Accueil > actu | Par Louise Deschamps, Rémi Douat | 14 décembre 2015

Bartolone, le pouvoir comme seule conviction

Le candidat socialiste – défait – à la présidence de l’Île-de-France a voulu jouer de toutes les facettes de son parcours pour conquérir la région. Portrait d’un habile dont la longue marche est parfois passée sur les autres, avant le coup d’arrêt de ce 13 décembre.

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Portrait extrait du numéro d’automne de Regards

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Juin 1981, la Seine-Saint-Denis vit un séisme politique. Jusqu’alors, les neuf députés de ce département ouvrier étaient tous communistes. Mais dans la foulée de l’élection de François Mitterrand, quatre socialistes parviennent par surprise à gagner leur siège à l’Assemblée. Parmi eux, Claude Bartolone. Il a à peine trente ans et vient de conquérir sa place en déboulonnant une communiste, la députée-maire de Bagnolet Jacqueline Chonavel. Il ne l’oubliera jamais.
Ses débuts, il les fait dans l’ombre de Laurent Fabius. Claude Bartolone est longtemps son "porte-flingue". Il aime la conquête, le combat politique. La répartition des rôles est acquise : au fils prodige de la Mitterrandie la formalisation, à Barto la "mise en œuvre". Il fait siennes les vues du jeune premier ministre venu remplacer Pierre Mauroy à Matignon, en 1984, quand l’union de la gauche version programme commun explose. Ce sont les années de jeunesse, celle des apprentissages dans un contexte de très grande tension entre socialistes et communistes. Ce goût de l’affrontement ne le quitte plus. Aimant jouer le "bad boy", il lance son meeting de début de campagne pour les régionales par un « Bon sang, il n’y a rien de tel que le parfum d’une campagne électorale ! » Une défaite dans les urnes ? Il n’en a connu qu’une, aux cantonales de 1992. Aussi Barto cultive-t-il l’image du gagneur et du cogneur. Ce n’est pas qu’une image.

Coco killer en Seine-Saint-Denis

« C’est un tueur », lâche le député PS de l’Essonne, Michel Pouzol. Jacqueline Rouillon, ex-maire Front de gauche de Saint-Ouen et conseillère générale, se souvient de sa faible inclination pour le débat autant que de sa violence : « Il ne supporte pas qu’on lui résiste. Alors qu’il venait d’être élu président du Conseil général, nous avons eu une séance mémorable sur l’endettement du département. C’était un vrai cours magistral, sans débat. L’objectif : montrer à quel point les communistes avaient mal géré le département. Et comme je me suis indignée de cette absence de débat, il m’a lancé, menaçant, en pleine séance : "Ça se règlera à Saint-Ouen !" ».

Barto ne déteste pas entretenir le cercle de ses ennemis. L’hostilité entre lui et les communistes de Seine-Saint-Denis est solidement ancrée. « La méthode Bartolone en Seine-Saint-Denis, ça a été de tuer les communistes, résume sans détour un élu. Il est celui qui s’est ingénié, dans le seul but de la conquête, à creuser les divisions locales entre socialistes et communistes. Il y avait en Seine-Saint-Denis une forte tradition d’union de la gauche qu’il s’est appliqué à détruire en faisant des communistes l’ennemi principal. » À Montreuil, Villetaneuse, Saint-Ouen, La Courneuve ou Saint-Denis, notamment, il a conduit les hostilités. À Saint-Denis, il n’hésite pas à débarquer le secrétaire de section historique, George Sali, pour placer son poulain, Mathieu Hanotin. Objectif : dégommer les communistes et le maire sortant Didier Paillard (PCF). La droite applaudit des deux mains. L’UDI Jean-Christophe Lagarde félicite Claude Bartolone de « grignoter l’empire communiste » et Éric Raoult, ancien député-maire du Raincy, le surnomme "Coco killer".

