Article remis à jour le 17 juin à 12h30 (précédente version pré-électorale, intitulée « L’Iran vers un rééquilibrage de sa diplomatie ? » le 12 juin) . C’est donc le réformateur Hassan Rohani, religieux de 64 ans, adoubé et soutenu par Akbar Hachémi Rafsandjani et Mohammad Khatami (tous les deux ex-présidents de la République islamique d’Iran), qui a remporté haut la main le scrutin présidentiel du 14 juin. Le taux de participation avoisine les 73 %. Avec plus de 50 % des voix recueillies, il laisse très loin derrière lui les cinq conservateurs en course : le candidat arrivé second, Mohammad Baqer Qalibaf, maire de Téhéran, n’a recueilli qu’un tiers du nombre de voix obtenues par le vainqueur. Et Saïd Jalili, poulain des institutions et favori du Guide Suprême Ali Khamenei, fini troisième avec à peine plus de 11 % des voix.
Soucieux d’éviter à Khamenei de revivre quatre années de conflit plus ou moins ouvert avec le président en exercice (comme ce fut le cas durant le second mandat d’Ahmadinejad entre 2009 et 2013), le Conseil des gardiens de la Constitution avait écarté, dans les semaines précédant le scrutin, les candidats jugés trop peu académiques, Rafsjandjani est le premier a en avoir fait les frais. Mais cela n’aura donc pas suffit : Rohani était (avec Velayati, ex Monsieur diplomatie de l’Iran, sévèrement défait lors de cette élection) le candidat le plus en « rupture » avec la ligne dure du régime sur le terrain des relations internationales. Et la différence d’approche devrait pouvoir être assez vite palpable, singulièrement dans le dossier nucléaire qui reste la clef de voûte de l’arc de tension entre Washington, Tel Aviv et Téhéran.
Entre 2003 et 2005, sous la présidence Khatami, Hassan Rohani avait en effet dirigé le dialogue avec les pays occidentaux en prônant une plus grande souplesse. Et fin 2003, il avait accepté et fait savoir que l’Iran suspendait son programme nucléaire. Une position de modération, favorisant le dialogue à la confrontation dure, qu’il a de nouveau défendu durant la campagne.
Le chercheur associé à l’Ecole des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) Clément Therme, spécialiste de l’Iran [1], note que pour le nouveau président iranien, « la diplomatie est un art qui doit permettre non seulement d’assurer la défense et le fonctionnement de l’industrie nucléaire iranienne mais aussi le fonctionnement d’autres industries du pays ». Industries dont certaines connaissent la crise depuis de long mois à cause notamment des sanctions financières internationales imposées à Téhéran accusé de ne pas tenir compte des résolutions de l’ONU exigeant sa coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la suspension de ses activités d’enrichissement de l’uranium [2] (voir encadré col de droite).
Si la poursuite du programme nucléaire iranien fait l’objet d’un consensus en Iran, la manière dont il faut s’y prendre avec les puissances prescriptrices de sanctions fait donc, elle, débat. Selon Clément Therme, contrairement par exemple à Said Jalili, le poulain de Khamenei défait vendredi, Rohani estime qu’il faut « éviter une confrontation forte avec l’Occident aussi pour ne pas tomber totalement dans les bras de la Russie et de la Chine. Il plaide pour un équilibre entre d’un côté un dialogue plus approfondi avec l’Europe et l’Occident et de l’autre des liens maintenus mais pas exclusifs avec Moscou et Pékin ».
Une vision pragmatique des relations internationales assez éloignée du « romantisme révolutionnaire » qui, selon le chercheur, a caractérisé la politique étrangère de Mahmoud Ahmadinejad au cours des huit dernières années, et qui pourrait rebattre les cartes. Au point de voir s’ouvrir un dialogue direct entre Washington et Téhéran ? Rien n’est encore acquis mais désormais l’hypothèse est sur la table.
L’autre dossier de politique extérieure est bien entendu la Syrie. Si Damas et le Hezbollah libanais restent les alliés privilégiés et historiques de Téhéran dans la région, les bouleversements des printemps arabes (que l’on appelle le « réveil islamique » à Téhéran) font bouger les lignes. « L’idée force de préserver un "axe de résistance" face à Israël fait consensus, concède Clément Therme. Mais après la victoire de Rohani, on pourrait assister à un léger rééquilibrage de la diplomatie iranienne en faveur des Frères musulmans qui pourrait se traduire par un peu plus de pondération dans le soutien à Damas et un peu plus de soutien à Genève 2 [3] »
La République islamique d’Iran n’a pas connu de séisme politique vendredi et le Guide suprême garde la main sur les dossiers stratégiques. Mais il a dû reconnaitre l’élection du moins conservateur des candidats en lice, et ce d’autant plus que celui ci a véritablement été plébiscité par le peuple. Le succès de Rohani constitue donc une petite secousse tellurique : les modérés reprennent du souffle à Téhéran. Dans cette région où la géopolitique est, plus qu’ailleurs, affaire de tectonique des plaques, c’est déjà une nouvelle d’importance.