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Accueil > monde | Entretien par Laura Raim | 11 mars 2015

Andreï Gratchev : « La Russie ne veut pas d’une vraie guerre »

L’ancien conseiller de Gorbatchev estime que si l’UE est en partie responsable de la dégradation des relations avec la Russie, Poutine a joué un jeu dangereux en exploitant le conflit avec L’Ukraine pour conforter son pouvoir. Aujourd’hui, "la glace est fine".

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Historien et journaliste, Andreï Gratchev vient de publier Le passé de la Russie est imprévisible. Journal de bord d’un enfant du dégel (Alma éditeur, 2014).

Regards. Jean-Claude Juncker veut une armée européenne pour « faire comprendre à la Russie que nous sommes sérieux ». Comment en est-on arrivé là : à craindre une véritable guerre au cœur du continent, entre la Russie et l’Ouest, par Ukrainiens interposés ?

Andreï Gratchev. Ce conflit est le résultat de malentendus réciproques. L’Occident interprète à tort l’annexion de la Crimée en mars 2014 comme le premier pas d’une démarche revancharde et expansionniste d’une Russie qui chercherait à reconstituer son empire, à l’image de l’Allemagne des années 30. Des pays comme la Pologne ou encore certains pays baltes, qui ont des comptes historiques à régler avec la Russie, sont prêts à la présenter comme l’incarnation du mal absolu. Or il faut comprendre que le Kremlin vit son implication dans la crise ukrainienne comme une action défensive face à ce qu’elle analyse comme une tentative de déstabilisation de sa périphérie.

« Il aura fallu un an de crise et 6.000 morts pour que l’on revienne à la case départ »

De quelle nature est cette déstabilisation ?

Elle est double. Déstabilisation stratégique, d’une part, avec la menace d’une Ukraine intégrée à l’Otan qui rentrerait ainsi dans le camp occidental et romprait ainsi ses liens historiques avec la Russie. Et déstabilisation politique, d’autre part, avec la crainte que le changement de régime ukrainien consécutif aux manifestations de Maidan en février 2014 serve d’exemple à l’opposition en Russie et menace le gouvernement de Poutine.

La Russie est donc en position défensive ?

La Russie cherche, depuis le retour de Vladimir Poutine à la présidence pour son troisième mandat, à réaffirmer son rôle sur la scène internationale, mais elle n’était pas initialement dans une position offensive : je ne crois pas que Poutine aurait envisagé d’annexer la Crimée, par exemple, sans l’espèce de coup d’État à Kiev qui a fourni à Moscou un prétexte pour ignorer le nouveau pouvoir ukrainien, illégitime a ses yeux. Par ailleurs, la Russie a raison de reprocher à l’UE de ne pas tenir compte des intérêts russes quand elle décide unilatéralement de lancer son "partenariat oriental" et de proposer de signer des accords d’association économique avec l’Ukraine sans associer Moscou aux discussions. Il aura fallu un an de crise et 6.000 morts pour que l’on revienne à la case départ et que l’UE reconnaisse l’impossibilité de résoudre la question ukrainienne sans la Russie. Là où les Russes deviennent "paranoïaques", c’est quand ils voient partout, que ce soit dans les soulèvements populaires du printemps arabe ou dans les révolutions dites "de couleur" dans sa périphérie, la main de l’occident qui chercherait à remplacer tous les régimes clients de la Russie.

« On assiste progressivement à la fin du mythe Poutine »

Mais ce climat de guerre ne profite-t-il pas au président russe Vladimir Poutine ?

C’est indéniable. S’il n’y avait pas eu cette crise ukrainienne, il aurait fallu l’inventer… Poutine, qui en est à son troisième mandat (si l’on oublie la parenthèse Medvedev), se trouve en effet dans une période fragile. Au début, son "règne" n’était pas contesté. La hausse du prix du pétrole a permis d’assurer quinze ans de stabilité économique, fort appréciés par la population après les années chaotiques de Boris Eltsine. En lançant la deuxième guerre en Tchétchénie, Poutine avait montré à la société qu’il était déterminé a maintenir l’intégrité de l’État russe, quel qu’en soit le prix. Il y a ainsi eu une sorte de contrat social entre la société et le pouvoir : en échange d’une certaine prospérité et du rétablissement de la grandeur nationale, le président était autorisé à régner de manière semi autoritaire. Or depuis le début de son troisième mandat, on assiste progressivement à la fin du mythe Poutine. L’effondrement, l’année dernière, du prix du baril, a révélé la fragilité de la croissance russe et confirmé que, faute de réformes, l’économie nationale était extrêmement vulnérable.