Preuve de son efficacité de tueur, Bartolone parvient en 2008 à ravir aux communistes la présidence d’un Conseil général réputé imprenable. Ce département n’avait-il pas été dessiné quarante ans plus tôt comme un bantoustan communiste supposé circonscrire leur influence ? De coup de boutoir en coup de boutoir, Bartolone fait mieux que les gaullistes : il les déloge. Du Conseil général d’abord. De villes ensuite. Le résultat est moins probant en 2014, marqué par un affaissement de toute la gauche : le département rouge vire au bleu et la collecte socialiste est nulle. Les barto-boys ne parviennent à s’imposer ni à Montreuil et ni à Saint-Denis face aux communistes et aux Verts. Mais la gauche dans son ensemble est affaiblie gravement et perd des fiefs au profit de l’UDI ! Barto ne gagne pas à tous les coups.

Le sens du tempo, le goût des premières places

Bartolone parvient à élargir le cercle de ses ennemis aux écologistes du département. Sa gestion est directement mise en cause par Dominique Voynet lorsqu’elle jette l’éponge, en mars 2014. Ses propos rappellent ceux de l’ancienne maire de Saint-Ouen : « Pour être réélue, je devrais me résoudre à des compromis, à des alliances, à des prises de position qui bousculent mes valeurs et mes convictions et me conduiraient à ne plus me ressembler ». Elle fait allusion dans Libération à un « parrain de la Seine-Saint-Denis », dont elle ne voulait pas avoir à « baiser la bague ». Selon Dominique Voynet, Claude Bartolone se trouverait à la tête de « gens qu’il a placés, à tous les niveaux de responsabilité » dans le département et « qui lui doivent beaucoup ou qui croient lui devoir beaucoup ». Don Bartolone, cet autre surnom lui colle désormais à la peau. Arnaud Montebourg l’a appris de l’ire qu’il provoqua quand il osa soutenir Ségolène Royal en 2006 (dans la primaire qui l’opposait à Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius). Comment celui qu’il pense avoir fait député en lui réservant une circonscription imprenable peut-il ainsi choisir ce camp ? Bartolone s’étrangle.

Mais ce sens de l’action aux confins de la violence et de la domination lui sourit le plus souvent. Car Bartolone a aussi le sens du tempo et, désormais, une haute idée de sa personne. Le goût des premières places, il l’a acquis à son poste de ministre délégué à la Ville dans le gouvernement Jospin. Être le bras droit de Fabius ne lui suffit plus tout à fait, d’autant que ce dernier traverse une sévère période de solitude après 2005. Les socialistes ne lui pardonnent pas d’avoir fait savoir qu’il voterait "non" au Traité constitutionnel européen (TCE). Hollande est particulièrement rancunier. Fabius perd largement la primaire de 2006. Bartolone trouve à s’extirper du placard quand Ségolène Royal a besoin de rassembler toute la famille socialiste. Il sera le représentant de la "fabiusie" dans l’équipe de campagne. Il y gagne sa place et ne fera pas que de la figuration. Mais c’est aussi le début de la fin entre les deux hommes.

Désormais, Claude Bartolone ne roule plus pour Fabius, mais pour lui même. La séparation est consommée en 2008. Les anecdotes sur leur divorce sont légion. On raconte que Fabius lui aurait reproché d’avoir mal défendu les intérêts du courant dans les négociations internes lors de l’épique congrès de Reims – qui imposa Martine Aubry à la tête du PS face à Ségolène Royal. Pas assez de secrétaires nationaux obtenus, aurait tancé l’ancien premier ministre ! Pire, le mépris de classe affleure dans la bouche de Fabius lorsque Bartolone le consulte sur son ambition de conquérir le département : « C’est beaucoup de travail, je ne crois pas que ce soit une bonne idée ». Pour le fils de d’ouvriers agricoles émigrés en Tunisie, c’est un peu raide.

