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Accueil > Résistances | Par Thomas Clerget | 15 juin 2016

Chiffres, violences... La manifestation que les médias n’ont pas montrée

Les grands médias passent sous silence la réalité d’une manifestation encore une fois massive, tandis que le gouvernement utilise les violences pour attaquer la légitimité de la CGT et du droit de manifester.

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Première grande manifestation nationale depuis le début du mouvement contre la loi El-Khomri, la taille et la portée du spectaculaire cortège du 14 juin à Paris ont une nouvelle fois été minoré par de nombreux médias, venant étayer le discours gouvernemental sur l’« essoufflement » du mouvement. Manuel Valls, bientôt suivi par François Hollande, tirait aujourd’hui profit des affrontements qui ont eu lieu à l’avant du cortège pour demander à la CGT « de ne plus organiser de grandes manifestations à Paris », rendant de fait la centrale syndicale responsable de ces violences.

Taille du cortège, affrontements, arrivée empêchée sur la place des invalides, tirs de gaz lacrymogènes sur les dockers, ou dissolution de la manifestation dans des conditions ubuesques : nous proposons ici un retour sur quelques points importants de cette journée de mobilisation.

Sur les chiffres, un débat surréaliste

Dans un texte qui reflète globalement la présentation de nombreux médias, l’éditorialiste du Monde Michel Noblecourt évoque ce jour une manifestation « pas si énorme », et des chiffres annoncés (un million de manifestants) mettant « en péril » la crédibilité des syndicats. À l’inverse, il n’interroge pas un instant celle des chiffres donnés par la Préfecture qui, avec 75.000 personnes, sont totalement irréalistes pour quiconque était présent sur le terrain hier après-midi. Ainsi, alors que le cortège était particulièrement dense sur toute sa longueur, autour de 17h30, soit quatre heures après le départ des premiers participants, une partie d’entre eux n’avait pas encore quitté la place d’Italie !

Aux alentours de 19h, en queue de peloton, le cortège des taxis parisiens protestant contre "l’ubérisation" de leur métier, invités surprises de la manifestation, était encore en train de défiler. Par comparaison, l’ensemble de la manifestation aurait-elle pu tenir dans l’enceinte d’un seul grand stade de football, comme le Stade de France ? Ce sont à coup sûr plusieurs centaines de milliers de manifestants qui ont marché hier à Paris contre la loi Travail, venant des quatre coins de la France, et toujours avec la même détermination. Le demi-million de manifestants semble, en tout état de cause, un ordre de grandeur plus réaliste que les données officielles.

De part et d’autre, un niveau de violence sans précédent

Le cortège a également été marqué par un degré de violences, de part et d’autres, inédit à Paris depuis le début du mouvement. Au sein d’un cortège de tête que l’on peut estimer à environ 8 ou 10.000 personnes, plusieurs centaines de militants autonomes, toujours vêtus de noir, s’étaient regroupés pour tenter de « briser le verrou policier ». Entre fusées, feux d’artifices et bombes artisanales ou jets de gravas, leurs munitions semblaient presque aussi inépuisables qui les stocks de gaz lacrymogènes des forces de l’ordre. Visiblement mal coordonnées, leurs attaques ont contribué au chaos qui s’est rapidement installé en tête de cortège.

En face, les forces de l’ordre avaient changé de stratégie, et ont elles aussi franchi un cran dans la tension. Contrairement aux habitudes, les CRS n’ont pas collé à la première ligne du cortège, laissant au contraire un espace très large sur le devant, destiné à distendre le plus possible le cortège autonome. Au fur et à mesure de l’avancement, plusieurs sections positionnées sur les côtés de la manifestation opéraient ensuite des charges "en ciseau", des deux côtés, extrêmement brutales et destinées à disloquer, ou du moins désorganiser la tête de manifestation – au sein de laquelle il devenait de plus en plus difficile de se sentir en sécurité.

