Accueil > économie | Par Jérôme Latta | 24 avril 2014

C’est quoi le Partenariat transatlantique ? Dix réponses pour mesurer le danger

TAFTA, TTIP, PTCI… Ce qui se trame derrière ces sigles et dans les négociations secrètes entre l’Union européenne et les États-Unis, c’est la liquidation progressive du pouvoir des États et des citoyens face aux multinationales. Il est urgent de n’en rien ignorer.

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Comment ça s’appelle ?

APT (Accord de partenariat transatlantique), TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), PTCI (Partenariat transatlantique sur le commerce et l’Investissement) TAFTA (Trans Atlantic Free Trade Agreement) tout à la fois. Le diable se loge dans les acronymes et la confusion sert les promoteurs de l’opération. Certains opposants réfutent la notion de partenariat et préconisent l’appellation Grand marché transatlantique (GMT), qui a le mérite d’être explicite.

Qu’est-ce que c’est ?

Un traité de libre-échange actuellement en négociation (depuis juillet 2013) entre l’Union européenne et les États-Unis, qui vise en principe à abaisser les droits douaniers, mais cherche surtout à unifier un grand marché transatlantique (voir ci-dessus). C’est le dernier épisode en date d’un processus d’intégration mis à l’agenda depuis l’éclatement du bloc de l’Est, ayant pour objectif l’harmonisation des législations, des règlementations et des normes – avec des arrière-pensées géopolitiques, comme le souci de contrecarrer l’expansion économique de la Chine.

Est-ce qu’on nous cache tout ?

Presque tout. C’est en secret qu’en juin 2013, Le Conseil de l’UE (chefs d’État et de gouvernement) a confié un mandat de négociation à la Commission européenne. Et c’est aussi sans aucun contrôle possible de la part des parlementaires européens, ni aucune consultation des citoyens. Sans grande mobilisation médiatique non plus, le débat est donc largement escamoté, ce qui arrange grandement les promoteurs du GMT.

C’est grave ?

Oui, très grave.

D’accord, mais plus précisément ?

En résumé, le GMT aboutirait à un dramatique abandon de souveraineté de la part des États, au profit d’un pouvoir accru des entreprises multinationales. Le gigantesque marché unique attendu d’un futur traité serait aussi défini comme une instance supranationale dont les règles auront vocation à s’aligner (par le bas) en faveur d’un maximum de libéralisation et de dérégulation, et à se substituer aux législations et aux instances nationales, privant celles-ci de leur pouvoir de décision et les populations de tout moyen de contrôle démocratique.

L’abaissement des droits de douane est-il un prétexte ?

Pour une large part, dans la mesure où ils sont d’ores et déjà très réduits entre les deux zones (2% en moyenne)… sauf pour certains secteurs comme l’agriculture, dans lesquels les États-Unis ont tout intérêt à voir s’effacer les absurdes réticences européennes à l’encontre de la viande aux hormones, des poulets désinfectés au chlore, des OGM ou des pesticides. Dans ce domaine, l’abandon des législations de l’UE, protectrices pour les consommateurs, conduirait à la généralisation du modèle intensif d’agriculture et d’élevage, avec des conséquences sanitaires et environnementale incalculables.

D’ailleurs, s’agit-il seulement de droits de douane ?

Non, bien sûr : les "obstacles" à la "liberté" du commerce désignent aussi les barrières réglementaires (ou "barrières non-tarifaires"). Justement, le mandat de la Commission se donne pour objectif « d’éliminer les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement y compris les obstacles non tarifaires existants ». L’harmonisation attendue pourra ainsi affecter, au-delà des biens marchands, le secteur des services et par extension les législations du travail jugées trop protectrices, mais aussi s’étendre au champ de la propriété intellectuelle, de la protection des données personnelles et à des domaines comme l’éducation et les autres services publics. Seule la culture, après intervention du gouvernement français, est exclue du périmètre – et encore partiellement, puisque cette exclusion ne concerne que l’audiovisuel, et temporairement puisqu’il s’agit d’une simple suspension.

L’objectif global est-il donc d’inféoder les États et les citoyens aux intérêts privés du commerce international ?

Bingo. En plaçant les traités internationaux au-dessus des législations nationales, le commerce international se livre à une vaste opération de destruction de la souveraineté juridique des États, qui permet déjà aux grandes entreprises d’attaquer ces derniers. C’est ainsi que la société américaine Lone Pine Resources réclame 250 millions de dollars d’indemnité au gouvernement canadien, dont le moratoire sur la fracturation hydraulique pour l’exploitation des gaz de schiste contreviendrait à la liberté d’entreprendre garantie par l’ALENA (accord de libre-échange entre la Canada, les États-Unis et le Mexique). Les exemples de ce genre abondent, comme celui de cette société suédoise qui demande près de 4 milliards d’euros à l’Allemagne pour avoir décidé de sortir du nucléaire (voir aussi la vidéo ci-dessous). Les litiges de ce genre se règlent devant des tribunaux arbitraux indépendants des justices nationales, et le mandat de la Commission européenne vise à établir un mécanisme arbitral "investisseur-État" qui se substituerait aux juridictions démocratiques.