Convictions minimales, critiques homéopathiques

Car Bartolone est fier de son parcours. Il n’est pas de grands discours où il ne rappelle ses origines populaires, son arrivée au Pré-Saint-Gervais en 1960, le projet de CAP de mécanique qu’il parvient à transformer en licence de mathématiques. Pour cet homme politique intégral, faire valoir ses origines populaires et immigrées, ainsi que sa fidélité à la Seine-Saint-Denis, relève autant de l’orgueil personnel que du calcul politique. Dans un paysage politique d’une consternante homogénéité sociale, Bartolone se prévaut sans modération de ses ascendances. « J’ai vécu trente ans dans la même rue en Seine-Saint-Denis, expliquait-il à la presse en 2013, J’ai juste changé de côté pour avoir une plus belle vue. »

Mais cette insistance n’est pas sans relation avec ses convictions. On lui en connaît peu, sauf celle qu’il partagea avec Fabius dans le désastre de 2002. Comme Fabius, il analyse l’éviction de Jospin par le fossé entre les socialistes et le peuple. Répondant à un chat du Monde, il dit : « Vous avez certainement remarqué que nous avons perdu les élections le 21 avril. Et il serait irresponsable aujourd’hui de ne pas tirer les leçons de ce terrible échec, de ne pas prendre en compte le fait que la mondialisation qui se construit est plus dure, difficile à vivre pour les salariés que ce que pouvaient imaginer bien souvent les plus pessimistes ». C’est pour combler ce fossé qu’avec Fabius, ils prennent position en faveur du "non" en 2005. Les fabiusiens, classés à la droite du PS, surprennent. Ce brouillage d’image, ce repositionnement, Bartolone va le faire fructifier. Il devient le pote de tout le monde. Et aujourd’hui qu’il mène campagne, il n’hésite pas à dire : « On peut vivre avec 4 % de déficit budgétaire, pas avec 4 degrés de plus », histoire d’entretenir une petite musique critique, de parler à l’oreille du Front de gauche et des écologistes. La conquête de la présidence de région est à ce prix.

« Au-delà de la surface, Claude Bartolone n’a pas beaucoup investi les idées », estime pourtant le politologue Rémi Lefebvre. Il fait de ses origines populaires et de son appartenance à la Seine-Saint-Denis son viatique, un substitut d’identité politique. « Il est difficile à situer dans le PS, poursuit Rémi Lefebvre, car il a toujours réussi à se créer une image décalée. » Claude Bartolone brouille les cartes à loisir, respecté comme un possible adversaire par François Hollande, proche de Martine Aubry mais sans jamais frayer avec les frondeurs. Afin d’affirmer ses ambitions, il s’autorise parfois la critique vis-à-vis du gouvernement. « Certes, mais de manière homéopathique », répond Rémi Lefebvre. Dans la salle des quatre-colonnes, on ne se bouscule pas pour parler du président de l’Assemblée. On n’insulte pas l’avenir. « Il n’a pas vraiment de structure politique, pas d’idée, mais c’est bon tacticien », lâche quand même un élu socialiste. « Un très bon manœuvrier qui n’a jamais eu ni idée ni ligne politique », tacle encore un jeune député PS. « Il a une stature plus qu’une ossature », estime Jean-Daniel Lévy, directeur de l’institut Harris Interactive. « Le bartolonisme n’existe pas », confirme Rémi Lefebvre.

La région fera l’affaire

Si le bartolonisme n’existe pas, Claude Bartolone existe de plus en plus. Lui qui se voyait président de la future métropole parisienne a dû renoncer à ce rêve. La droite est désormais majoritaire dans l’espace francilien. Il rebondit et parvient, à la surprise générale et sans vote, à obtenir l’investiture socialiste. Un député socialiste raconte : « Sa méthode, c’est la Blitzkrieg, la guerre éclair ». La tactique repose au moins autant sur la violence de l’attaque que sur son caractère inattendu. En une déclaration sur BFMTV et un tweet pour clouter le tout, il annonce sa candidature. L’affaire est dans le sac, il envoie Marie-Pierre de la Gontrie et Jean-Paul Huchon au tapis. Le roi socialiste de l’Île-de-France ce sera lui, ou personne. Au passage, il jette par-dessus bord ses "convictions" en faveur de la métropole parisienne. Après avoir dit ses préférences pour une métropole des cathédrales allant de Reims à Orléans et de Rouen à Amiens, il a été le premier à demander la fin des départements au profit d’une nouvelle institution métropolitaine intégrée. Désormais il se demande : pourquoi faire ? Il imagine que, lui président, il n’y en a plus vraiment besoin et que la région fera très bien l’affaire.

