cc photo Arnaud Bouissou / COP21
Accueil > écologie | Entretien par Laura Raim | 16 décembre 2015

Christophe Aguiton : « Le terrain du mouvement climatique va se déplacer »

Au lendemain d’une COP21 marquée par l’état d’urgence et conclue sur la satisfaction des négociateurs, Christophe Aguiton (Attac) en dresse le bilan critique pour le climat, et désigne les enjeux pour les mobilisations à venir.

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Fondateur de Sud PTT puis de l’association AC ! et d’Attac dont il est toujours porte-parole, devenu chercheur, Christophe Aguiton est un acteur majeur des mouvements altermondialiste et climatique.

Regards. L’accord trouvé a-t-il réservé la moindre bonne surprise ?

Christophe Aguiton. L’accord de Paris a le mérite de rappeler l’importance du réchauffement climatique et la prise en compte de cette question par la communauté internationale. Mais, non, le contenu de l’accord ne présente pas de surprise. Comme prévu, l’accord ne décide de quasiment rien puisque, depuis la COP de Durban de 2011, il a été décidé de dissocier les déclarations d’intention de chaque gouvernement concernant leurs « contributions » de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’accord lui-même. Donc, ce qui est vraiment important, c’est à dire les réductions d’émission et les moyens de limiter l’accès et utilisation des énergies fossiles, n’est pas dans l’accord. Et même si les contributions non contraignantes annoncées par les Etats étaient respectées, elles mettent la planète sur une trajectoire d’environ +3 °C, très au-dessus de l’objectif de 2 °C. Tous les cinq ans les Etats doivent se réunir mais ils doivent simplement dire ce qu’ils vont faire, sans aucune obligation d’améliorer leurs objectifs ! L’accord ne prenant effet qu’en 2020, les Etats vont donc rediscuter de leurs contributions en 2025, alors que ce sont les dix prochaines années qui vont connaître les plus gros pics d’émission, notamment en Inde et en Chine, qui aura terminé son exode rural en 2025.

« Si nous avions voulu influencer le contenu de l’accord, alors ce serait complètement raté ! »

Les pays du Nord ont quand même promis au moins 100 milliards de dollars par an aux pays en développement pour solder leur "dette climatique"…

Le problème est que cette somme sera majoritairement constituée d’investissements privés, issus par exemple d’entreprises photovoltaïques. Cet argent sera donc utile pour financer les réductions d’émissions carbone. Mais le problème des pays du sud n’est pas tant de réduire leurs émissions – qui sont très faibles aujourd’hui pour la plupart d’entre eux - que de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Or qui dans le privé va investir dans l’éducation du paysan tchadien pour l’aider à changer ses modes de culture ?

Si l’accord ne règle rien, l’objectif du mouvement climatique n’était pas réellement de l’améliorer…

Si nous avions voulu influencer le contenu de l’accord, alors ce serait complètement raté ! La COP 21 servait avant tout de point d’appui pour faire émerger le mouvement de justice climatique à un moment où les projecteurs sont braqués sur la question. De ce point de vue là c’est une réussite. (lire "Des énergies galvanisées contre le changement climatique").

Où en est la construction de ce mouvement ?

C’est un mouvement qui est encore balbutiant. Alors que l’essentiel des opinions publiques sait que le dérèglement climatique est le défi le plus important que l’humanité ait à affronter depuis la dernière glaciation il y a 15 000 ans, la mobilisation citoyenne est encore faible. D’abord parce que le changement climatique est multicausal : c’est l’agriculture, l’industrie, nos voyages etc… On a du mal à savoir par où commencer : devenir végétarien ? ne plus partir en vacances ? Pourtant la mobilisation citoyenne est indispensable, d’une part parce qu’on ne peut pas compter sur les Etats et les entreprises pour être moteurs du changement, d’autre part pour faire entrer nos sociétés dans la transition énergétique et économique : car si l’on ne veut pas en passer pas des tickets de rationnement pour par exemple réduire notre consommation de boeuf, une prise de conscience est nécessaire pour inciter chacun à modifier son comportement et cette prise de conscience ne passe que par la mobilisation de la société et de ses acteurs.

