Regards. Finalement, Johnny est mort. Mais c’est possible, ça ?
Arnaud Viviant. Il n’est pas impossible qu’il ressuscite. Comme le chante Tom Petty dans Have Love, Will Travel : « Ceux qui en font aime le rock comme vous aimez Jésus / Ça fait la même chose à leurs âmes ». Voyez comment la mort d’Elvis Presley a longtemps été sujette à caution aux États-Unis. Hier, nous avons perdu un Immortel, Jean d’Ormesson. Bien qu’elle ne soit reconnue ni par l’Académie ni par la Pléiade, l’immortalité de Johnny est beaucoup plus probable que celle de l’écrivain.
Johnny au Panthéon, ça a du sens pour vous ?
Cette manie de vouloir mettre les gens au Panthéon ! C’est froid, lugubre, mal aéré, et personne ne vient vous voir ! Pour le reste, pourquoi pas. Johnny est une mythologie au sens où Roland Barthes l’entendait quand il expliquait par exemple que l’Abbé Pierre en était une.
Ce que Johnny mythologise, c’est la jeunesse. Dans l’idole des jeunes, le mot important n’est pas celui qu’on croit. La jeunesse est une invention de la seconde moitié du vingtième siècle, le concept n’existait pas avant la Seconde guerre mondiale, pas plus d’ailleurs que celui de génération. La jeunesse a sa culture, sa musique, ses modes vestimentaires et de consommation. Quelqu’un la symbolise : aux États-Unis, c’est Elvis, en Angleterre les Beatles. En France, c’est Johnny. Johnny est pour notre pays le visage et l’acte de naissance du concept de jeunesse.
En 1961, dans sa chronique télé, Mauriac écrit : « Ce frénétique a peu de voix. Le seul chanteur à ma connaissance qui articule mal. On ne perd pas un mot de ce que chantent les autres ; mais chez celui-là rien de perceptible que les cris d’un "delirium tremens" érotique, et érotique à froid. Ce paroxysme imité des Noirs est horrible chez les Blancs parce qu’il ne participe pas au sacré. Au pire de leur frénésie, les Noirs gardent le contact avec l’invisible. Mais cette pitoyable jeunesse qui hurle et qui casse tout, mais ces danses de singes méchants et obscènes… »
Trois ans plus tard, Johnny est au service militaire et Mauriac écrit, toujours dans sa chronique télé : « Quelle voix il a, et qui lui permettra de se renouveler. Plus je vis, et plus je me persuade qu’un grand succès, quand il dure, se justifie toujours, et que le public est infaillible. »
De quoi Johnny est-il le nom ?
De la jeunesse, on l’a dit, de la société de consommation, et bientôt de la France. Comme d’Ormesson d’ailleurs, Johnny est d’une francité qui ne s’exporte pas, car incompréhensible à l’étranger. Il n’est qu’à nous, quand Bardot par exemple, son unique rivale mythologique, appartient au monde entier.
Johnny n’était pas de gauche, mais l’écouter peut-il l’être ?
Je me souviens de ma colère quand il a saccagé la chanson de Michel Berger en : « On a tous en nous quelque chose de Jacques Chirac » ! Un odieux détournement politique ! Johnny, c’est l’artiste du peuple, quand celui-ci existait encore. Et donc l’artiste de la démocratie au faîte de son existence. De Raffarin à Sarkozy, les politiques populistes l’ont bien compris. Johnny était tout sauf un artiste politique, un chanteur engagé. Il n’était que le rock’n’roll en lui-même.
Johnny bof !
Répondre