Devant l’hôpital Necker

Arrivés devant l’hôpital Necker, à l’intersection du boulevard Montparnasse et de la rue de Sèvres, les militants autonomes ont lancé une attaque intense, qui a duré près d’une demi-heure, sur la ligne de CRS placée au coin de l’établissement et barrant la rue de Sèvre. C’est dans ce contexte très précis que l’hôpital a subi quelques dégradations. Pendant que certains émeutiers cassaient le macadam pour en faire des projectiles, d’autres se relayaient pour les envoyer sans discontinuer sur les CRS. La durée de cette attaque aura de fortes conséquences puisque, in fine, elle permettra à la police d’interdire l’accès aux Invalides au reste de la manifestation, contribuant à son invisibilisation médiatique, puisque la place aurait vraisemblablement été occupée dans sa totalité.

La longueur exceptionnelle de cette offensive, devant l’hôpital, a en effet permis à la Préfecture d’acheminer le canon à eau sur les lieux. Arrivé de l’autre côté du carrefour, il a d’abord dispersé les assaillants, avant de s’avancer au beau milieu de la manifestation pour la scinder en deux parties, désormais isolées : sur l’arrière, les cortèges syndicaux, qui resteront bloqués. Sur le devant, la tête de manifestation, toujours composée de jeunes, de syndicalistes, de nombreux manifestants lambda, et des groupes autonomes. Le canon à eau a alors "poussé" la tête de cortège durant plusieurs dizaines de minutes, jusqu’à la place des Invalides, où un deuxième canon à eau s’est ajouté pour disperser les manifestants.

Manifestation bloquée, dockers gazés

Derrière, les cortèges syndicaux sont donc restés bloqués. Le gros de la manifestation, stoppée net par les CRS sur le boulevard des Invalides, au niveau de la rue de Tourville, n’a jamais atteint l’esplanade. On peut imaginer que la Préfecture de police n’a pas voulu prendre le risque de jeter plusieurs centaines de milliers de manifestants, dont beaucoup très remontés comme les quelques centaines de dockers arrivés des différents ports français, sur une place déjà livrée à des affrontements – la possibilité que la situation ne tourne à l’affrontement généralisé n’étant pas à exclure. L’occasion a cependant permis à la Préfecture d’interdire la fin d’un parcours pourtant autorisé.

Cette décision a aussi eu pour effet d’entraîner une dissolution de fait de la manifestation sur le cours même de son trajet. Sur le devant, les dockers, bloqués par les CRS au niveau de la place Vauban, ont bien tenu le siège (dans le plus grand calme) durant plusieurs dizaines de minutes. Mais au moment même où ils se retirent, déçus, pour aller prendre leurs bus de retour, ils sont violemment gazés de manière incompréhensible par les policiers. Ceux-ci déclenchent ainsi colère et affrontements entre dockers et forces de l’ordre, autour de 18h sur la place Vauban, où les grenades lacrymogènes pleuvaient alors entre les autocars.

Accusés par le pouvoir de ne pas avoir joué leur rôle, les services d’ordre de la CGT se sont en réalité interposés entre les dockers et les CRS lorsque la manifestation a été bloquée sur la rue des Invalides, appuyant de fait la décision des autorités de ne pas laisser le cortège terminer sa route. Les attaques menées par l’exécutif contre les services d’ordre de la CGT sont-elles une nouvelle manipulation destinée à disqualifier la centrale syndicale et à s’en prendre au droit de manifester, comme le suggèrent aujourd’hui les déclarations de Manuel Valls et François Hollande ?

[Mise à jour] Dans un communiqué publié mercredi 15/06 en réponse aux déclarations du Premier ministre Manuel Valls, la CGT précise que « les organisations syndicales ont fait le choix de ne pas aller jusqu’au bout du parcours prévu », cela « en conscience et prenant en compte les informations données par les services de la Préfecture  ». Voir le communiqué complet.

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  • C’est clair depuis un moment : les valets du MEDEF, minoritaires dans le pays, dans l’Assemblée et ébranlés dans leur Parti de Satrapes, organisent la montée de la violence, pour aller jusqu’à des mesures extrêmes de répression et suspension des libertés, dans le cadre de l’état d’Uburgence, maintenu à cette seule fin.
    Il faut s’y préparer, pour se défendre et passer à l’offensive.
    En complément de ce bon article, quantité d’articles complémentaires dans cette page :
    http://www.anti-k.org/bienvenue/#.V2F0Yo-cEhd

    Louis Le 15 juin 2016 à 18:38
  •  
  • Je pense qu’il faut monter un site internet qui centralise les témoignages, textes, vidéos, photos déjà nombreux qui mettent en évidence les provocations policières, le laisser faire délibéré du gouvernement vis à vis des casseurs, et l’infiltration de ces casseurs par la police.

