Vous comptez braver le chantage à la "menace fasciste", refuser l’injonction au "Front républicain" et au "vote utile" contre l’extrême droite en avril prochain ? Un coup d’œil outre-atlantique vous donnera un avant-goût de ce qui vous attend. Ils sont pourtant peu nombreux, mais les supporters déçus de Bernie Sanders décidés à voter pour l’écologiste Jill Stein le 8 novembre plutôt que Hillary Clinton (soit 2,4% selon les derniers sondages) font en effet l’objet d’une intense campagne de sermons haineux dans la presse mainstream et sur les réseaux sociaux.
Convictions et trahisons
Intitulée "Ceci n’est pas le moment pour la pureté idéologique, ne votez pas Jill Stein", la tribune dans The Guardian de l’éditorialiste américaine Jill Abramson est exemplaire : « J’ai la nausée à chaque fois que j’entends le nom de Ralph Nader. Si tous ceux qui avaient voté pour lui en 2000 avaient choisi Al Gore, on aurait échappé à la Guerre d’Irak, à l’alliance amicale de George W. Bush et Tony Blair et à d’autres horreurs. Donc je hais les soi-disant "tiers-partis". Je préfère les qualifier de "frange" », affirme-t-elle. Ignorant visiblement le fait que, si le candidat démocrate avait perdu la Floride, et donc la présidentielle, de 537 voix, c’est moins en raison des 24.000 inscrits démocrates qui avaient voté pour Nader que les 308.000 démocrates qui avaient opté pour Bush. Vu la ténacité du "mythe Nader", il faut croire qu’on en veut plus aux démocrates qui ont "trahi" pour plus à gauche que pour plus à droite.
[Lire aussi "Stein et Johnson, les inconnu(e)s de la présidentielle"]
Dans un genre encore plus fielleux, l’article de Sasha Stone sur Medium "Si vous votez pour Jill Stein, voici ce que je sais de vous", débute ainsi : « Je sais que vous êtes égoïste. C’est facile de faire semblant de se préoccuper des autres et de croire que contester le système de deux partis signifie que vous êtes moral et éthique. Vous pensez que vos "convictions" sont plus importantes que ce qui risque d’arriver aux autres. Arrêtez de faire semblant de vous soucier d’autrui, la seule chose qui vous intéresse c’est vous, votre image et votre marque ».
Vouloir voter pour un programme progressiste serait donc un caprice d’enfant gâté irresponsable, comme si ce n’était pas de la responsabilité du parti supposément progressiste de défendre un tel programme.
« Détendez-vous, Trump ne va pas gagner »
Comment les "égoïstes" en question résistent-ils à ces tentatives de culpabilisation et justifient-il leur choix, alors même que Bernie Sanders lui même les appelle à soutenir Clinton ? Nous en avons interrogé un : Jonah Birch, doctorant en sociologie à New York University et militant socialiste. « Détendez-vous, Trump ne va pas gagner » est sa première réponse. De fait, le sulfureux candidat ne cesse de dégringoler dans les sondages au fur et à mesure des débats télévisuels et des scandales à répétition. À cinq semaines du scrutin, une enquête de Politico / Morning indique que la démocrate est à 42% des intentions de vote, contre 36% pour le républicain.
« D’abord, la base électorale de Trump est trop étroite : son racisme lui vaut de se mettre à dos toutes les minorités ethniques, donc il ne peut compter que sur les petits Blancs en colère des zones rurales, analyse-t-il. Ensuite, Hillary Clinton a le soutien non seulement de la machine démocrate, mais de tous les médias traditionnellement de droite et de toute la classe dirigeante, y compris des grandes figures républicaines, comme les Bush. Trump n’a pas la moindre infrastructure organisationnelle de parti, il a encore changé de directeur de campagne il y a un mois ! Enfin et surtout, Clinton mène de très loin la course aux dons ». À la date du 21 septembre elle avait en effet levé 521 millions de dollars contre seulement 182 millions pour Trump.
Mais s’abriter derrière le pari que la plupart des électeurs de gauche n’oseront pas prendre de risque et voteront Hillary en se pinçant le nez n’est pas entièrement convaincant : encore faut-il assumer de voter pour Jill Stein quand bien même cela contribuerait à la défaite de Clinton, aussi improbable soit-elle.
Construire un espace politique de gauche
Jonah Birch est prêt à l’assumer : « Certes, quand on compare les paroles de Clinton et celles de Trump, Clinton est le moindre mal. Mais quand on regarde ses actes en tant que sénatrice, première dame, et secrétaire d’État, elle ne vaut guère mieux ». Et de citer la défense inconditionnelle d’Israël, le démantèlement de l’État social et le tournant sécuritaire et carcéral dans les années 1990, le soutien à la Guerre en Irak et la criminalisation des jeunes Noirs. Sans pour autant nourrir la moindre sympathie pour l’imprévisible fraudeur fiscal raciste et sexiste, le militant refuse de céder à la surenchère catastrophiste faisant de Trump un "fasciste" plus dangereux pour la paix mondiale que ne l’ont été avant lui de fameux va-t-en-guerre comme Bush, Nixon ou Reagan : « La dernière fois on disait que Bush était le nouvel Hitler, maintenant on dit que Trump est le nouveau Hitler et Bush devient le grand sage qui soutient Clinton ! »
Pour Birch, le succès de Sanders l’a montré : « Il existe pour la première fois en quarante ans une demande pour des politiques réellement de gauche rompant avec les politiques néolibérales et néoconservatrices menées par les gouvernements démocrates de Bill Clinton et de Barack Obama. Clinton a choisi de tourner le dos à cette radicalisation de la jeunesse et de continuer sur la même voie néolibérale. Au moins Trump, qui appelle à rendre l’Amérique "Great Again", a-t-il compris qu’une grande partie de la population souffrait. En face, Clinton répond que l’Amérique est déjà "great". Comment peut-elle espérer être crédible ? Si elle perd, c’est à 100% de sa faute : parce que sa stratégie aura été de s’adresser aux élites et à Wall Street plutôt qu’aux électeurs. »
D’un point de vue stratégique, le militant socialiste en est convaincu : « On n’arrivera jamais à faire croître l’espace radical amorcé par la campagne de Sanders si, tous les quatre ans, on accepte de se taire et de se ranger derrière le soi-disant moindre mal néolibéral ».
Evidemment, tous les médias sous influence ne parlent que des deux nababs Trump et Clinton.
Sur le Parti Vert et la campagne de Jill Stein, voir
Une nouvelle route s’ouvre devant le Parti Vert
Répondre