"Projet crocodile" est à l’origine une bande dessinée de l’artiste franco-belge Thomas Mathieu. Visibles sur le tumblr de la BD, ses dessins racontent des histoires de harcèlement et de sexisme ordinaire. Les hommes sont représentés en crocodiles verts, alors que les femmes sont croquées de manière réaliste en noir et blanc. Pour Thomas Mathieu, « le crocodile, c’est pour moi une image qui englobe de nombreuses idées comme le privilège masculin, le sexisme, les clichés sur le rôle de l’homme et la virilité, et même la peur de croiser quelqu’un dans la rue sans savoir s’il va vous faire du mal ».
Jean-Luc Moudenc, le maire UMP et président de Toulouse-Métropole, juge bon d’arbitrer en faveur du retrait du projet le 17 novembre dernier. Les élus socialistes parlent alors de censure, en vain. Julie Escudier, élue UMP, déclare à France 3 : « Qui voit ces planches concrètement ? Les enfants, les adolescents, comment est-ce que ça peut-être perçu ? Est-ce qu’on traite la violence par la violence ? Est-ce que c’est la façon de concevoir la présentation pour faire en sorte d’endiguer ou de lutter contre les violences. » Si quelques dessins du tumblr peuvent paraître un peu trash, les planches qui devaient être exposées dans les rues de Toulouse avaient été choisies par la Ville. Elle n’a pas cru bon de prévenir Thomas Mathieu.
Répondre aux violences
La bande dessinée Les Crocodiles dévoile la réalité du harcèlement de rue, elle met en scène des situations ordinaires d’agressions verbales ou physiques, de machisme et de sexisme courant. Elle est basée sur des témoignages réels. Elle indique aux femmes de multiples manières de répondre à ces violences. Nathalie Van Campenhoudt, éditrice, déclare à Livre Hebdo : « La BD Les Crocodiles participe, à sa manière, à un des combats selon moi majeurs de ce début de XXIe siècle, à savoir la lutte contre tous les comportements visant à imposer une domination aux femmes simplement parce qu’elles sont femmes, contre la violence physique et symbolique à laquelle les femmes sont encore trop souvent confrontées dans leur vie quotidienne. »
Les conséquences d’une telle annulation sont doubles. La municipalité ne fait pas que dénier aux adolescents le droit d’être sensibilisés aux combats pour l’égalité ; par son geste politique, elle légitime le sexisme au moment même de la Journée internationale des violences faites aux femmes.
Avez-vous pris en compte, avant de vous indigner, le fait que cette exposition n’était pas limitée à un lieu privée, mais offerte en pleine rue. L’expression "exposition en pleine rue" me paraît quant à moi contestable. La liberté me semble consister en le choix, ou non, d’aller dans un lieu pour se confronter à des idées. Un citoyen pourra s’interroger parce qu’il en aura pris l’initiative.
Ici, des dessins crus, servant une cause en faisant le choix de la vulgarité (qui répond à la violence du sexisme), sont offerts aux regards de tous. Certes, un enfant, un adolescent, un adulte devront lire ces images. Mais imaginons que l’artiste en question ait choisi une approche encore plus "trash", encore plus réaliste ?
Ce n’est pas le fond du propos qui est contestable - chaque artiste défendra sa vision, son combat. Mais il s’agit là d’imposer une vision, et non de porter à la réflexion. Cette censure n’a rien à voir avec la fermeture d’une galerie d’art, par exemple. Car oui, il s’agit de censure, mais on peut être "de gauche", et s’indigner de ce que ces œuvres soient exposées comme on le fait des panneaux publicitaires, pour lesquelles on n’hésite pas à parler de "pollution".
Lutter contre le sexisme, oui, mais pas par le choc, par la violence imposée.
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