Regards. Quelles conséquences la désignation du candidat issu de la primaire socialiste peuvent-elles avoir sur la campagne de Jean-Luc Mélenchon ?
Alexis Corbière. Les conséquences de cette désignation seront secondaires pour notre campagne, qui mobilise d’autres personnes et emprunte d’autres chemins politiques. Le candidat du PS sera un ancien ministre de premier rang, membre d’un gouvernement de François Hollande, ayant piétiné l’engagement de renégocier le traité européen Sarkozy-Merkel, mis en place le CICE, etc. Fin janvier, la seule information nouvelle est que nous connaîtrons son nom. Vraiment pas de quoi susciter le moindre enthousiasme populaire… Logique. Après Hollande, dans l’incapacité politique de se présenter, il est possible que celui qui portait la plus grande responsabilité des désastres commis depuis 2012 soit battu. J’évoque ici Manuel Valls. Dès lors, la seule vertu du désigné du 29 janvier sera donc d’être le "moins rejeté" des sept protagonistes. Faible privilège et gare aux illusions d’optique. Aux yeux de la grande masse de la population, cela ne le rendra pas attractif très longtemps.
Cela signifie que les chances de l’emporter seront infimes, pour ce candidat ?
Ce vainqueur en trompe-l’œil de la primaire PS sera le grand perdant évident du premier tour d’avril. En affirmant cela, je ne m’appuie pas sur les sondages. Nos concitoyens ne sont pas idiots. Très rapidement, ce candidat PS sera "hollandisé". Il est politiquement impossible que le candidat officiel du parti du gouvernement actuel soit en capacité dans quatre-vingt-dix jours d’incarner la profonde volonté de changement qui monte dans le pays, la colère contre les choix des gouvernements de M. Hollande. Sa principale fonction sera donc en réalité de limiter la casse pour l’appareil et justifier les candidatures aux élections législatives de juin des plus de 260 députés PS sortants, qui sont pour l’essentiel exactement ceux-là mêmes qui ont soutenu les différents plans du gouvernement.
« La primaire est le rendez-vous de sept amnésiques qui veulent dissimuler leurs responsabilités dans le naufrage des gouvernements PS depuis 2012. »
Quelle stratégie ce candidat socialiste pourra-t-il mobiliser ?
Il s’emploiera, sans doute par des formules floues et des gadgets fraîchement sortis du chapeau, à essayer de faire croire qu’il n’est pas comptable du terrible bilan du gouvernement sortant. Il cherchera ainsi à protéger les candidats aux législatives afin qu’ils ne soient pas sanctionnés tel qu’ils devraient l’être. C’est la détestable fonction "d’ardoise magique" de la primaire, sorte de rendez-vous de sept amnésiques qui veulent dissimuler leurs responsabilités dans le naufrage des gouvernements PS depuis 2012. A contrario, parce qu’elle se tient à bonne distance des primaires déprimantes, la dynamique de la campagne de Jean-Luc Mélenchon s’est nettement accélérée ces dernières semaines, tranchant de fait avec les débats ennuyeux, les flops d’audience de leurs soirées TV et les salles quasi vides de cette opération solférinienne.
Voter à la primaire du PS revient-il à cautionner le bilan des sortants ?
Oui. Voter c’est amnistier. C’est approuver le travers le plus grave de la Ve République, à savoir l’impunité politique. Augmenter la participation à ce qui n’est finalement qu’un congrès ouvert du PS, un débat entre ex-ministres, revient à effacer la responsabilité collective de ceux qui sont les principaux tenants de l’échec politique des gouvernements de François Hollande depuis 2012. On ne peut tout résumer à une faillite individuelle de cet homme. Se déplacer pour la primaire revient à dire que c’est dans le cadre de cette opération entre responsables du PS que peut se matérialiser la rupture avec les politiques… que le PS a toujours majoritairement soutenu depuis cinq ans. C’est impossible. Accessoirement, cela revient à donner de l’argent à un parti qui a fait les poches aux plus modestes. Pour ma part je ne pratique pas le masochisme politique, et je n’ai pas pour habitude de donner un euro à celui qui me frappe.
Montebourg et Hamon ont dit qu’ils se tourneraient vers Jean-Luc Mélenchon pour discuter, s’ils étaient élus dimanche prochain. Y êtes-vous favorables et que peut-il en sortir ?
