Quelle qu’en soit l’issue, le "Pénélope Gate" aura eu le mérite d’agir comme le révélateur de la panique qui s’est emparée des défenseurs de François Fillon, mais aussi de leurs conceptions profondes de la démocratie et des responsabilités publiques telles qu’ils les exercent. Florilège, crescendo.
Argument "Je n’ai rien à me reprocher"
« Je veux vous dire que je n’ai rien à me reprocher », a déclaré François Fillon devant les parlementaires LR, mercredi. C’est plus qu’un argument, c’est la position cardinale de l’ancien premier ministre, le postulat de sa défense qui proscrit toute reconnaissance de responsabilité, même partielle. Dès le 25 janvier, Florence Portelli en posait les bases : « Je ne vois pas où est le problème » et « il n’y a rien d’illégal ». Hier, Damien Abad, lui aussi porte-parole, estimait que si Fillon « parfois, se défend mal », c’est parce qu’il « n’a jamais été en lien avec les affaires ».
Argument : "Où va-t-on si nous ne sommes plus au-dessus des lois ?"
« Les parlementaires ont une enveloppe et ils font ce qu’ils veulent », a laissé échapper François Fillon. Soutenu par François Goulard (« Juger de l’effectivité de leur travail doit-elle (sic) être soumise à l’appréciation des juges ? Il est permis d’en douter »), Julien Dray (« Si la justice peut se mêler du travail de mon assistant parlementaire, quelle est ma véritable liberté ? ») ou encore Michèle Alliot-Marie (« Je pense qu’à partir du moment où quelqu’un a un travail à effectuer et qu’il l’effectue bien, on n’a pas besoin – et c’est même dangereux – de regarder qui il est exactement »). La palme à Philippe Vigier (UDI, porte-parole de Fillon) : « Les puissants ne sont plus protégés, les politiques ne sont plus protégés ».
Argument "La démocratie est en danger"
« Cette intrusion de la justice dans le domaine politique pose un véritable problème institutionnel », lance François Goulard, président LR du Conseil départemental du Morbihan qui n’hésite pas à réinterpréter le principe de séparation des pouvoirs, qui « ne devrait pas être un vain mot ». René Dosière, député apparenté PS, « trouve que c’est une procédure inhabituelle qui peut porter atteinte à l’indépendance du Parlement ». La séparation des pouvoirs, ce serait donc l’interdiction pour la justice de regarder dans l’arrière-cuisine des politiques. On dirait plutôt que ceux qui mettent vraiment la démocratie en danger se sentent en danger à leur tour.
Argument "Salauds de journalistes"
« Je ne pardonnerai jamais à ceux qui ont choisi de nous jeter aux loups », a clamé François Fillon à la Villette, qui évoquera aussi une « meute » à Charleville-Mézières. Pas celle des chiens de garde. « Avez-vous l’intention de feuilletonner longtemps ce poison lent qui influe sur l’élection ? », a demandé Ruth Elkrief, inquiète des effets délétères de l’affaire, au patron du Canard enchaîné.
Argument "C’est un coup des juges bolcheviques"
Selon François Goulard encore, « les juges aujourd’hui s’arrogent le droit de faire ou de défaire un président de la République » (Fillon le serait-il déjà ?). Ceci alors que les juges d’instruction sont « par hypothèse politisés ». Même que « certains pourraient être tentés de penser que la magistrature est d’autant plus encline à sortir de son rôle qu’elle est incapable de remplir la mission que lui assigne la société ». C’est-à-dire pourchasser les vrais délinquants, pas ceux qui tapent dans les caisses publiques en toute respectabilité.
Argument "C’est une odieuse machination"
« C’est un coup d’État institutionnel de la gauche au pouvoir », a lâché à ses équipes François Fillon qui, décidément se croyait déjà à l’Élysée. Il se dit victime d’une « opération de calomnie », « organisée, professionnelle », d’attaques « soigneusement mijotées dans les arrière-cuisines des officines ». Français, la présidentielle est « prise en otage » ! Dans le communiqué des députés LR, on retrouve les loups et les otages, mais aussi un « pilori » et un « bûcher » ainsi qu’une « tentative de mise à mort ».