« Le lobbying est devenu dérisoire »

Mais la mobilisation a-t-elle vocation à épouser le calendrier des COP ?

Non le terrain de mobilisation va se déplacer. Quand le mouvement est faible, il est surdéterminé par la manière dont les négociations l’organisent. En l’occurrence, la COP réunit les Etats mais aussi le GIEC et les "majors groups", c’est-à-dire la société civile telle que l’ONU la définit : les collectivités locales, les entreprises, les syndicats, les ONG, les peuples indigènes, les femmes, les jeunes... Dans le monde des ONG environnementales, deux grandes familles s’opposaient sur beaucoup de choses : d’un côté Climate Justice Now (CJN), né en 2007 en marge de la COP de Bali et qui marque la jonction entre les mouvements climatiques et altermondialistes. Ce réseau inclut notamment Attac, la Confédération paysanne ou les Amis de la terre. Et de l’autre le Climate Action Network (CAN) avec les grosses ONG traditionnelles comme WWF et Greenpeace. Or depuis un an et demi, ces deux groupements se rapprochent.

Comment expliquez-vous cette convergence ?

D’abord parce que CAN comprend que le lobbying est devenu dérisoire et qu’il faut mobiliser dans la rue, ensuite en raison de l’arrivée de nouveaux acteurs qui ont poussé tout le monde à considérer que l’essentiel ne se jouait pas à l’ONU : on ne peut pas se permettre de rester accroché au rythme des négociations des Nations Unies et d’attendre 2025. Et puis la Convention Cadre des Nations Unies ne regarde qu’en bout de tuyau le nombre de tonnes de CO2 émises par chaque Etat et ne s’intéresse pas aux causes des émissions. C’est désastreux pour les mouvements car ça laisse de côté le vrai débat, celui qui est susceptible de mobiliser, à savoir celui sur l’utilisation des énergies fossiles et les alternatives.

« 26 militants ont été assignés à résidence »

Qui sont ces nouveaux acteurs ?

350.org par exemple s’est spécialisé dans l’idée simple qu’il faut obliger les acteurs financiers institutionnels à désinvestir les énergies fossiles et à investir dans les renouvelables, ce qui peut être tout aussi rentable et meilleure pour leur image. Ce n’est pas de l’anticapitalisme virulent mais c’est efficace, des milliards ont été désinvestis très rapidement. (lire "Le mouvement climatique est-il l’avenir de l’anticapitalisme ?"). Alternatiba montre comment, face à la lenteur de la transformation institutionnelle, nous pouvons commencer par mettre en pratique des alternatives concrètes, comme par exemple le bio et les circuits courts dans l’alimentation. Il y a également des actions directes non violentes comme « Ende gelände » en Allemagne où des militants ont occupé pendant une journée la plus grande mine de charbon d’Europe. Tous ces exemples sont les premiers éléments de base de la constitution d’un mouvement pour la justice climatique qui s’est beaucoup exprimé dans la dernière année et demi : lors de la COP 20 au Pérou mais surtout lors de la Marche pour le climat à New York qui a attiré 350 000 personnes, soit la plus grosse manifestation états-unienne depuis les marches contre le Vietnam.

L’état d’urgence en France n’a-t-il pas pénalisé le mouvement à Paris ?

Si bien sûr on a eu beaucoup de mal à cause des interdictions de manifester et des assignations à résidence. De nombreux militants écologistes ont été arrêtés le 29 novembre et 26 militants ont été assignés à résidence pendant toute la COP. De plus, la Coalition Climat 21 était divisée sur la question du respect de l’Etat d’urgence. Malgré tout on a réussi à faire des mobilisations très importantes qui ont attiré des milliers de personnes, dont énormément de jeunes, notamment dans la Zone d’Action pour le Climat au 104 pendant la dernière semaine, puis le 13 décembre avec l’opération Lignes Rouges avenue de la Grande armée puis le rassemblement à l’initiative d’Alternatiba au Champs de Mars, des lieux où on ne manifeste jamais d’habitude ! Le mouvement commence à peine à se construire. Tout le travail maintenant consiste à trouver comment le renforcer en s’appuyant sur l’ émergence dans la jeunesse d’une génération militante.

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