    Julien Le 15 juin 2016 à 19:19
       
    • J’y pensais aussi, et ne suis pas le seul.
      Plus exactement, un site d’alerte contre la marche vers la dictature, que cela soit
       par la surveillance, qui dépasse tout ce que pouvait imaginer Orwell prenant en modèle la dicatature stalinienne,
       ou par les armes et moyens de répression mis au service des milices MEDEF, ce dont heureusement ni Mussolini ni Hitler ne disposaient.
      Le site pourrait s’appeler "UBUrgence".

      En attendant, je m’alimente tous les jours et diffuse les infos que je trouve en continu sur Anti-K.org.
      Le meilleur témoignage à ce jour, celui d’une syndicaliste au milieu de l’enfer de la sauvagerie policière justement le 14 juin :
      http://wp.me/p5oNrG-ooB

      Louis Le 16 juin 2016 à 00:12
  •  
  • Personne ne semble s’émouvoir du sort de la personne grièvement blessée lors d’un tir tendu de grenade lacrymogène dans sa nuque, à proximité de ka gare Montparnasse... Vu la taille et la profondeur de la plaie sa situation doit être réservée / à d’éventuelles séquelles. Cette personne manifestait calmement en dehors du cortège des autonomistes et des non-affiliés.

    janmilena Le 15 juin 2016 à 19:32
       
    • Bonjour, il y a effectivement assez peu d’informations qui sont remontées sur le sujet au cours de la journée, si ce n’est sur les réseaux sociaux. Le site de l’Obs a cependant publié un article complet en début de soirée. Le journal donnait les précisions suivantes :

      Joint par "l’Obs", l’AP-HP refuse de nous donner des détails quant à l’état de santé du manifestant, du fait du secret médical. L’hôpital Cochin de même. La préfecture de police renvoie quant à elle vers l’AP-HP, tout en affirmant qu’elle n’a qu’un "état d’urgence relative" sur le papier, et pas de blessé grave.

      Dans un premier temps, différentes sources parmi les manifestants affirmaient que le blessé était dans le coma, ou tétraplégique. Puis le collectif Occupy France a démenti ces informations : "Dernières nouvelles authentifiées pas de tétraplégie, pas de lésion nerveuse, une vertèbre cassée, besoin greffe de chair et de peau."

      Thomas Clerget Le 15 juin 2016 à 23:50
  •  
  • Mise à jour : Dans un communiqué publié mercredi 15/06 en réponse aux déclarations du Premier ministre Manuel Valls, la CGT précise que « les organisations syndicales ont fait le choix de ne pas aller jusqu’au bout du parcours prévu », cela « en conscience et prenant en compte les informations données par les services de la Préfecture ». Voir le communiqué complet ici : http://www.cgt.fr/Aux-propos-inacceptables-du.html

    Thomas Clerget Le 15 juin 2016 à 23:39
  •  
  • Mais qui sont ces casseurs qui pratiquent la violence à un tel niveau et qui sont autant coordonnés ?

    Thomas Le 16 juin 2016 à 01:28
       
    • Bonjour, voici un article qui n’a pas le fin mot de l’histoire ni le monopole de la science, mais qui a le mérite de présenter les casseurs d’une manière radicalement différente de celle des médias et des autorités publique, et qui tente de voir plus loin que la brume de préjugés et d’allant de soi que produisent les mass-médias.
      https://theconversation.com/quel-est-le-vrai-visage-des...
      Ensuite, un article d’Olivier Fillieule, sociologue qui travaille sur les mouvements sociaux et le militantisme (notamment dans une perspective de genre), sur les formes de violences politiques, et qui s’est intéressé depuis quelques temps dans une optique compréhensive à l’émergence de la violence dans les manifestations : https://conflits.revues.org/212

