« Entre la France ou l’Europe, vous choisissez quoi ? Avec la droite et la gauche, la France est dans le mur et ça fait trente ans que ça dure, il faut passer à autre chose maintenant, il faut enfin faire confiance à Marine ! » Impossible de raisonner cet homme à la voix tonitruante qui s’impose sur le marché de Fréjus. Il coupe court aux discussions entre les mélenchonistes indécis et les membres du Forum républicain dont les tracts invitent à faire barrage au Front national.
« Les frontistes de ce calibre sont incapables d’analyser les réponses qu’ils vous donnent », commente Jacques, venu tracter pour Macron. « Les gens sont comme lobotomisés, le Front National repose sur un culte de la personnalité autour de Marine Le Pen, c’est très grave », soupire-t-il. À ses côtés, Catherine est plus vindicative : « Les grands points du programme FN sont aujourd’hui écartés : la retraite à 60 ans, le retour au franc, la sortie de l’UE. Le FN n’a plus de programme économique, le seul point qui tienne encore, c’est cette histoire de frontières, ces idées aux relents racistes ! » La jeune retraitée arbore un tee-shirt En Marche ! et tracte sans relâche : elle espère que les citoyens de Fréjus se décideront dimanche en faveur de Macron.

« Recadrer tout ça »
La scène se déroule devant la permanence du Front national, à quelques mètres de la mairie de Fréjus. Sous la devise républicaine "liberté, égalité, fraternité", un drapeau français, mais point de drapeau européen : la commune du Var de quelque 52.000 habitants est menée par le frontiste David Rachline, élu en 2014 avec 45,55% des suffrages exprimés. Directeur de campagne de Marine le Pen, le sénateur-maire est à Paris. « On le voit à la télé, pas à Fréjus », plaisante Patrick Loidreau, gérant du restaurant voisin Les Micocouliers.
Depuis qu’il a commencé à passer la main à son fils, le commerçant a la parole décomplexée : « David Rachline gère la Mairie de Fréjus en bon père de famille, explique le sexagénaire entre deux services. Le centre-ville a été rénové, les impôts n’ont pas augmenté et la sécurité est présente dans Fréjus avec des policiers qui sont 24h/24 sur le terrain. Ce n’est pas parce le Front national est arrivé à Fréjus que les touristes ne viennent plus, au contraire ! »

Patrick Loidreau se dit gaulliste : il a rejoint le FN après avoir été déçu par la politique de Sarkozy. Sa femme votait déjà FN depuis plusieurs années : son travail de pompier dans les quartiers difficiles avec des jeunes qui compliquaient la tâche, c’est ce qui lui a fait quitter Lutte ouvrière pour le Front. « Je me suis dit que si on ne faisait rien pour recadrer tout ça, on allait couler », raconte-t-elle. Et d’ajouter : « J’évitais d’en parler en famille car mon père était communiste, j’étais la brebis galeuse de la famille ».
Les Loidreau ont lu les 144 engagements de Marine Le Pen et sont unanimes : Marine sera capable de « relever la France ». Leur nièce de dix-neuf ans a aussi épinglé la fleur bleue des "patriotes" sur son polo. Clothilde expose fièrement qu’elle est entrée au FNJ, le Front national de la jeunesse. Elle est contente d’être encadrée par des jeunes plus âgés formés par la mairie afin qu’il n’y ait pas de « débordement ». « Ce que j’aime dans le parti, c’est cet amour pour le pays. Pour lutter contre le terrorisme, il faut lutter pour nos valeurs patriotes. » Clothilde parle avec assurance : « On tracte aujourd’hui sur le marché pour ouvrir les yeux des gens, pour leur faire prendre conscience de l’importance de ce vote crucial. C’est un choix de civilisation ».
« La mairie essaye de tout contrôler »
Effaré, un journaliste portugais assiste aux échanges. « Les Portugais s’inquiètent beaucoup du vote des Français. Pas seulement pour le million de Portugais vivant en France, mais aussi car le Portugal dépend de l’Union européenne. Si Marine le Pen est présidente, l’UE risque de s’écrouler et le futur du Portugal sera compliqué ! »
À la table voisine aussi, l’ambiance est morose sous le soleil : « C’est difficile de prendre le risque d’avoir le Pen comme présidente, mais avec cinq ans de Macron, il n’y aura plus de classe moyenne ». Ces deux mélenchonistes ne savent que faire de leur droit de vote dans une ville où le FN est arrivé en tête avec 33,5% des suffrages exprimés lors du premier tour des présidentielles.