D’abord, quel sera le programme global et cohérent de celui qui sera désigné le 29 janvier ? Comme tous les Français, malgré des recherches, je l’ignore. Aucun d’entre eux n’a produit un programme abouti. C’est gênant pour discuter sérieusement, non ? D’autant que le vainqueur pour rassembler le PS, qui risque de voler en éclats, empruntera des bouts des propositions de ses concurrents… Un étrange potage au goût inconnu se prépare. Ne comptez pas sur nous pour l’avaler. D’autant que j’ai entendu ces gens dire qu’ils voudraient rassembler "de Macron à Mélenchon". Quelle farce ! Il n’y a aucune cohérence à cela et c’est assez révélateur de l’entourloupe que cela cache sans doute. C’est un slogan creux qui tient de la posture interne à leurs débats. Entre la pensée économique de M. Macron et celle du candidat de la France insoumise, il n’y a aucune convergence. Donc, derrière les pseudo appels à l’unité, j’ai peur que se dissimulent les tambouilles indigestes, les recherches de combines entre partis à la dérive qui tentent de "sauver les meubles" par des alliances improbables impossibles à installer dans la durée… Bref, tout ce que les citoyens détestent de plus en plus.
« Nous sommes des millions à penser que, plutôt qu’un candidat, cette fois-ci le PS ferait mieux de présenter des excuses. »
Excluez-vous des rapprochements ultérieurs ?
Nous sommes des gens ouverts et notre programme est connu. Il se nomme "L’Avenir en commun". Je n’ai pas entendu une seule des personnes évoquées manifester pour l’instant le moindre intérêt pour ce texte, qui est pourtant parmi les premières ventes d’ouvrages politiques avec déjà plus de 200.000 exemplaires vendus… Quiconque se reconnaît dans notre projet et nos propositions est le bienvenu. Enfin, je rappelle que notre objectif est d’aller chercher ceux qui sont les plus éloignés des formations politiques, ceux qui s’abstiennent, ceux qui en ont ras-le-bol d’être trahis. Il me semble évident qu’en 2017, notre peuple ne se rassemblera pas majoritairement derrière un ex-ministre de Hollande qui propose de refaire confiance au même parti et quasiment aux mêmes personnes. Ou alors au prix d’un cynisme et d’une gigantesque opération de manipulation à laquelle nous ne nous prêterons jamais. La vraie question que devra se poser celui qui sera désigné par la primaire c’est : dans un tel contexte de rejet, à quoi sert une candidature PS ? Une certaine forme de sagesse pourrait l’amener à se retirer. C’est à eux d’en décider. Et franchement, nous sommes des millions à penser que, plutôt qu’un candidat, cette fois-ci le PS ferait mieux de présenter des excuses.
Vous n’adhérez pas au principe des primaires (cf. votre ouvrage Le piège des primaires aux éditions du Cerf), mais si la mobilisation est importante, Manuel Valls pourrait être exclu dès le premier tour. N’êtes-vous pas tenté d’accompagner cette sortie ?
Depuis le 10 février 2016, avec la candidature de Jean-Luc Mélenchon, nous travaillons à cette sortie en créant les conditions réelles d’existence d’un bulletin de vote qui dégage concrètement ce que représente Manuel Valls, sans qu’il soit remplacé par un ministre qui l’a mis en place en 2014. Notre campagne se situe sur un autre plan, celui de redonner un goût du futur en proposant un horizon enthousiasmant pour notre peuple. C’est de là que vient le succès de la France insoumise avec les plus de 200.000 personnes qui l’ont rejointe. Elle s’adresse aux 44,6 millions d’électeurs et non seulement à ceux qui consciemment se définissent comme "de gauche", terme particulièrement confus pour des gens qui l’assimilent aux pratiques des chefs PS.
Qu’est-ce qui, à ce titre, différencie la campagne des Insoumis ?