C’est celle fragilité qui a poussé Poutine à voir dans la crise ukrainienne une opportunité politique ?

Les termes du contrat social étant remis en cause, Poutine avait besoin de trouver un nouveau lien avec la société. C’est dans ce contexte que la crise ukrainienne a été utilisée comme l’occasion de restaurer ce lien en mobilisant les sentiments nationalistes contre les "menaces extérieures". Poutine peut ainsi se présenter comme garant du rétablissement de la Russie sur la scène internationale et de la protection des populations russophones de l’ex-URSS. Mais cette posture est un jeu dangereux. Car il n’y a plus, contrairement à l’époque soviétique, de réel équilibre stratégique des forces sur la scène internationale. Le pays, qui est beaucoup plus faible aujourd’hui, n’a pas les munitions de son ambition.

« La dernière chance pour trouver un compromis »

Êtes-vous optimiste quant au respect des seconds accords de Minsk de février ?

Pour le moment, tout le monde a intérêt à respecter cette trêve imposée. À l’intérieur de l’Ukraine, les séparatistes comme les forces du pouvoir central sont épuisés. La Russie ne veut pas d’une vraie guerre, d’autant plus qu’elle a obtenu satisfaction sur ses revendications principales : la promesse de la part de la France et de l’Allemagne qu’elles s’opposeraient à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan ainsi que la reconnaissance de l’autonomie d’une entité séparatiste à l’Est de l’Ukraine. Par son implication dans le conflit, elle a fait comprendre qu’elle ne tolérerait pas l’écrasement par la force du mouvement séparatiste par le pouvoir central ukrainien. Après Minsk 2, l’UE comme la Russie sont conscients qu’il s’agit sans doute de la dernière chance pour trouver un compromis politique et hésitent à franchir les lignes rouges qui feraient basculer dans une escalade militaire aux conséquences imprévisibles. Même quand les clauses de l’accord ne sont pas tout à fait respectées, on fait semblant de croire qu’elles le sont afin d’éviter de jeter de l’huile sur le feu.

Comment la situation peut-elle évoluer, désormais ?

Le meilleur scénario serait ainsi celui d’un maintien de ce conflit gelé, de cette cohabitation précaire ambigüe. Mais l’équilibre est très fragile : d’un côté, les États-Unis, qui ont déjà fourni à l’Ukraine des experts militaires, menacent d’envoyer les armes "non-létales". Dans ce cas, il est à craindre que les séparatistes ou les Russes se servent de ce prétexte pour lancer une nouvelle attaque, par exemple sur Marioupol. La glace est fine… Pour la Crimée, l’Ukraine pourrait s’inspirer du précédent historique de la paix de Brest-Litovsk de mars 1918 : juste après la révolution et face à la défaite militaire, la jeune république bolchévique russe avait accepté de sacrifier, lors de ce qui était qualifiée à l’époque de « paix d’infamie », une partie du territoire national, dont l’Ukraine, pour maintenir le régime bolchévique avec l’espoir de récupérer le territoire par la suite. Et c’est ce qui s’est produit quelques mois plus tard.

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Vos réactions

  • Inviter un mélenchonniste à s’exprimer dans les colonnes de Regards ! Perestroïka ou Glasnost ?

    Fulgence Le 11 mars 2015 à 14:32
       
    • Le même Gratchev exprime longuement dans les colonnes de Mediapart une position parfaitement similaire à celle de Mélenchon. Mais que se passe-t-il ? Je croyais pourtant que tous ces organes représentaient la dernière ligne de défense contre la poutinolâtrie...?

      Wild ar-Rachid Le 11 mars 2015 à 17:05
  •  
  • Aussi je me demande si GRATCHEV ne travaille pas contre J.L.MELENCHON....

    José Le 13 mars 2015 à 11:09
  •  
  • Suite aux déploiement de milices néonazies et de mercenaires en Ukraine, Nulland et la CIA ont imposé « notre homme » , l’homme des USA (Arseni Iatseniouk) comme Premier ministre d’Ukraine.

    Et Mr GRATCHEV cet ancien conseiller de Gorbatchev n’en dit pas un mot ! D’ailleurs c’était peut être pour cela qu’il était un conseiller de Gorbatchev .

    Gratchev ne voit toujours pas dans les agissements des Nuland , Kerry , Hammond ,l’objectif des américains qui préparent politiquement et militairement une nouvelle guerre froide en Europe qu’ils l’ ont déclenchée par le coup d’Etat de Maïdan en Ukraine.