Pour qui observe bien, toute une pièce de théâtre se joue devant l’hôtel de ville, sous les regards attentifs des adjoints au maire, très présents en ce jour de grande affluence. « La mairie frontiste essaye de tout contrôler à Fréjus », déclare Marie-José de Azevero, présidente du Forum républicain, un mouvement citoyen mis en place en 2014 en réaction à l’élection du Maire FN.
Courageusement, l’enseignante, qui a appris au maire actuel à lire et à écrire, explique pourquoi le Front national n’est pas un parti démocratique : « Il y a beaucoup d’atteintes aux libertés dans notre ville. Vous ne pouvez pas vous exprimer si vous ne pensez pas comme les frontistes. Si vous le faites dans les réseaux sociaux, vous vous faites insulter. Et il y a une mise au pas, on l’a vu avec la fermeture du centre social de Villeneuve, avec l’association de quartier de La Tour de Mare qui s’est fait reprendre son local, et avec la presse qui doit batailler pour suivre les conseils municipaux ».

« Pas un parti comme les autres »
Le chef d’agence du quotidien Var Matin pour Saint-Raphaël-Fréjus confirme les relations houleuses de sa rédaction avec David Rachline : « Pendant huit mois, nous n’avions plus accès à l’information, même plus aux avis de décès, si importants pour un journal local », raconte Éric Farel. « Les frontistes ne délivrent pas d’information, ils laissent publier les articles, puis ils exigent un droit de réponse. » Le journaliste a coécrit le livre Ma ville couleur bleu marine, le vrai visage du FN au pouvoir : « Le livre est sorti fin 2015. Aujourd’hui, j’aurais encore plus de choses à écrire car lorsque vous côtoyez le FN, vous comprenez que ce n’est pas un parti comme les autres ».

Éric Farel a observé des sociétés inscrites au micro-parti d’extrême droite Jeanne, et proches de personnalités du GUD, remporter les marchés publics de la ville. Il a aussi décrypté le "système Rachline", qui exige de ses conseillers municipaux qu’ils abandonnent leurs activités professionnelles – ce qui les rend complètement dépendants du parti. Le journaliste montre aussi le dernier numéro de Fréjus Le Magazine arrivé sur son bureau : « Lisez le titre, "Scandale d’état" : c’est au sujet de la mosquée de Fréjus dont le Conseil d’État a autorisé l’ouverture. Un ramassis de propagande ! »
Non loin de la rédaction de Var Matin, un autre irréductible dénonce les méthodes de la mairie frontiste : à soixante-seize ans, Jean-Paul Radigois préside le Comité de défense des intérêts généraux de Fréjus-Plage et conteste la bétonisation du bord de mer : « Rachline a vendu des terrains publics pour 36 millions. 15 millions ont servi à rembourser la dette de la commune, mais le reste est passé où ? » L’architecte à la retraite dénonce le fait que la mairie vende « les bijoux de famille de la ville » sans respecter le jeu démocratique.

Résultat, le Comité s’est retrouvé dans la ligne de mire de la mairie. Pour les quatre-vingt-dix ans de l’association, Jean-Paul Radigois a préparé une pancarte qui fait le parallèle entre la réquisition de son local en 1942 pour les besoins des armées allemandes et la réquisition envoyée fin février par la mairie de Rachline, en prévision de la création d’une école de pétanque [1]. « Les frontistes disposent leurs pions de manière stratégique, dans les associations et les comités de quartiers, pour ne pas avoir d’opposition. On tend doucement à une démocratie à la Poutine et les habitants de Fréjus ne s’en aperçoivent pas, malheureusement ! » Reste à savoir si la majorité d’entre eux se réveillera avant dimanche.
Je ne vois rien d’autre qu’une ville bien tenu avec un maire qui passe à presque 50% et des opposant politiques qui racontent des choses sans argumenter.
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