      Il n’existe malheureusement pas d’étude approfondie portant spécifiquement sur les groupes appelés "casseurs" depuis le début de la manifestations. Mais je pense que ces deux articles peuvent permettre de déplacer le regard : le premier essaie de voir plus loin que les images des médias dans lesquelles ces groupes n’apparaissent que comme "des gens encagoulés" sans parole qui s’en prennent à tous ce qui est sur le passage. Le second analyse la violence dans une perspective relationnelle, interractionniste ("tout n’est pas joué à l’avance et la violence est bien souvent le produit d’un processus itératif d’adaptation tactique"), qui permet de séparer "la violence" et "les casseurs" pour saisir cette dernière comme "un recours normal de l’action collective, même s’il s’agit d’une attitude extrême". On a généralement bien du mal à séparer l’action du sujet, mais personnellement, je trouve que ça fait un bien fou.
      J’espère que ces deux papiers vous plairont :)

      Gaspard Le 16 juin 2016 à 08:14
    •  
    • "plusieurs centaines de militants autonomes..." Au risque de défriser certains, je trouve scandaleux de galvauder ce terme de "militant" pour dénommer des auxiliaires de police ou du MEDEF/PS, certains flics en civil rémunérés, d’autres, fachos clandestins en mission et le reste enfin, tellement autonomes qu’ils prennent leur propre vessie pour une lanterne et les mecs des RG pour des punks à chiens ! Basta ! Faut appeler un chat un chat, surtout que ça crève les yeux !

      René-Michel Le 16 juin 2016 à 10:43
    •  
    • Possible présence de militants venus d’ailleurs RFA tag en allemand sur un mur Bd Montparnasse, Italie si l’on en croit une des banderoles de la manif !

      Gwern Le 17 juin 2016 à 20:38
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    • 1/On ne saurait ignorer la modification de l’attitude de policiers (au sein des cordons de CRS) dans le sens du recul de l’agressivité vis-à-vis des manifestants, recul lié, selon moi, aux diverses déclarations des syndicats FO et CGT-Police concernant les violences policières, recul que je ne suis pas seul à avoir observé. 2/ les graphes en allemand étaient réels, bizarrement, ceux en créole, pourtant aussi rares, ne sont évoqués par personne. 3/ l’âge moyen des CRS du 1er rang des cordons (femmes incluses !) voisine 20ans, la tranche d’âge où la loi Valls/Khomery est la plus impopulaire (80% de la classe d’âge)4/ ma fille a photographié un "casseur" portant le brassard rouge de la Police et...un auto-collant de la CNT : camouflage ? précipitation ?.. pratique routinière ?

      michel.mourereau Le 20 juin 2016 à 11:53
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  • Il faut désormais créer un cordon sanitaire autour tout ceux qui accompagnent ce gouvernement liberticide. Les frondeurs indécis, les écolos attentistes, les syndicalistes coopératifs....
    Comment peut-on simplement envisager de faire alliance avec ceux qui ne s’opposent pas clairement les dérives de ce pouvoir aux abois .
    Insoumission et résistance sont les uniques positions que l’on peut défendre aujourd’hui sans être de facto assimilés à ça.

    choucroute Le 16 juin 2016 à 10:45
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  • "sur la ligne de CRS placée au coin de l’établissement et barrant la rue de Sèvre" au risque de me répéter : CIS Compagnie Intervention et Sécurisation à liserés bleus ; j’étais derrière eux rue de Sèvres côté gauche près de l’abri bus ! Pas celui de droite qui a été brisé comme les vitres du bas de l’hôpital par les ricochets des projectiles
    Ils comptent 4 ou 5 blessés dans leur rangs et en fin de piste il ont eu un renfort de membres de la Bac qui ont eu un blessé à l’oeil et une agent en état de choc semble-t-il

    Gwern Le 17 juin 2016 à 16:21
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  • En matière de violences : l’annonce faite de l’écard qui grandit , dans l’éspérance de vie en défaveur de la France d’en bas . Et : L’annonce faite , pour l’an dernier de plus de 500 morts dans la rue et ou de la vie dans la rue (ce chiffre pourrait être multiplié par trois ? Ou sont donc planqués les criminels qui provoquent = çà ? Pendant que le maire PS de la ville de Lyon fête le centenaire d’un groupe d’HLM : Amortis combien de fois ? Et ils jettent à la rue des locataires insolvables ?

    AUSSEUR Robert Le 19 juin 2016 à 00:13
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