Le rock avait été marqué au fer rouge durant les années 1970 par la question de la guerre du Vietnam. Cette dernière constitua en quelque sorte son déniaisement politique. Le reggae en pleine expansion planétaire y puisa également une source d’inspiration, et pour mémoire Bob Dylan désigna le morceau « Vietnam » de Jimmy Cliff comme l’une des plus belle « protest song » qu’il n’ait jamais entendue.
Mais pendant les années 1980, c’est la lutte contre l’apartheid qui occupe cette place, centrée sur sa figure iconique, Nelson Mandela - bien que Peter Gabriel éclaire en 1986 également le martyre de Steve Biko. D’ailleurs, la principale différence dans le traitement du prisonnier de Robben Island par rapport aux autres « héros » du tiers-monde, Che Guevara ou Marcus Garvay, voire Lumumba, tient évidemment au fait que le leader de l’ANC était bel et bien vivant. On ne célébrait pas son sacrifice, on réclamait sa libération, signe de sa victoire.
Car nous changions d’époque. Terminée la révolution, désormais les temps sont aux « valeurs », qui l’emportent sur les considérations idéologiques dont le punk venait de jouer les dernières notes (quelques tenants du rock alternatif en France s’attaqueront néanmoins au sujet, notamment les Nuclear Device avec leur chanson « Prétoria »). Dorénavant, il s’impose de combattre le « mal », le racisme dans son expression la plus explicite. Si bien sûr la dimension anticoloniale demeure dans la tête des artistes africains (comme Youssou N’dour et son album « Mandela » en 1986) ou même Jamaïcains ( à l’instar de Yamy Bollo toujours en 1986), en Europe et en Occident, se joue désormais la grande bataille des droits de l’homme qui rassemblent les foules dans des stades pleins à craqués, avec en parfait illustration le « Mandela Day » de la formation New wave Simple Minds.
Aux USA, le collectif Artists United Against Apartheid, fondé par Steven van Zandt, un ex du E Street Band, rameute de son côté pour le titre « Sun city », dans un bel élan intercommunautaire, les meilleurs représentants du rock patrimonial, du hip-hop naissant, du funk finissant, voire du jazz légendaire, autrement dit sans ordre de préférence Bruce Springsteen, Miles Davis , Herbie Hancock, Ringo Starr, Lou Reed, Run DMC, Peter Gabriel, Afrika Bambaataa, Kurtis Blow, U2, George Clinton, Keith Richards, ou Joey Ramone.
Mais étrangement, si un titre va marquer les esprits et populariser le cas de Nelson Mandela, ce sera le « Free Nelson Mandela » des Special Aka, qui succédait aux Specials, princes du revival ska emmené par le génial Jerry Dammers (qui avait déjà décrit avec acuité dans « Ghost Town » les ravages du thatchérisme). Nous étions en 1984 et beaucoup continuaient de présenter le plus célèbre prisonnier d’Afrique du Sud comme un agent du communisme international, bref un comédien de la guerre froide. Reste à savoir comment aujourd’hui les musiciens s’avéreront capables de lui rendre hommage et de témoigner du personnage historique.