Nous ne menons pas une campagne du moindre mal, de la résignation obligatoire pour tous, mais de la réalisation du meilleur pour les nôtres. En voici quelques exemples : il faut abolir la monarchie présidentielle en convoquant une Assemblée constituante pour passer à la VIe République afin de donner des droits nouveaux et de solides garanties démocratiques aux citoyens. Le droit de révoquer les élus et la prise en compte du vote blanc dans le suffrage exprimé sont deux mesures phares à cet égard. Il faut avancer vers la transition écologique de l’économie. C’est la voie pour régler la question sociale et la menace mortelle qui pèse sur notre écosystème. La sortie concertée des traités européens doit permettre la mise en œuvre sans contrainte du programme L’Avenir en commun auquel j’invite chacun à se reporter.
« Notre marge de progression est essentiellement dans les milieux populaires, dans la jeunesse. Il faut aller chercher ceux qui sont les plus éloignés des codes traditionnels de la politique. »
Le PCF, par la voix de Pierre Laurent, souhaite un candidat de rassemblement de toute la gauche pour 2017. Jean-Luc Mélenchon peut-il être ce candidat ?
Un seul candidat pour "toute" la gauche… Êtes-vous certain que cela soit le souhait de Pierre Laurent ? Voilà aussi une formule qui risque de virer très vite au slogan creux. De quoi parlons-nous au juste ? Cela n’est jamais arrivé depuis que l’élection présidentielle existe. Même en 1974, lorsque François Mitterrand était le candidat commun du PS et du PCF, il y avait cinq candidats différents de la gauche et de l’écologie. En 1981, il y en avait six et en 1988, ils étaient cinq. Cela n’a pas empêché l’élection de François Mitterrand. Et sans doute y en aura-t-il moins pour l’élection qui vient qu’en 2012. Et si le problème fondamental n’était pas le nombre de candidats dits "de gauche" à cette élection, mais plutôt la distance de beaucoup de nos concitoyens avec ceux qui se réclament de cette dernière ? François Hollande et ses gouvernements en ont fait une notion très confuse et même repoussante pour certains.
L’enjeu se situe donc moins dans un "rassemblement" ambigu que dans une refondation claire ?
Nous avons à mener une bataille idéologique et culturelle pour forger un imaginaire entraînant pour des millions de gens. Il faut convaincre le plus grand nombre et non chercher des astuces. Quelle serait l’orientation de cet hypothétique candidat de "toute" la gauche ? Mystère. Je crains qu’il s’agisse surtout, dans la tête de certains, d’un appel à ce que les partis se mettent d’accord, dans l’opacité, et se partagent les circonscriptions aux législatives de juin. Ils seraient collectivement balayés. Enfin, je considère que Jean-Luc Mélenchon est d’ores et déjà le candidat d’un large rassemblement de femmes et d’hommes qui dans leur majorité n’étaient pas militants de partis, et d’autres qui sont écologistes, communistes, socialistes, etc. C’est toute la stratégie de la France insoumise. Tout le monde peut la rejoindre, sans perdre son identité politique, ni s’affirmer préalablement comme étant "de gauche".
Plusieurs sondages donnent Jean-Luc Mélenchon entre 14% et 15%. Un score qui ne serait pas suffisant pour atteindre le second tour à ce stade. Où sont vos marges de progression ? Quelle est votre stratégie ?
La marge pour devenir majoritaire est dans le peuple, dans les 44,6 millions d’électeurs. Nous ne bâtissons pas notre stratégie sur les sondages. Et d’ailleurs, ce que disent ces derniers – et qui est souvent passé sous silence – c’est que la moitié de nos concitoyens, et plus encore dans les milieux populaires, n’a pas encore fait de choix. Cela recoupe souvent ceux qui se sont abstenus lors des élections intermédiaires depuis 2012, les dégoutés. Notre marge de progression est donc essentiellement dans les milieux populaires, dans la jeunesse. Il est déterminant d’aller chercher ceux qui sont les plus éloignés des codes traditionnels de la politique. C’est la clef de la victoire.
« Macron est le produit de l’oligarchie politico-financière qui cherche une solution pour ne pas perdre la main. Il est gonflé à l’hélium médiatique et sondagier. »
Deux candidats ont créé la surprise depuis le début de la campagne : Macron et Mélenchon. L’un cumule les unes d’une presse enthousiaste, l’autre semble relégué au second plan. Mélenchon paye son désamour avec les médias ?
