEPCo a évalué la contamination de
l’océan Pacifique entre 20 et 40 millions
de milliards de becquerels depuis
mai 2011. Du fait des capacités
de dilution de l’océan, les effets sont
à cette étape limités, même s’il est
bien trop tôt pour envisager toutes les conséquences sanitaires de ces rejets
en mer. Mais nous sommes face à la
plus grande contamination en mer de
l’histoire, comme le confirme Jérôme
Joly, directeur adjoint de l’Institut de
radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN) dans un article [2] paru dans Le
Monde. Et surtout la catastrophe de
Fukushima est toujours en cours car
300 tonnes d’eau radioactive se déversent
chaque jour dans l’océan. Pour
tenter de contenir ces fuites, TEPCo a
construit des barrières pour empêcher
les eaux radioactives de se répandre
dans le Pacifique, mais elles ne sont
pas suffisantes et l’eau provenant des
nappes phréatiques a commencé à les
submerger. De plus, TEPCo a entrepris
l’injection de produits chimiques dans
le sol, afin de le solidifier pour contenir
la radioactivité… En réalité, du simple
bricolage, qui ne parvient pas à résoudre la situation, sans compter
que ce sont de nouveaux produits très
dangereux qu’on libère dans la nature.
« Les mesures mises en oeuvre à ce
jour par Tepco ne sont qu’un pis-aller.
Cet état de fait ne peut pas perdurer »,
confirme le directeur adjoint de l’IRSN,
un institut public qui n’a pas spécialement
l’habitude de crier au loup
sur ces questions.
Dans la durée
Face à l’incapacité de Tepco, le gouvernement
a récemment tenu des propos
martiaux – « nous allons prendre
les choses en mains » – ce qui plus
de trente mois après la catastrophe
laisse sceptique pour au moins deux
raisons. D’une part, le gouvernement a
laissé pendant de longs mois la gestion
de la catastrophe à ceux-là même
qui l’avait provoquée, notamment par le
refus de prendre en compte l’évolution
des connaissances en géosciences et
le refus de tirer les leçons du tsunami
de l’océan indien en 2004. D’autre
part, il n’y a pas, d’un côté, une société
privée et, de l’autre, un gouvernement
car l’État japonais est désormais majoritaire
au sein de la TEPCo.
Pour contenir les fuites radioactives, le
gouvernement entend créer un « mur
de glace » en sous-sol afin d’isoler
les eaux contaminées sous la centrale
des nappes souterraines. Il s’agira
de faire passer dans des tuyaux verticaux
une substance réfrigérante pour
geler le sol alentour. La réalisation de
cette muraille prendra au moins deux
ans. Parallèlement, l’autorité de sûreté
nucléaire japonaise entend rejeter volontairement
en mer de l’eau stockée
sur le site après une décontamination
partielle et sans doute très insuffisante.
Petit problème supplémentaire, le système
de décontamination de l’eau à
Fukushima, prénommé Alps, est en
panne depuis plusieurs semaines…
La situation semble difficilement gérable
et le propre d’une catastrophe
nucléaire est de s’inscrire dans la
durée. Dans ces conditions, les demandes
pour une coopération internationale
relèvent du bon sens. Le
Premier ministre Shinzo Abe, fervent
défenseur de l’énergie nucléaire, s’y
est pour l’instant fermement opposé.