N’attendez pas de lui des idées affirmées sur le rôle de la région. Il annonce que sous sa présidence, l’Île-de-France sera humaine : tant mieux ! La politique locale, les questions territoriales, ce n’est vraiment pas son fort. Le bilan de son passage au Conseil général apparaît bien mince, hormis la généralisation des partenariats public privés (PPP), notamment pour la construction des collèges, dénoncée par le Front de gauche comme une bombe à retardement. « Il n’a eu aucune vraie réflexion sur l’échelon départemental, estime un cadre du Conseil général. Claude Bartolone n’est absolument pas un bâtisseur de politiques publiques. Il s’est servi de ce mandat comme d’un marchepied pour la suite de sa carrière politique, au niveau national, mais a été particulièrement absent dans la vie au quotidien du Conseil général. » Cela s’est traduit très concrètement par un glissement organisationnel : « Il a en quelque sorte présidentialisé le pouvoir en diluant celui des vice-présidents ».

S’il parvient en décembre à se faire élire vice-roi de France, sera-t-il comblé ? Rien n’est moins certain. À soixante-quatre ans, Bartolone est une jeunesse. Il a sa vie politique devant lui.

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Vos réactions

  • Et Pierre Laurent (et Coquerel, et Pelissier, et Autain…), il est fier de son parcours ?

    Ferdinand14 Le 14 décembre 2015 à 14:40
  •  
  • "Barto ne déteste pas entretenir le cercle de ses ennemis. L’hostilité entre lui et les communistes de Seine-Saint-Denis est solidement ancrée."

    Détrompez-vous. Lesdits communistes n’ont jamais résisté à la main mise de Bartolone sur le département, tétanisés qu’ils étaient de perdre leurs mandats, au Conseil Général mais également dans les municipalités. Ils se sont laissé docilement tondre la laine sur le dos sans pratiquement réagir, même au niveau du Comité Fédéral, comme s’ils étaient envoûtés. Rappelons qu’en 1981 le PCF représentait encore une puissance au plan national et qu’il aurait pu dégager le petit Bartolone sans problème s’il l’avait voulu. Aucune réaction donc et plus énigmatique encore, aucune animosité non plus. Aujourd’hui encore, le fait d’appeler à voter Bartolone ne pose aucun problème aux cadres communistes du 93 dont la plupart sont potes avec lui, alors que cela serait complètement inenvisageable pour toute autre organisation politique dans un tel contexte. C’est incroyable mais c’est pourtant vrai.

    ARDUS Le 14 décembre 2015 à 17:56
  •  
  • Vous auriez pu parler de sa grande amitié avec Bernard Tapie.

    Aurélien Le 15 décembre 2015 à 01:33
  •  
  • Le PCF n’a jamais résisté à l’appel d’un bol de soupe pour une place d’élu.

    Le PCF ne sachant et ne voulant pas cuisiner, a toujours eu besoin d’un cuisinier, fût-il son fossoyeur - selon l’antique théorème d’un mal pour un bien ....

    La_Renaudie Le 15 décembre 2015 à 08:23
       
    • L’anticommunisme est dans l’ADN de la plupart des contributeurs... visiblement, ils se défoulent.
      LE PCF est bien là n’en déplaise à tous les bobos de service...

      nontron Le 15 décembre 2015 à 21:13
    •  
    • Non erreur camarade, ce n’est pas de l’anti, juste marre que la tactique l’emporte toujours sur les principes par centralisme démocratique toujours en place.

      Depuis que Marchais est passé à la télé, il a marqué les interview de tous nos politiques, jusqu’à maintenant : la politique spectacle.

      La_Renaudie Le 16 décembre 2015 à 09:13
  •  
  • Ce portrait pourrait être appliqué à beaucoup d’élus ayant fait vers 20 ans le choix d’une carrière politique, et uniquement occupés depuis à gérer cette carrière dés leur entrée dans la vie active. Tous les partis sont concernés, y compris le PCF qui n’a rien a envier aux autres. Pierre Laurent en est une illustration.

    Bernardino Le 15 décembre 2015 à 09:20
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