Accueil > monde | Par Nicolas Kssis | 27 janvier 2014

Sotchi, des jeux d’hiver pour faire diversion

Vladimir Poutine s’apprête à accueillir les vingt-deuxièmes Jeux olympiques d’hiver. Car c’est évidemment moins la petite ville de Sotchi que "sa" Russie qui va avoir ce privilège. Il aura dépensé sans compter, soucieux de redorer l’image du pays et de démontrer sa puissance retrouvée. Mais on ne peut cacher tous les problèmes sous un tapis de médailles, même le temps d’une olympiade…

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On peut comprendre la volonté du tzar-judoka du Kremlin (comment ne pas être frappé par la mise en scène très mussolinnienne de son corps de sportif ?) d’utiliser un tel événement dans le contexte actuel. 3.000 athlètes provenant de 90 pays vont concourir sous le regard attendri de 13.000 journalistes. Quelle meilleure publicité un État si contesté peut-il espérer obtenir aussi facilement ? D’autant que le sport et surtout l’arène des anneaux prétendent effacer un temps les considérations politiques. La Russie a donc tout à y gagner. Surtout au moment ou son rôle diplomatique en Ukraine ou en Syrie agace l’occident et singulièrement les États-Unis, et amène même un certain nombre de dirigeants – tels que le président allemand ou François Hollande – à bouder la cérémonie d’ouverture. La bonne conscience se contente de peu de choses.

Rien de mieux, en effet, qu’une belle messe olympique pour offrir un autre visage à la communauté internationale. Il faudra toutefois faire oublier les nuages qui planent sur l’épreuve : le terrorisme venu du Caucase où la Russie mène depuis vingt ans ses "petites guerres", la loi "propagande homosexuelle" et son cortège de protestations, ou le sort des travailleurs venus des ex-républiques orientales de l’URSS – exploités, sous-payés, victimes de xénophobie – sur lequel certaines ONG et syndicats ont tenté, plutôt vainement, d’alerter l’opinion et les gouvernements.

Vitrine propagandiste

Il faut dire que la région a été transformée en un immense chantier pour près de 42 milliards d’euros au total (contre un peu de moins de deux milliards pour les précédents jeux de Vancouver en 2010), soit l’édition la plus onéreuse de l’histoire. Des dépenses exorbitantes qui, en outre, s’inscrivent dans le cadre de JO d’hiver dont beaucoup de spécialistes doutent de plus en plus de la pérennité et de l’utilité sur le plan des infrastructures et des équipements, quand d’autres insistent sur leur coût social pour les populations locales.

Dans ce registre, il est facile de deviner le sort réservé à la nouvelle passion « green » du CIO, qui s’est entiché d’écologie au point d’inscrire en gras le respect de l’environnement dans les conditions d’attribution. Sotchi et ses jolis palmiers (cherchez l’erreur climatique) rappellent à ce titre l’attribution de la Coupe du monde 2022 au caniculaire Qatar. « Après les JO, résumait Daniel Cohn-Bendit dans L’Express, il restera un village de ski où des milliardaires russes, qui ont l’habitude de skier à Courchevel, à Megève ou à Kitzbühel, pourront passer leurs vacances. L’esplanade olympique, à cinq kilomètres de la frontière avec la Géorgie, aura une grande valeur géopolitique. Poutine pourra y faire des grands défilés militaires pour dire "coucou" aux Géorgiens. Ou un Grand Prix de Formule 1. N’importe quoi. »

En attendant, soutenu par l’oligarchie olympique, Vladimir Poutine engage cyniquement tous les moyens pour faire des Jeux d’hiver la vitrine propagandiste de sa souveraineté, le cheval de Troie de ses conquêtes territoriales aux portes du Caucase, et le paravent de ses atteintes répétées aux Droits de l’Homme. Aux yeux des tenants d’une critique radicale du sport, rassemblés au sein de la revue Quel sport ?, « aller à Sotchi ce n’est pas simplement se rendre dans une enceinte olympique, c’est cautionner les dérives dictatoriales du Kremlin déjà dénoncées par certaines instances européennes. (…) Pour Sotchi comme pour Pékin, Séoul, Moscou ou Berlin auparavant, les vrais héros de l’olympisme seront ceux qui ne participeront pas à la légitimation d’une dictature. »

Fausses notes dans l’hymne olympique

Toutefois, au-delà de cette opposition frontale, partout à travers le monde la petite musique de la symphonie athlétique connaît des dissonances de plus en plus accentuées. Si le sport est un opium, certains commencent à se désintoxiquer. En attestent les manifestations au Brésil contre la Coupe du monde, la mobilisation syndicale internationale contre la situation réservée aux ouvriers qui meurent par centaines au Qatar ou encore les désistements successifs de grandes villes – et pas les plus "pauvres" – pour se porter candidates (Stockholm a récemment renoncé aux JO d’hiver de 2022).

Certes, ce désenchantement est relatif, et l’économie du sport se porte bien avec un marché de 600 milliards de dollars au niveau mondial. Personne ne prône le boycott intégral, pas même du coté de la FSGL ni des grandes organisations du sport gay et lesbien. Mais plus grand monde ne semble prêt à s’émerveiller sans réserve. À part peut-être le service des sports de France Télévisions, trop content d’avoir enfin une compétition majeure à diffuser.

Alors, entre les menaces d’attentats et les éventuelles dérapages sur place d’une police pas franchement obsédée par le respect des droits individuels ou de la presse, sans oublier le naturel qui revient toujours au galop chez Vladimir Poutine, une période trouble s’annonce du 7 au 23 février pour Thomas Bach, président du Comité international olympique depuis septembre dernier. Comme le dirait Jean-Claude Killy, dans Le Monde : « Je déplore le double langage qui consiste à vendre des trains, des avions de chasse ou des bateaux de guerre à certains pays pour snober ensuite la cérémonie d’ouverture d’un événement sportif d’envergure mondiale qui y a lieu. Il faut être pragmatique si l’on veut exporter, garder nos usines ouvertes… » L’important, c’est l’or olympique..

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