L’action désespérée des salariés de GM&S dans la Creuse, prêts à faire sauter leur usine pour sauver leurs 280 emplois, a sonné comme un coup de tonnerre au cœur d’un mois de mai tout absorbé aux contemplations du "renouvellement politique" à la mode En Marche, et aux projections sur les législatives des 11 et 18 juin. Alors qu’il met sur les rails sa nouvelle réforme du code du travail, le gouvernement dirigé par Édouard Philippe, transfuge des Républicains accompagné à l’Économie par Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, est déjà rappelé aux réalités d’un pays déchiré par la crise sociale.
Chez GM&S, entreprise sous-traitante du secteur automobile, le gouvernement s’en tire à bon compte. L’intervention du ministre de l’Économie auprès des clients quasi-exclusifs de l’usine, PSA et Renault – dont l’État est actionnaire – a permis d’augmenter les commandes, poussant le tribunal de commerce à prononcer un délai supplémentaire. Les offres des repreneurs – à ce jour, trois se seraient signalés – seront examinées le 23 juin, conduisant à la liquidation du site, ou bien à sa relance. Une bouffée d’air provisoire pour les salariés. Mais aussi pour le gouvernement, à quelques encablures des législatives.

Sur l’usine GM&S à La Souterraine.
Multiplication des fronts sociaux
Cette semaine, l’exécutif s’est également démené pour mettre fin à la grève des transporteurs de matières dangereuses, un mouvement social lui aussi… explosif. À l’appel de la CGT, les conducteurs de camions-citernes étaient en grève depuis six jours, réclamant la prise en compte des spécificités de leur métier dans la convention collective. Avec 900 stations touchées, dont 500 en rupture, l’urgence n’était pas loin. « Le patronat du secteur ne voulait pas de négociations », explique Fabrice Angeï, secrétaire confédéral de la CGT. Le gouvernement a donc sorti l’extincteur, et dégainé un calendrier. Le mouvement a été levé jeudi 1er juin.
De nombreux fronts sociaux restent néanmoins ouverts. Toujours dans l’automobile, 120 salariés de l’entreprise Nobel plastiques, dans la Marne, sont menacés de perdre leur emploi à la suite d’une annonce de la maison mère, le groupe turc Ohran. Autre exemple : la multinationale Imperial Tobacco prévoit la fermeture des deux sites de la Seita, dernier fabricant de cigarettes en France, dont elle est propriétaire. 326 salariés pourraient rester sur le carreau. À Marseille, les dés sont jetés pour le fabricant d’aérosols Aéropharm, dont le site employant 50 personnes sera fermé à la fin du mois de juin.
Des filiales fragilisées par la loi Macron
Les exemples de "plans sociaux" ou d’entreprises dont les comptes sont plombés pourraient ainsi être déroulés à volonté : Hanon Systems à Charleville-Mézières (Ardennes), CastMetal à Feurs (Loire), Whirlpool bien-sûr à Amiens (Somme), le spécialiste du tourisme TUI France (ex-Transat), le logisticien GEFCO (pour son troisième PSE en deux ans)… Ou encore La Poste, qui poursuit invariablement depuis dix ans ses réductions d’effectifs, malgré un capital détenu à 100% par l’État, et multiplie les fermetures d’agences et de plates-formes logistiques.
Dans cette hécatombe, le secteur du commerce de textile est particulièrement touché. Tati, ainsi que les enseignes Fabio Lucci, Gigastore et Degrif’Mania, toutes quatre filiales du groupe Eram, sont en redressement judiciaire depuis le 4 mai, fragilisant 1.700 emplois dans 140 magasins en France. Le tribunal de commerce de Bobigny doit se prononcer sur une reprise le 19 juin – lendemain du second tour des législatives – mais 4 à 500 salariés pourraient être licenciés, selon la CGT Commerce. « Chez Tati, les salariés paient la loi Macron, déplore son secrétaire général Amar Lagha. Eram est en bonne santé financière, mais les filiales ne peuvent plus se retourner contre la maison mère. »
La loi des investisseurs
Toujours dans le commerce d’habillement, le groupe Vivarte (Naf-Naf, André, la Halle aux chaussures, Kookaï…) prévoit a minima la suppression de 570 emplois et la revente d’une partie de ses magasins. Dans cette entreprise, propriété de fonds d’investissement londoniens et étasuniens [1] qui l’on rachetée en LBO [2], un conflit brutal est enraciné depuis de long mois. Les syndicats reprochent aux actionnaires d’avoir siphonné la trésorerie : « En 2016, la holding a demandé aux filiales de remonter le cash, raconte Amar Lagha. Ensuite, ils ont prêté à 11% en sens inverse ! Ils se sont enrichis pendant des mois sur le dos des salariés, en tuant l’entreprise ». À ce jour, rien n’est réglé chez Vivarte.
Chez Arc international, dans le Pas-de-Calais, les 5.500 salariés sont un peu plus sereins. Leur entreprise, numéro un mondial de la verrerie de table, a obtenu des engagements pour faire face à ses difficultés de trésorerie. Pour le moment, 25 millions d’euros ont été apportés à la société, répartis entre une filiale de la Caisse des dépôts (CDC International Capital) et un fond d’investissement public russe [3], accompagnés d’investisseurs du Koweit, d’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, du Bahreïn et de Chine. Le fond d’investissement américain PHP, actionnaire majoritaire, remet aussi la main à la poche pour dix millions d’euros.
L’État désarmé
« C’est un bon coup de comm’, commente Philippe Maes, délégué syndical chez Arc. Ils oublient juste de dire que les 25 millions sont prêtés à 12 %, et que ce prêt était déjà programmé. » L’avenir du verrier reste incertain : les salariés attendent une nouvelle enveloppe de 25 millions en septembre, pour relancer les investissements et prolonger leur survie. L’État « n’est pas là pour faire des miracles », concédait Bruno Le Maire lors de sa visite sur le site le 19 mai, célébrant son sauvetage provisoire. Emmanuel Macron a aussi mis la main à la pâte de cette mise en scène, visitant les chantiers de Saint-Nazaire pour y annoncer un renforcement du rôle de l’État. Une image qui contraste avec son récent aveu d’impuissance, face aux salariés de l’usine Whirlpool.
Misant sur une politique de rigueur, de flexibilité et de baisse du "coût du travail" – c’est-à-dire des salaires – l’exécutif se condamne pourtant à un échec certain. Sans changement de cap et de cadre, l’État restera dépourvu des principaux leviers d’action sur le cours de l’économie, verrouillés par les règles européennes, le primat de la concurrence et de la libre circulation des capitaux. La fonction de Bruno Le Maire, numéro dix de l’exécutif, pourrait bientôt s’apparenter au "redressement productif" du gouvernement Ayrault : un ministère confiné à une geste impuissante de mise en scène de l’action étatique, et de renégociation interminable des "tours de table" actionnariaux.
Excellent article !
Voir aussi sur Youtube l’interview de JL Mélenchon dans Cnews : "Monsieur Macron prépare un choc social". Apprécition de l’interview par B. Langlois, fondateur de Politis (dans un tweet) : "Et là, c’était parfait, fond et forme".
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