La semaine qui me voit écrire cette contribution au débat sur l’unité de la gauche a commencé mardi 9 juillet en Grande-Bretagne. Là, le parti travailliste a asséné un coup de poignard dans le dos des syndicats. Conclusion d’une involution de la gauche britannique qui parachève une mue idéologique complète. Finies la redistribution et la défense des salariés, le New Labour d’Ed Miliban entend se poser en défenseur de la nation britannique. La gauche se déchire donc, puisque les syndicats sont organiquement liés au parti travailliste dont ils sont à l’origine.
Ailleurs, la gauche est ravagée par des conflits fratricides. En Allemagne, plutôt que de tendre la main à Die Linke pour construire une vraie majorité de gauche, le parti social-démocrate préfère s’allier à la CDU d’Angela Merkel. De la même manière en Grèce, le PASOK se range sous les fourches caudines de la droite plutôt que de bâtir un projet politique avec la gauche radicale de Syriza. Il n’y a guère qu’au Portugal – pays où l’union de la gauche n’a jamais existé – qu’un rassemblement des socialistes, des communistes, des écolos et des gauches associatives et syndicales pourrait prendre le pouvoir.
Dans ce paysage de désolation, la France est à la croisée des chemins. Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, les décisions politiques, les choix assumés par l’équipe gouvernementale, sont significatifs. « Le gouvernement a choisi le camp du MEDEF », résume Eric Aubin, secrétaire confédéral de la CGT. La transcription de l’Accord national interprofessionnel en texte de loi, sans aucune modification et de manière autoritaire, puis l’annonce du contenu de la réforme des retraites ont aggravé les dissensions entre la gauche de gestion et la gauche de transformation sociale. Dans ce dernier camp, on trouve bien évidemment le Front de gauche dans son ensemble mais aussi des pans entiers du PS et d’EELV. Les tensions sont si vives que d’aucuns n’hésitent plus à parler de divorce entre les deux camps. Et d’aucuns se félicitent même que nous en arrivions là.
Cette situation est lourde de dangers. Comme le souligne Emmanuel Maurel, leader de la gauche du PS, « ce scénario serait l’assurance d’une victoire pour la droite, et pour longtemps ». Les exemples allemand et grec donnent du corps à son affirmation. C’est d’ailleurs à partir de cette réalité politique précise que le Front de Gauche avance sa proposition d’une majorité alternative composée du Front de gauche, des gauches syndicales et associatives mais aussi des éléments du PS et d’EELV qui sont disponibles, sur la base d’un projet politique, pour ce faire. C’est ce qu’a encore rappelé Jean-Luc Mélenchon en conclusion de son appel à la manifestation du 5 mai…
Pourtant, certains continuent à faire le pari de l’identité, de l’affirmation du « moi » politique, du Front de gauche comme clé de la victoire. Le Front de gauche est effectivement la gauche qui s’oppose à la politique menée par le Parti socialiste et ses alliés sociaux-libéraux, du PRG à la majorité au sein d’EELV. Le FDG ambitionne d’ouvrir une alternative politique à gauche. Je souscris totalement à cette définition de notre identité politique. Mais elle ne doit pas se doubler d’une attitude qui consiste à n’ouvrir le débat qu’à condition. A condition de rompre jusqu’à quitter qui le PS qui EELV.
Pour appuyer cette démarche de conditionnalité du débat, d’aucuns au Front de Gauche démontrent en quoi le PS serait devenu objectivement un parti de droite. Fort bien. Mais si chacun accepte de repartir du primat de la souveraineté populaire, il faut admettre que 95 % des citoyens de ce pays considèrent que le PS est toujours un parti de gauche, comme si les démonstrations faites et les discours de distanciation tenus n’avaient aucune prise sur eux. Le Front de gauche qui se veut outil politique à la disposition du peuple peut-il s’émanciper de la réalité imposée par le même peuple ?
C’est bien à partir de cette réalité que certains, dont je suis, défendent l’unité de la gauche, l’unité du peuple, comme outil politique principal dans la période. Il ne s’agit ni d’un « ralliement au PS », encore moins une esquisse de resucée de la « gauche plurielle ». Il s’agit de donner la priorité au rassemblement sur des bases politiques ; d’oser une démarche qui prenne au mot les militants de la gauche du Parti socialiste, d’Europe Ecologie-Les Verts et, au-delà, les centaines de milliers de citoyens et de citoyennes de ce pays qui se reconnaissent dans leurs discours. La stratégie de dépassement du Front de gauche pour construire le Front du peuple, oblige d’ailleurs les composantes du FDG à s’adresser aux abstentionnistes, aux non-inscrits mais aussi aux membres de la gauche du PS aussi bien que d’EELV. L’ambition de ce Front du peuple, contre la pérennisation d’un cartel d’organisations, rend la question de l’appartenance totalement secondaire.