    Aspaar Le 13 mars 2015 à 14:55
  •  
  • Je suis un membre d’Ensemble !, dont la direction (https://www.ensemble-fdg.org/content/mise-au-point-densemble) s’est solidarisée avec la « prise de position » pour le moins trop courte et rapide de Clémentine, avec lesquelles je tiens à dire, de ce fait, que ne suis pas d’accord.
    Car pour commencer, pourquoi avoir répondu d’un simple tweet (- à savoir : « Le point de vue de Melenchon n’est pas celui de tout le FdG. Je crois naïf d’exonérer a priori Poutine/assassinat Nemtsov. Voire. » 09:37 - 6 Mars 2015 -), suivi d’une courte interview à Libération, ...à un premier article du blog de JLM, du 4 mars (http://www.jean-luc-melenchon.fr/2015/03/04/avant-lorage/), qui avait déjà le mérite d’être copieusement argumenté ?...

    Où est donc ici la naïveté ? Où est l’irresponsabilité ? Quelle nécessité de cette prise de distance, sous prétexte d’adopter le point de vue « le plus mesuré » ? De même que l’a fait Pierre Laurent, en réduisant l’affirmation de JLM que Poutine serait la première victime « POLITIQUE » de l’assassinat de Nemtsov, dans une ambiance de logique de guerre bien connue, et dont il s’agissait de démêler les fils (-...en vertu de laquelle il nous aurait fallu, à suivre les media dominants, nous sentir « tous Nemtsov » -) ...à un propos réduit, comme quoi cela n’aurait pas été ce malheureux, mais lui-même « La Première Victime » ( !!!...), vous êtes quelque part, Clémentine, tombée dans le panneau tendu...

    Si, je vous le rappelle, de votre côté, vous avez dit (http://www.liberation.fr/politiques/2015/03/06/clementine-autain-la-premiere-victime-de-cette-affaire-n-est-pas-poutine-mais-nemtsov_1215450 ) : « - Moi, je ne sais pas qui a tué Nemtsov. Il n’est pas certain que Vladimir Poutine soit impliqué dans cet assassinat, même s’il s’agissait de l’un de ses principaux opposants et qu’il s’apprêtait à rendre un rapport sur l’implication militaire russe en Ukraine. Mais ces dernières années ont montré qu’il n’est pas simple d’être en désaccord avec Poutine ! Ne soyons pas naïfs à son sujet. »..., de son côté, Jean-Luc a écrit : « Qui a bien pu tuer Nemtsov ? Naturellement nous n’en savons rien. »... Quelle différence au fond, justifiant ici « le droit à l’expression » d’une différence, d’un « désaccord » public ?!?... Jean-Luc a décrit une LOGIQUE : pas exactement que ce crime visiblement politique aurait été, par exemple, un comble de coup tordu des services secrets américains !... Ceci dit, ce n’est pas lorsqu’il y a doute, qu’il faut s’abstenir d’expression !... C’est là que serait la faute !...

    En outre, si, comme le dit Ensemble !, « les dimensions prises par l’aspect médiatique de l’affaire sont tout-à-fait déraisonnables », et si « nous faisons le choix de l’apaisement » : alors pourquoi, Clémentine, n’avoir pas commencé par dire un mot sur l’orientation stupidement polémique qu’a donnée, à tort, Mediapart, au débat, ...au lendemain même d’un article intitulé « Mélenchon joue à saute-cadavre » ? ...Vos confrères « journalistes-citoyens » sont-ils, eux, par définition, exonérés de modération ? Je rappelle que faisaient suite au titre de cet article les phrases suivantes, toutes en finesse et nuances, ont été écrites : « Jean-Luc Mélenchon dédaigne l’assassinat de Boris Nemtsov et apporte son soutien à Vladimir Poutine. Sa fascination pour la force, l’efficacité, l’occupation musclée du pouvoir, l’éloigne de la conscience démocratique, réduite au rang d’une nocivité yankee. »... !...

    Comment, en laissant dire, sans tiquer, ces caricaturistes débridés, se plaindre ensuite de ce que le Front de Gauche soit relativement en panne ?... N’y avait-il là rien d’exagéré ? Revendiquer notre « droit aux désaccords » dans le Front de Gauche, et de nous prémunir de tel ou tel point de vue prétendument « outrancier », cela ne doit-il pas concerner aussi bien l’outrance chez tels ou tels journalistes, qui se posent en consciences spécialement vigilantes ?...