Heureusement, le Parti socialiste au pouvoir ne peut cautionner un tel processus de dumping social, fiscal et environnemental, conduisant à aggraver les délocalisations, le démantèlement de la protection sociale et des services publics, l’abandon de la souveraineté démocratique des peuples au profit des intérêts privés, n’est-ce pas ?

Ah ah ah. Au nom de la lutte contre le protectionnisme et des dogmes libéraux en vigueur, l’ancienne ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq s’est faite l’ardente défenseure des négociations, et le PS ne craint de se ranger aux côtés de l’UMP dans ce combat. François Hollande a même déclaré à Barack Obama que rien ne s’opposait à « aller vite » dans ce dossier.

Le combat est-il perdu d’avance ?

Bien sûr que non. Le texte final devra être adopté, à l’horizon 2016, par le Parlement européen et le Conseil de l’UE, avant d’être ratifié dans chaque pays. Il faut se souvenir de la mise en échec de l’AMI (Accord multilatéral sur l’investissement) à la fin des années 90, et de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA) à la fin de la décennie suivante. Un vaste front d’organisations et de partis s’oppose au projet, notamment au travers du collectif Stop TAFTA, plusieurs collectivités se sont déclarées "zones hors Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement". La prise de conscience s’étend et laisse une chance de ne pas abandonner le dossier aux lobbies. Ah, et puis des élections européennes ont bientôt lieu, donnant une occasion de se mobiliser, aussi bien au cours de la campagne qu’au moment du vote.

Le Guide de navigation pour affronter le grand marché transatlantique d’Attac.

Le site du collectif anti-TAFTA.

Le dossier de Corporate Europe Observatory (PDF), traduit en français.

Le dossier très complet de Solidaires douanes (PDF).

"TTIP : la fuite en avant libérale", par Françoise Castex, députée européenne (Nouvelle Donne) et Susan George, présidente d’honneur d’Attac, cofondatrice de Nouvelle Donne.

"Faut-il avoir peur du grand méchant marché transatlantique ?" (Rue89).

"Le traité transatlantique décodé" (lemonde.fr).

"Projet de libre échange USA-UE, la menace !", par Bernard Marx.

Vidéo de Corporate Europe Observatory (CEO).

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Vos réactions

  • Merci, ça a le mérite d’être clair et il faut en parler pour que l’on se rende compte de la catastrophe que cela serait pour nous.
    A lire a ce sujet le livre de R-M Jennar ("le GMT la menace sur le peuple d’Europe" ed CapBear ) qui a obtenu et décortique point par point le mandat donné aux négociateurs européens, il y a de quoi avoir peur.

    J Charles Le 24 avril 2014 à 19:25
  •  
  • Et oui, les partis politiques PS et UMP veulent un accord de type TAFTA pour gagner 0.5 points de croissance et faire baisser le chomage de 2% tout en bradant nos normes écologiques, sanitaires et sociales : en clair, faire plaisir aux copains devenus dirigeants d’entreprises du CAC40 et prendre l’argent des lobbys.

    Des partis comme le Parti Pirate, Nouvelle Donne, le Front de Gauche et peut être Europe Ecologie Les Verts s’opposent déjà à ce traité. Vite, soutenez les !

    Damien Le 25 avril 2014 à 21:20
  •  
  • "un maximum de libéralisation et de dérégulation, et à se substituer aux législations et aux instances nationales, privant celles-ci de leur pouvoir de décision et les populations de tout moyen de contrôle démocratique."
    Je ne comprend pas ? Il me semble que les "multinationales" ont des CLIENTS, libres d’acheter ou pas leurs produits variés au quotidien dans chaque domaine de la vie. Tandis que l’état a des sujets, appelés à choisir tous les 5 ans entre deux camps qui s’occupent de toutes les dimensions de la vie à la fois !
    Comment la baisse du poids des états sur nos vies pourrait être un recul du contrôle des peuples sur leur destin ????

    Phil Le 26 avril 2014 à 06:17
       
    • Ce type d’accord esr conçu pour favoriser

      les multinationales dont le seul but es de

      faire de l’argent .

      Ce projet de traité doit être combattu par

      tous les moyens dèmocratiques disponibles

      Jean Jacob Le 26 avril 2014 à 11:26
    •  
    • Je te rappelle que ces législations consistent aussi à obliger les entreprise à *marquer* les informations sur les produits (comme la présence d’OGM, etc...). Elles bloquent aussi les brevets logiciels (en europe), ce qui permet d’éviter que des alternatives aux logiciels propriétaire deviennent illégales et pourchassé.

