Quatre personnes ont été mises en examen pour tentative d’homicide volontaire, quelques jours après l’incendie d’une voiture de police quai de Valmy, le mercredi 18 mai à Paris. Leurs avocats dénoncent « un dossier vide » et une procédure menée à la hussarde pour livrer des coupables présumés à l’opinion, sur la seule foi d’images non probantes selon eux. « Au lieu de lancer une procédure contre X, on vise quatre personnes pour satisfaire les syndicats de police », a déclaré Me Antoine Comte, qui défend l’une d’elles.
Parmi les mis en examen, un ex-postier syndicaliste à Sud, identifié comme un ancien supporter antifasciste de la tribune Auteuil du Parc des Princes et un étudiant militant de vingt-et-un ans d’Action antifasciste Paris-Banlieue. Des coupables idéaux, trop, même, pour leurs avocats. Des cinq personnes interpellées préalablement, trois faisaient l’objet d’arrêtés d’assignations à résidence – ces interdictions de manifester prises au motif de l’état d’urgence dont neuf sur dix, à Paris, avaient été invalidée par le tribunal administratif. « On essaye de justifier ces arrêtés en interpellant ces personnes », déplore Me Alice Becker, qui défend un des accusés, sur lemonde.fr.
La procédure est en outre contestée par le recours à un témoignage anonyme qui s’est révélé être… celui d’un policier des renseignements généraux de la préfecture de Paris. Pour Me Comte, il est « invraisemblable d’un point de vue démocratique que des policiers enquêtent sur des faits où des policiers sont eux-mêmes victimes », tandis que sa consœur Irène Terre – défenseur du militant de vingt-et-un ans – affirme vouloir demander la nullité de la procédure.
La précipitation judiciaire [1] et l’exploitation médiatique de l’incendie ont évidemment nui à sa mise en contexte et en perspective. On trouvera donc quelque intérêt à refaire le récit des heures et des minutes qui l’ont précédé, et de ces circonstances mêmes.
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Photos Louis Camelin, à retrouver en grand format dans le portfolio en fin d’article.
La place de la république privatisée, cerclée de barrières métalliques. Des voitures de police à chaque intersection. Barrage filtrant pour les piétons. Nous ne sommes pas sur les lieux d’un grave incident mais seulement au rassemblement du syndicat de police Alliance qui se tenait jeudi 18 mai.

Le déploiement de force n’est pas représentatif de l’ampleur du mouvement (seulement quelque centaines de personnes sur la place), mais il s’inscrit dans la volonté de faire corps avec le message du jour : stop à la "haine anti-flics" qui, selon Alliance, gangrène les mouvement sociaux que connaît le pays depuis plusieurs semaines. Présents, Marion Maréchal Le Pen et Gilbert Collard se savent en terrain favorable : gendarmes et policiers votent massivement pour le FN, Alliance est un relais de leurs idées.

Charges en série
L’accès à la place est restreint par des gendarmes en armure. L’accès au rassemblement est quant à lui réservé à la presse ou au policier en dehors de son service et en civil. Aucune proposition d’ouverture ou de rassemblement n’est donc affichée. Le service d’ordre de la manifestation ferme les barrières aux alentours de onze heures afin de laisser les gendarmes se positionner face à la petite foule qui s’est massée devant l’événement. En ligne et progressant lentement, les gendarmes éloignent le groupe. [Voir le plan en fin d’article]

Des slogans commencent à se faire entendre. "Zyed et Bouna, on n’oublie pas" ; "Tout le monde déteste la police". Arrivé au niveau du café Fluctuat Nec Mergitur, en bout de place, les gendarmes resserrent les rangs et tassent les opposants, les simples spectateurs et quelques passants égarés. Après plusieurs minutes de blocage, les gendarmes, retranchés derrière leurs boucliers, commencent à pousser. S’ensuivent des charges de plus en plus brutales. Les gens crient, poussent, résistent aux forces de l’ordre mais aucune envie d’en découdre n’est perceptible.

Pourtant, ce qui était un rassemblement protestataire se mue en affrontement sous les charges de la gendarmerie. Un spray de gaz lacrymogène est utilisé et tout le monde se disperse. De chaque côté des boucliers, les larmes coulent. C’est l’accalmie avant la tempête. Après une bonne trentaine de minutes, pendant lesquelles chaque camp se jauge, les forces de l’ordre se placent en colonne à l’angle de la rue Léon Jouhaux et de la place de la République.