Revenons-en aux fondamentaux avec Lénine. Prenant l’exemple de la Grande-Bretagne, il critique les communistes qui, au nom de leurs convictions révolutionnaires, refusent de soutenir le Parti Travailliste, alors dirigé par des éléments réactionnaires :
« Que les Henderson, les Clynes, les MacDonald, les Snowden soient irrémédiablement réactionnaires, cela est exact. Il n’est pas moins exact qu’ils veulent prendre le pouvoir (préférant d’ailleurs la coalition avec la bourgeoisie) ; qu’ils veulent administrer selon les vieilles règles bourgeoises […]. Tout cela est exact. Mais il ne suit point de là que les soutenir, c’est trahir la révolution ; il s’ensuit que les révolutionnaires de la classe ouvrière doivent, dans l’intérêt de la révolution, accorder à ces messieurs un certain soutien parlementaire. […] Agir autrement, c’est entraver l’œuvre de la révolution, car si un changement n’intervient pas dans la manière de voir de la majorité de la classe ouvrière, la révolution est impossible. Or ce changement, c’est l’expérience politique des masses qui l’amène, et jamais la seule propagande. »
Derrière ces mots se dessine une vision politique qui impose le primat de l’unité. Pas une unité entre partis, sur la base de négociations occultes. Il s’agit bien de l’unité organique de la classe ouvrière sur la base de mots d’ordre politiques clairs. C’est cela le Front du peuple qu’il est urgent de construire. Le Front de gauche dispose des mots d’ordre politiques clairs : refus de l’austérité en France et en Europe, SMIC à 1 700 euros, salaire maximum, etc. Il en a même fait un livre-programme qui porte le beau nom de l’Humain d’abord. Bon nombre de personnes se sentant proches des gauches du PS et d’EELV s’y retrouvent. Alors, chiche ! La bataille pour l’unité de la classe ouvrière est antinomique avec l’affirmation infantile d’une identité en contre. Elle exclut toute attitude sectaire, tout dogmatisme.
J’enrage et je peste. Je fulmine. C’est sûr, je suis un homme de gauche. Nous avons ramassé les grains un à un, nous avons redonné le courage nécessaire au salariat pour qu’il puisse se débarrasser du sarkozysme avilissant. Nous avons fait et refait la démonstration que les politiques conduites par les sociaux libéraux étaient une accélération de nos souffrances. Plus personne, à gauche, ne conteste aujourd’hui l’ineptie des cette politique de l’offre !
Et pourtant, nous qui savons faire, nous qui pouvons, ne sommes toujours pas au cœur de l’attente de nos concitoyens. Il nous faut tirer une ligne au dessus des basses fréquences, la chose est loin d’être simple.
S’interroger sur la nature du Parti Socialiste est un débat sans fin. Il suffit juste de constater qu’il n’est plus le même qu’en 1997 car il est maintenant devenu un outil reconnu du libéralisme. Les satisfécits du MEDEF le prouvent. Pour autant la difficulté n’est pas levée car la grande majorité du salariat espère encore de son nom !
Dans le même temps, nous sommes devenus la seule parole de gauche utile à la reconquête idéologique qui précède toujours les victoires électorales. Mais nous avons du retard. Beaucoup de retard. La nouvelle droite qui pourrit la société depuis bientôt trente ans s’est étalée avec entrain dans les draps du peuple rendu aboulique de la mollesse passionnée des fainéants de la rue Solferino !
Dans le même temps, nous avons su donner à la Gauche républicaine, sociale et écologiste un logiciel nouveau et susceptible de nouer des synthèses dynamiques. Appelez-la comme vous voulez, mais cette synthèse écosocialiste est l’assise nécessaire, le fondement, le socle sur lequel nous allons construire la majorité politique nécessaire dont nous avons besoin pour gouverner.
Le moment est périlleux pour notre Front de Gauche, il est à l’intersection de deux logiques. Feindre de croire qu’il est possible d’être l’aiguillon d’une gauche cotonneuse et avachie ne conduirait qu’à l’amplification des déceptions populaires, déjà trop bien ancrées dans nos propres rangs. Poursuivre la démonstration, déjà réussie, de l’échec annoncé de la conversion libérale des politiques des sociaux-démocrates européens, nous enferme dans une logique de contestation qui nous assigne au rang de ceux qui ne gouvernent jamais !
A l’évidence l’alternative n’est pas là.
Le seul débat qui nous occupe est de savoir comment et dans quel délais nous allons pouvoir gouverner ce pays.
C’est cela l’urgence. C’est aussi cela qui fait suinter un air de crise autour de notre Front de Gauche !
C’est donc l’occasion. C’est le moment de faire un choix. Le temps de la colère doit offrir la force nécessaire qu’il nous faut pour chasser les contrefacteurs du changement.
C’est le moment opportun où l’impossible devient possible, l’immuable se met en mouvement, l’indécis choisit.
Les mois qui viennent de passer ont montré que notre force était intacte. Les rassemblements de masse que nous avons impulsés sont la preuve de la disponibilité encore réelle de notre peuple à se mobiliser pour le changement. Le restera t-il encore longtemps ? Quand les coups se font de plus en plus rudes, c’est en se recroquevillant que l’on a moins mal.
Le temps presse, comme à chaque fois que les institutions européennes et leurs politiques sont rejetés par le peuple, les griots expliquent qu’il faut davantage d’Europe, quand ce gouvernement se sera abattu par lui même, des sacrifices offerts aux banques, ils expliqueront qu’il faut plus de libéralisme. A Ayrault succédera Gallois ou un autre… pour continuer la même politique !
Les mois qui arrivent doivent nous permettre d’articuler la mobilisation sociale sur les retraites que nous allons soutenir de toutes nos forces avec une offre politique puissante et crédible. C’est la seule façon d’éviter ce scénario catastrophe
La politique c’est comme les échecs, il ne faut jamais jouer un coup avant l’autre. Pour construire la majorité nationale qui doit nous permettre de gouverner, après les élections européennes, pourquoi pas, le plus tôt sera le mieux, il nous faut faire la démonstration de notre capacité à construire pour de vrai, dans chaque commune, les équipes qui s’engagent contre l’austérité !
Nous ne sommes pas l’aiguillon d’une bête qui par ailleurs est déjà morte et qu’il ne sert à rien de piquer, c’est parce que nous nous respectons et que nous savons voir le désarroi qui bâillonne l’immense majorité des militants de gauche et de l’écologie politique que nous devons proposer un nouveau rassemblement !
Répondre