    Comment accepter un paragraphe tel que « La gauche autoritaire se satisfait de toute tuerie. La gauche autoritaire laisse aux belles âmes le soin de s’émouvoir. La gauche autoritaire interprète le monde là où s’apitoient les idiots inutiles. La gauche autoritaire contemple les omelettes toujours à venir, plutôt que de déplorer les œufs cassés. La gauche autoritaire sait, tandis que la piétaille ne fait que ressentir. » ...Ce qui nous ramène, comme l’a pointé sensément Gaël de Santis, dans un article de l’Humanité du lundi 9 mars, à « l’atmosphère des années 70, quand, pour lutter contre l’affirmation de l’union de la gauche, une coterie de philosophes, autour de Bernard Henri-Lévy et André Glucksmann, inventèrent la notion de gauche totalitaire... » ?!?... (Histoire de nous sauver d’une logique binaire, par une nouvelle logique binaire...)

    Qui donc, dans telles circonstances idéologiquement délicates, où il est recommandé d’enfourcher le point de vue le plus « équilibré » possible, évitera de tomber d’un supposé simplisme dans un autre, autrement dit « de l’autre côté du cheval ?

    Aubert Sikirdji Le 13 mars 2015 à 16:58
       
    • Je suis personnellement au Parti de Gauche, et suis d’accord avec les précédents propos. Préserver nos chances d’avenir, cela réclame que nous soyons vigilants, dans la gauche de gauche, et que nous ne participions pas de jugements expéditifs, qui détruisent, plus qu’autre chose !... Jean-Luc Mélenchon ne méritait pas cela.

      Juliette Sikirdji Le 13 mars 2015 à 19:38
  •  
  • La politique française se résumé à déstabiliser l’opposition...Ainsi nicolas Sarkozy a favorisé JL Mélenchon et François Hollande favorise marine Le Pen...
    C’est pas "jo-jo" mais ils n’ont pas mieux en réserve pour manipuler leurs électeurs.

    Cleamounette Le 14 mars 2015 à 16:45
       
    • "Sarkozy a favorisé mélenchon" Tout le monde sait ça hein Cleamounette. Tu l’a lu dans le dernier Minute qui tapisse le fond de ta poubelle ? Et pour le remercier, Hollande fait la même politique que Sarkozy.

      Fulgence Le 14 mars 2015 à 17:18
  •  
  • Tout à fait d’accord avec Aubert ! J’ai moi même protesté dans notre groupe d’ensemble 14/61 ! D’autant plus que j’ai entendu à ce sujet JLM à Public Sénat ! Donc au lieu d’affirmer que c’est la position d’Ensemble, il faudrait mieux dire qu’il y a des opinions différentes à ce sujet dans l’organisation !

    LE BRIS RENE Le 14 mars 2015 à 18:50
  •  
  • Bonjour,
    j’ai toujours pensée , que la Russie était sur une position défensive. et qu’on est dans le délire, manipulation, intoxication, quand , on veut faire croire que la Russie veut envahir la Pologne, les pays Baltes ou autre pays de l’Est. la Russie ne veut plus , et n’a plus les moyens d’occuper ces pays. Elle a laisser tomber le Pacte de Varsovie, retirer ses troupes(ce qui n’est pas le cas des USA , et de l’OTAN qui avance ses troupes). Les Russes , on simplement, dit sur l’Ukraine cela suffit, il y a une ligne rouge à ne pas dépasser, sinon c’est le conflit. On t-il les moyens , et la volonté de se faire respecter, l’histoire le dira. Pour eux, l’Ukraine c’est important qu’elle reste dans le camp Russe, pour des raisons multiples , économique, culturelle, historique, et surtout géopolitique et géostratégique. L’affaire Ukrainienne, et autant comparable à la Yougoslavie , qu’a Cuba, lors de l ’affaire des Missiles.A cette époque les USA on trouver inadmissible que des Missiles Soviétique s’installe a leur portes.C’est pour cela que je pense que les multiples provocations de l’Europe, des USA, la volonté de faire tomber l’Ukraine dans le camp occidentale, peuvent trés bien, par accident , dérapage, surenchère déclencher un conflit nucléaire. Madame Autain , par sa méconnaissance de la géopolitique, géostratégie, et sa naïveté, et idéalisme, ne mesure pas toutes les implications et conséquences, tant pour l’Ukraine, et la Russie.

    Bob Le 27 avril 2015 à 12:04
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