Votre question est bien naïve. Macron est le produit de l’oligarchie politico-financière qui cherche une solution pour ne pas perdre la main. Il est donc gonflé à l’hélium médiatique et sondagier. D’un point de vue démocratique, c’est assez préoccupant. Son programme libéral, dans la continuité directe de celui de Hollande, est dangereux pour le pays. Il veut "ubériser" notre société, c’est-à-dire la faire revenir au 19e siècle. Ce faux moderne est en réalité un archaïque. Malgré ce matraquage, les mêmes journaux qui pétaradent et se pâment en permanence devant les prouesses de M. Macron oublient de dire que sa candidature est proche du niveau d’estimation de celle de Jean-Luc Mélenchon. De notre côté, il n’y a ni amour ni désamour avec les médias, mais une critique citoyenne que nous portons quand ils ne jouent pas leur rôle de contre-pouvoir qui informe et élève le niveau de conscience. Nous dénonçons les conditions de précarité dans lesquelles travaillent les journalistes. Nous déplorons le buzz qui prend de plus en plus la place du sérieux travail journalistique. Parallèlement, nous forgeons nos propres médias pour nous faire entendre. C’est le cas de la chaine Youtube de Jean-Luc Mélenchon qui, avec ses 180.000 abonnés, est la première chaine d’un homme politique en France.
Vous buttez sur un désaccord stratégique avec vos partenaires du Front de gauche. Souhaitez-vous un accord national aux législatives et qu’attendez-vous de la réunion de lundi avec les communistes ?
Nous ne buttons sur rien. Nous voulons des candidats aux élections législatives en cohérence avec la campagne présidentielle que nous menons. C’est-à-dire celle de La France insoumise. Nous ne voulons pas deux types d’élections, avec deux stratégies différentes, deux programmes différents, ce qui nous rendrait incohérents et nous ferait courir le risque de disloquer la force que nous avons constituée patiemment durant des mois de campagne présidentielle. Je respecte le PCF qui voit les choses autrement, mais il ne peut nous demander de changer la stratégie qui a permis notre succès et notre dynamique pour l’instant. Beaucoup de communistes l’ont d’ailleurs compris et certains sont localement et nationalement les animateurs de cette campagne.
Dans le cadre des législatives, serez-vous bien candidat à Montreuil ?
Oui. C’est une belle campagne qui s’annonce. Dans ce cas comme ailleurs, l’élection législative est une élection nationale. La campagne que nous mènerons sera donc en cohérence totale avec notre campagne présidentielle, basée sur notre programme L’Avenir en commun. Il ne faut donc pas mépriser les électeurs en voulant ramener le débat législatif à des questions de personnes. Comme l’ensemble des forces vives de la campagne, mes journées sont toutes entièrement consacrées à faire grossir une dynamique nationale qui profitera à tous lors des élections législatives de juin. Là où je suis candidat, le député sortant Razzy Hammadi, porte-parole du PS, a soutenu toutes les mesures les plus réactionnaires du gouvernement Valls qui ont fait si mal aux habitants de Bagnolet et Montreuil. Il incarne donc la politique de François Hollande et Manuel Valls. Cela doit cesser. Les habitants de Montreuil et Bagnolet ne sont pas représentés par les votes d’un tel parlementaire. C’est le sens de ma candidature, dans une ville que je connais bien, où j’ai longtemps habité. Cette campagne sera passionnante. Je sais aussi qu’elle sera difficile. Je milite depuis 20 ans aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et j’ai appris, en découvrant les embûches que beaucoup mettaient sur son chemin, que rien dans la vie politique ne vous est jamais offert avec facilité. Cela ne fait que renforcer ma détermination. La victoire est possible.
PARACHUTAGE version 6ème république ?
C’est au tour d’Eric Coquerel (coordinateur du PG ) d’atterrir en Seine Saint Denis, dans la 1ère circonscription.
Ce parachutiste professionnel, habitant à Paris, s’est retrouvé en 2012 dans la deuxième circonscription de la Corrèze, et aux élections européennes de 2014 en France, il est deuxième de la liste du Front de gauche dans la circonscription Sud-Est, liste menée par Marie_Christine VERGIAT.
En 2015 il rentre à Paris pour les élections régionales (où il est élu Conseiller régional sur la liste d’union conduite par Claude Bartolone du PS).
Le PG se cache derrière la France Insoumise pour chasser en vue de la prochaine recomposition politique.
Répondre