      Dans le premier cas, un choix dans l’ignorance n’est pas un choix libre, parce que justement on ne peut pas choisir si on a pas accès aux données... Et je peux t’assurer que ce genre de truc (montrer les ingrédients et stuff) est considéré comme un "obstacle à la croissance et au profit" par les multinationales, parce que c’est un obstacle à leur profit puisque cela les obligent à dire des trucs qui ne plairont pas à tout le monde et qui leur fera des clients en moins, et donc moins de profit. La liberté n’est pas que l’absence de contrainte, il faut certaines conditions pour que la liberté soit réelle :

       La présence d’un choix véritable sur différents plans de conditions (éthique, pratique, esthétique...) Exemple : Microsoft et Apple sont un choix certes, mais sur le plan éthique il n’y a que peu de différence dans ce choix, alors que les logiciels libres offrent ce choix, voir plus loin si on prend des projets comme ReactOS (qui profite de sa situation géographique pour ne pas être inquiété du fait des brevets logiciels) qui a pour but de fournir une véritable alternative à Windows, c’est à dire entièrement compatible avec Windows. Les lois antitrust (donc qui sont une entrave au libéralisme), le refus des brevets logiciels, ces lois aident au choix, parce que *les entreprises n’ont pas intéret à laisser des choix au client*.

       Le fait de connaitre la différence entre les produits, comme je l’ai dit plus haut, à moins que peut-être, tu ais des super pouvoir magiques donnée par des petits bisounours qui te permettent de connaitre le contenu de tout les produits.

      ( Je rajouterais aussi qu’il faut que le choix ne soit pas un "t’as le choix entre ça ou être dans la merde", mais ça ça irais plus dans la défense du revenu de bases et autres idées du genre... )

      Nous avons besoin d’une source de règlement pour que la liberté ne soit pas une simple idée abstraite, nous avons besoin de quelque chose qui empêche le marché d’être un pouvoir unique qui controle tout, et d’ailleurs l’état ne remplit pas totalement ce rôle, le lobbying des entreprises le prouve...

      Ce qu’il faut, c’est revoir l’état, ou le remplacer par un autre contrepouvoir efficace et indépendant face au marchés, mais pas laisser le marché dans une situation de toute puissance, de domination.

      Lua Le 26 avril 2014 à 12:46
    •  
    • Comme vous dites, Phil, les multinationales ont des CLIENTS. Les Etats, eux, ont des CITOYENS qui peuvent choisir de reprendre leur destin en main, par exemple en mettant à la porte les politiciens qui ne remplissent plus leur rôle de représentants du peuple. Si votre conception de la vie vous pousse à accepter d’être réduit au rôle de consommateur, libre à vous. Personnellement je place ma liberté autre part que dans la possibilité de choisir entre dix marques de lessive.

      Le 27 avril 2014 à 10:06
  •  
  • reagiser avec des collectifs " stop tafta citoyen du monde " ascop"......
    petition de daniele favari ou

    https://secure.avaaz.org/fr/petition/Karel_de_Gucht_commissaire_europeen_au_commerce_UE_NE_PAS_signer_le_TTIP_Traite_de_libreechange_UE_et_USA/?Day2Share
    et bien d autre via le net

    citoyen Le 26 avril 2014 à 12:26
  •  
  • Voir aussi les conférences de Raoul Marc Jennar : http://www.jennar.fr/

    Quant à avaaz...(voir http://www.hoaxbuster.com/forum/site-avaaz-de-petitions-en-ligne)

    GRRR Le 26 avril 2014 à 17:30
  •  
  • En 2005, la France a voté NON à cette UE.

    En 2014, elle votera probablement NON à cette UE, de diverses façons ! (abstention + boycott +NON etc)

    Luttons pour une sortie de gauche de l’UE, et une vraie lutte contre la soumission à l’impérialisme des USA !

    En restant dans l’UE, la gauche s’enferme dans un cul-de-sac !
    Il ne faut pas se laisser leurrer ! Respectons enfin le référendum de 2005 !

    Pierre Kulemann Le 24 mai 2014 à 12:48
       
    • le non de 2005 ne peut pas être assimilé à une volonté exprimée de sortir de l’UE (juste un désaccord sur sa gestion et son orientation).
      vous ne faites pas mieux que hollande et sarkozy en interprétant ce vote à votre sauce

      guillaume Le 7 juin 2014 à 08:54
    •  
    • @guillaume Il faut quand même voir le lien entre ce vote et le fait que le seul parti perçu comme contre l’UE a gagné les élections européennes. Le déni de la démocratie monte les gens contre l’UE, et ils ont parfaitement raison. Il n’y a pas de futur pour la France dans une "union" dominée par l’Allemagne après l’élargissement vers l’est (en d’autres termes : après le rétablissement des pseudo-colonies allemandes).

      Michel E. Le 7 juin 2014 à 09:42
  •  
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