« À qui profite le crime ? Au pouvoir », accuse Éric Ciotti, qui désigne l’Élysée. Nathalie Kosciusko-Morizet ou Yves de Kerdrel (Valeurs Actuelles) jugent douteux le timing des révélations. Auraient-ils souhaité qu’elles interviennent plus tôt, pensent-ils que les faits reprochés auraient été moins graves ? La question n’a pas été posée.
Argument "On va quand même pas changer le storytelling maintenant"
« Cela fait trente ans que François Fillon a géré toutes les collectivités, mairie, département, trente ans de vie exemplaire et du jour au lendemain, à trois mois des élections, il devrait porter sur ses épaules tout le fardeau des pratiques des parlementaires de la Ve République ? » Me Antonin Lévy, son avocat, mobilise la théorie du bouc émissaire. Damien Abad s’essaie à la méthode Coué, ou bien oublie de parler au passé : « François Fillon incarne la moralité publique ». Peut-être aux standards d’il y a dix ans, mais ils semblent en train d’évoluer très vite.
Argument "Pénélope, c’est le chat de Schrödinger"
« C’est une femme qui ne fréquente pas les couloirs de l’Assemblée nationale », a déclaré François Fillon – ce qui est embêtant pour une attachée parlementaire. Bernard Accoyer l’y a pourtant « vue souvent »… mais pas Bruno Retailleau : « C’est une élue sarthoise. Évidemment à Paris, on ne la voit pas ». L’avocat du couple a tenté de dire que « le travail de collaborateur parlementaire (…), c’est parfois quelque chose de moins tangible, de moins matériel mais qui pour autant est tout aussi réel quand on regarde les choses après coup ».
Elle était là, mais elle n’était pas là. Elle ne travaillait pas, mais elle travaillait. Elle n’était pas à Paris, mais dans la Sarthe (et inversement). Elle était à la permanence du député, mais la permanence était à la maison. Elle était l’assistante parlementaire de son suppléant quand lui était ministre – ou vice versa, on ne sait plus. Et, comble de malchance, impossible de remettre la main sur ses fiches de paie et ses contrats (dont elle ne sait plus si elle les a signés).
Argument "Les feux de l’amour"
« Je veux dire à Penelope que je l’aime ». Lors de son meeting à La Villette, François Fillon n’a pas manqué d’évoquer l’amour qui le lie à son épouse, bouleversant ainsi Laurent Delahousse qui, au JT de France 2, a demandé à François Baroin comment il expliquait « cette émotion qu’on a tous ressentie en écoutant François Fillon ». Si l’amour n’excuse pas tout, peut-être le candidat LR envisage-t-il déjà de plaider le crime passionnel devant les juges.
Argument "François est victime de son milieu"
« On peut avoir de jeunes étudiants qui se tournent vers leur père en disant : "Toi qui peux tout, tu peux peut-être nous aider à travailler". Ce sont des choses qui arrivent dans toutes les bonnes familles », a déclaré Gérard Longuet, compréhensif. Voici un surprenant retour de l’excuse sociologique au sein de la droite.
Reconnaissons à cette défense sa légitimité : expliquer n’est pas excuser, et il n’y a pas de raison que les bourgeois délinquants échappent plus aux déterminismes sociaux que les pauvres délinquants. On dira même que le problème réside précisément dans un environnement qui se considère au-dessus des lois et a un rapport à l’argent particulier. Merci Gérard, donc.
Argument "Y a pas mort d’homme"
Popularisé par Jack Lang à propos de l’affaire DSK, il est repris par l’inénarrable François Goulard : « Si notre candidat avait tué père et mère, l’intervention de la justice ne souffrirait aucune critique ». Mettons ça sur le compte de l’attachement de la droite fillonniste à la famille.
Argument "C’est un homme blessé"
« Il a été touché, il a été heurté… C’est rare de le voir comme il a été cet après-midi. À plusieurs reprises, très ému… », s’alarme Laurent Delahousse, réconforté par François Baroin : « Il a laissé transparaître son émotion, mais il a été fort ». Ruth Elkrief, elle, est tout en empathie : « Comme femme, je ressens une forme de solidarité au sens où Penelope Fillon n’a pas demandé à se retrouver au milieu de cette tempête et elle est assez bouleversée ». Les irresponsables qui révèlent de telles turpitudes devraient y réfléchir à deux fois : ils font du mal à leurs auteurs.
