Vendredi soir, Chrystia Freeland, ministre canadienne du Commerce international a paraît-il quitté en pleurs le siège du gouvernement wallon, qui a refusé de céder aux pressions le poussant à revenir sur son veto à la signature de l’accord CETA entre le Canada et l’UE, faisant capoter tout le processus. Prévu le 27 octobre, le "sommet de signature" est ajourné sine die.
Encombrants citoyens
Dans les rédactions, on s’éplore aussi. Ainsi de cet éditorial du Monde, qui peste contre le « pouvoir exorbitant » accordé à un président de région belge, contre une résistance archaïque et inutile à la mondialisation du commerce, contre la « vetocratie » qu’il aurait fallu contourner en donnant toute latitude à la Commission de ratifier l’accord.
Comprenez bien, « la Belgique est le seul État de l’Union dont les règles institutionnelles réclament une validation a priori, c’est-à-dire avant même la signature, de tels accords internationaux », soupirait Vincent Giret (Le Monde), jeudi sur France Info : « Il faut un peu se frotter les yeux, de si bon matin, pour comprendre pourquoi la Wallonie dispose d’un droit de veto sur un accord commercial européen ».
On ne saurait mieux dire que les doctrines libre-échangistes ne doivent plus faire l’objet du moindre débat, pas même au sein des institutions démocratiquement élues. L’édito du Monde susmentionné évoquait Francis Fukuyama, le théoricien de la fin de l’histoire, et regrettait un blocage dû à « des intérêts minoritaires ». Ceux des citoyens qui, quand ils sont informés, expriment majoritairement leur opposition aux traités internationaux ? Des citoyens qui ne sont en tout cas pas qualifiés pour saisir les enjeux de ces traités, incapables même de comprendre qu’ils sont élaborés (sans eux, dans l’opacité) pour leur bien.
L’Europe isolée du monde ou de ses populations ?
Le problème, selon ces experts, c’est le manque d’autorité ou de consistance de l’Union européenne, pas sa dérive antidémocratique, pas l’échec de ses doctrines économiques, pas l’organisation d’une désastreuse compétition entre les États-membres, pas sa subordination aux lobbies industriels et financiers. La superpuissance européenne, menacée par son « splendide isolement », « patchwork de vingt-huit principautés », « plongée dans un brouillard paralysant » serait affaiblie par son incapacité à parler d’une seule voix (mais quelle voix ?). Et perdrait sa « crédibilité » à l’international (mais qu’en est-il de sa crédibilité auprès de ses populations ?).
Ceux qui défendent cette Europe et ses traités n’accordent ni crédit ni attention aux arguments des récalcitrants. Pourtant, le refus wallon a des raisons fondées, qu’on s’est généralement gardé d’exposer. Il réside pour une part significative dans la question cruciale des mécanismes de règlement des conflits entre États et multinationales. Ces tribunaux arbitraux, dénoncés comme à la fois un déni de démocratie et un déni de justice, constituaient déjà le point le plus critiqué du TAFTA entre l’Europe et les États-Unis [1].
S’il a évoqué cette menace de « privatisation rampante de la justice », le discours de Paul Magnette, ministre-président de la Wallonie devant son parlement, le 18 octobre, a principalement porté sur l’opacité des négociations. « Il y a un vrai problème avec la manière dont on négocie ces traités commerciaux », a-t-il affirmé. Le secret des négociations et l’absence de débat, « ça ne marche pas et ça ne marchera plus jamais ». En une formule : « Si le CETA est bon (…), pourquoi y a-t-il besoin de le négocier en secret ? » Aux pressions, aux ultimatums et aux menaces de rétorsion, il a aussi opposé l’impossibilité d’ignorer la teneur très critique du débat local : « Être isolé de ses propres citoyens, à une époque où la démocratie est déjà tellement en crise, ce serait au moins aussi grave que d’être diplomatiquement isolés ».
Le retour du politique
Paul Magnette n’est exempt ni d’ambiguïtés, ni de passif. Ce socialiste qui a prôné des dispositifs d’optimisation fiscale dans sa région défend le principe des négociations bilatérales [2]. Mais il estime qu’elles doivent imposer dans les relations commerciales internationales des standards élevés – qui devraient être ceux de l’Europe. Non seulement pour la protection des normes sociales et environnementales, le principe de précaution ou l’exception culturelle, mais aussi pour les clauses de respect des services publics, les droits de l’homme, le droit du travail, les conventions de l’OIT, la capacité de réguler… Autant d’acquis dont il rappelle qu’ils ont été obtenus par « de longs combats sociaux ».
Magnette a ainsi le mérite de refaire de la politique sur des sujets dont il avait été décrété qu’ils ne devaient plus être débattus, et de s’opposer là où l’opposition devait être liquidée. Le problème des traités comme le CETA, c’est qu’en discuter réellement, c’est en comprendre la philosophie et en saisir les conséquences. « Les États-membres et les institutions européennes peuvent sortir grandis s’ils concèdent, à la lumière de cet échec, que les politiques de commerce et d’investissement ne peuvent plus être imposées aux peuples contre leur volonté », veut espérer Maxime Combes d’Attac.
Le geste wallon met en lumière la démission politique des gouvernements nationaux (et celle des socio-démocrates européens). Il ébranle un peu plus l’édifice européen – dont la capacité de contournement des désaveux populaires est toutefois bien connue. Les négociations commerciales internationales ont enregistré de lourds revers cette année, sous une pression accrue de la société civile [3] . L’Europe devrait considérer ces échecs moins comme un problème d’économie mondiale que comme un énième symptôme de sa faillite démocratique.
Un peu d’espoir grâce à ces Wallons !
Ce Paul Magnette est un des rares homme politique à montrer à quoi sert un homme politique normalement !
Bravo pour son courage car il doit en avoir beaucoup cet homme là.
Sinon c’est bien de communiquer sur ces traités aussi pire les uns que les autres (CETA, TTPII, ALENA, TAFTA…) parce que à part l’Humanité, les journaux de « gauche » tels que libé, lemonde, lobs… ont bien choisi leur camp, le oui, et sont une fois de plus aux abonnés absents pour le moindre débat.
On a l’impression que pour ces journaux, le CETA est juste une formalité à faire passer, un petit accord assez dérisoire et que malheureusement, et pour des motifs assez futiles, un micro pays fait juste perdre du temps aux gouvernements compétents.
Répondre