Rappelons qu’à ce moment, aux alentours de midi, plus aucun manifestant n’est présent sur la place et qu’il n’y à donc aucune réelle nécessité pour les gendarmes de continuer à charger. C’est pourtant ce qui arrive très rapidement lorsque la colonne ce met à courir pour éviter que la foule ne s’engouffre dans la rue Beaurepaire.
Tensions et désorganisation
Manque de réactivité, de planification ou de logique, les gendarmes n’arrivent qu’à scinder la masse en deux, en pleine rue. Un petit groupe d’une dizaine de gendarmes se retrouve pris en étau entre des manifestants de plus en plus offensifs. Plusieurs personnes somment les gendarmes de battre en retraite. Alors que la tension continue de monter, la désorganisation chez ces derniers est de plus en plus palpable.

La foule se regroupe et remonte la rue Beaurepaire, slalomant entre les automobilistes à l’arrêt, inquiets. Arrivés au croisement avec la rue Yves Toudic, les gendarmes décident de passer par la rue Dieu au pas de course afin de retomber sur les manifestants au bout de la rue Beaurepaire, au niveau du Quai de Valmy. Des poubelles sont éventrées pour en extraire des bouteilles vides et s’en servir comme projectiles, qui fusent en direction des boucliers de gendarme essoufflés par un sprint peut concluant.

La manifestation sauvage, qui se compose à présent de manifestants cagoulés, de journalistes et de jeunes galvanisés par la scène inédite qui se déroule sous leurs yeux, remonte le quai de Valmy en direction de Stalingrad. Coincée dans la circulation au niveau du square des Récollets, une voiture de police est prise à partie par plusieurs personnes. Les coups de pied et les coups de poing pleuvent. Différents objets sont utilisés pour frapper sur le pare-brise et les vitres.
Une scène spectaculaire
Dans la panique, le conducteur tente de dégager le véhicule par une manœuvre, mais ne parvient qu’à accélérer violemment, entraînant dans son sillage un homme qui parvient à briser la vitre arrière avec un poteau de ville. Un fumigène (de type "torche") est ensuite lancé à travers la vitre arrière. Des manifestants aident la passagère à sortir pendant que le conducteur se défend face à un assaillant muni d’une tige de fer arrachée sur la vitrine d’un magasin – la vidéo deviendra virale, l’adjoint de sécurité, justement célébré pour son sang-froid, sera décoré et titularisé (au moins un qui n’aura pas été précarisé par la loi travail).

Le feu se déclenche très rapidement après que les agents de police se sont extraits du véhicule. La scène est spectaculaire. Les photographes et vidéastes tournent autour de la voiture qui se consume avant de s’en écarter. La manifestation sauvage se disperse ensuite dans des rues embrumées par la fumée noire.

Sur la place de la République, quelque temps plut tôt, la tribune demandait plus de « fermeté » vis-à-vis des « casseurs ». Le lendemain, Manuel Valls réclamera des « sanctions implacables » contre ceux qui « veulent se payer un flic », tandis que Bernard Cazeneuve mettra en doute « l’humanité » de ces « hordes sauvages » et de ces « barbares ».

La répression policière, menée par des agents fatigués et sous pression, devient de plus en plus violente. S’il est difficile de trouver des excuses à l’agression gratuite du quai de Valmy, aucune volonté d’apaisement ou de gestion raisonnée n’a été perceptible, ce jour-là, dans les agissements des forces de l’ordre.
Qui sont ces manifestants cagoulés et pourquoi sont-ils cagoulés ? Au sujet de cette "scène spectaculaire" je dois dire que je n’étais pas sur place pour juger de ces événements et si j’y avais été je n’aurais pu être témoin de l’ensemble de la situation n’ayant pas de don d’ubiquité. Alors chapeau à ceux qui peuvent rendre compte des événements avec autant de précision. Je lis dans l’article : "le feu se déclenche rapidement après que les agents de police se sont extraits du véhicule" . Ce n’est pas ce que j’aie vu sur une vidéo. J’ai vu une mise à feu du véhicule alors qu’un agent était à l’intérieur. ça change tout dans la perception de l’événement.
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