Argument "C’est une femme sacrifiée"
« Quand vous avez une épouse ou un conjoint qui se sacrifie pour soutenir son élu, que peut-il faire d’autre que d’en être le collaborateur ? », interroge Gérard Longuet. « En milieu rural, le rôle de l’épouse et celui de l’assistante parlementaire sont difficiles à distinguer », témoigne l’ex-député UMP de la Sarthe Pierre Hellier. Pour la spécialiste police-justice de BFMTV [1], « On peut comprendre le rôle que Pénélope Fillon a pu jouer auprès de son époux. Elle était à ses côtés en permanence, elle ouvrait le courrier ». Vous comprenez, explique encore Gérard Longuet, « Un élu comme François Fillon a une responsabilité vis-à-vis de celle qui s’est sacrifiée pour lui, pour qu’il puisse avoir une circonscription tenue, une vie équilibrée, un soutien ».
Tous semblent plaider pour le salaire des femmes au foyer : mieux que ça, ils justifient son application anticipée. En plus, « dans le secteur privé, elle aurait gagné deux fois plus d’argent », ajoute Longuet. Les assistants parlementaires, « C’est l’un des rares cas où les femmes sont mieux payées, c’est un motif de fierté. » : Gérard Larcher tente un double salto arrière, mais la réception est difficile.
Argument "Les heures les plus sombres de l’histoire"
« J’ai connu un régime en Europe centrale dans lequel, à partir du moment où on était l’enfant de quelqu’un de diplômé, on n’avait pas le droit d’aller à l’université : c’était le régime de Ceausescu. » Michèle Alliot-Marie atteint ainsi une version du point Godwin que l’on pourrait rebaptiser point Staline. Un instant, on crut que François Fillon allait évoquer le pacte germano-soviétique : « Cette opération ne vient pas de chez nous, pas de notre camp. Cette affaire vient du pouvoir. Ils font prendre à notre pays un énorme risque, celui de voir les extrémismes arriver ».
Argument "D’façon c’est trop tard"
« Les électeurs se sont prononcés. Quatre millions de Français se sont prononcés » ; « François Fillon a la force de près de quatre millions d’électeurs qui ont voté pour lui, cette force doit être respectée ! » François Fillon et Éric Ciotti exagèrent d’un million, mais on n’est plus à ça près. « Il n’y a pas de plan B, il y a un plan F qui s’appelle Fillon », renchérit Xavier Bertrand (qui n’a heureusement pas évoqué de plan X). On peut aussi penser que le plan F est foutu.
Argument "rien à foutre"
« Sois candidat même si tu es mis en examen : regarde, moi, je m’en fous ! » C’est Serge Dassault, mercredi, qui a encouragé en ces termes le futur ex-candidat de la droite. Las, le lendemain de ces propos, Serge Dassault est condamné à cinq ans d’inéligibilité et deux millions d’euros d’amende pour blanchiment de fraude fiscale.
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Le spectacle donné lors des derniers jours aura donc été total, et la défense de François Fillon n’aura fait que le trahir un peu plus. C’est-à-dire trahir une conception de la vie publique qui fait de la France la risée de la plupart des autres démocraties – où un retrait immédiat et des excuses constitueraient la seule option envisageable, indépendamment de la "légalité" des faits.
Le pire est probablement que l’intéressé doit se sentir réellement innocent et injustement attaqué : c’est dire l’ampleur du désastre démocratique actuel. On peut aussi voir dans cette affaire le signe qu’une époque s’achève – sans être sûr que la suivante sera meilleure.
Sans oublier la réaction de Dominique Bussereau, soutien de François Fillon, qui juge sur LCP que si on interdit aux politiques d’employer leurs conjoints "il faudra le faire pour les épiciers, les bouchers".
On a envie d’ajouter...
Epicières, bouchères, qui, comme chacun sait, occupent des emplois fictifs pour lesquels elles sont payées plus de 7000 € mensuels, prélevés sur les fonds publics...
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