Dans quelques jours, nous sommes invités à renouveler les assemblées politiques des départements – anciennement conseils généraux, demain conseils départementaux. Il s’agit historiquement d’un échelon essentiel du maillage décentralisé de la République française. Il dispose d’importantes prérogatives transférées par la loi, principalement dans le domaine de l’action sociale (protection maternelle et infantile, aide sociale à l’enfance, développement social, prestations de dépendance à l’égard des personnes âgées ou handicapées, versement du RSA-activité), mais aussi des routes ou des collèges. De plus, la compétence générale des conseils généraux et les moyens qui leur ont longtemps été attribués (dotations de l’État et pouvoir fiscal) leur ont permis d’investir des champs essentiels de la vie quotidienne comme le développement économique, le sport ou encore la culture.
Toutes ces actions méritent un débat démocratique clair, à la hauteur des responsabilités qui incomberont aux décideurs issus du suffrage de fin mars. Or tout a contribué, ces derniers mois, autour des réflexions entourant le mal nommé "acte III de la décentralisation", à faire de cette échéance un non-sens démocratique peu mobilisateur pour les citoyens.
Un mode de scrutin inédit sur des cantons redessinés
Dans la foulée de l’élection présidentielle, et conformément à un engagement de campagne du candidat François Hollande, l’exécutif et le Parlement se sont entendus pour supprimer le conseiller territorial. Cet élu hybride créé par la précédente majorité avait vocation à siéger à la fois au département et à la région. L’objectif affiché par le nouveau gouvernement était de modifier le mode de scrutin pour mettre un terme à deux défauts du système antérieur : l’énorme déficit de représentativité entre les cantons [1] et le retard de la parité dans des assemblées encore très marquées par la surreprésentation masculine [2].
Le scrutin binominal paritaire (deux candidats, un homme et une femme) majoritaire à deux tours issu de ces réflexions, sur des cantons redécoupés par les préfets en fonction de critères essentiellement démographiques, est venu comme une réponse à ces deux écueils : les nouvelles assemblées seront strictement paritaires et les citoyens à peu près également représentés.
Néanmoins, il contribue également à ajouter de la confusion par le redécoupage qu’il entraîne. Là où l’existence du canton semblait déjà surannée, en milieu urbain notamment, il est pourtant maintenu. Et là où il était reconnu, en milieu rural, il voit son périmètre redécoupé. Ces nouvelles circonscriptions s’ajoutent donc aux autres territoires politiques préexistants (communes, intercommunalités, circonscriptions législatives), sans correspondre à la moindre réalité sociologique, politique ou géographique. Difficile, dès lors, pour les candidats de donner du sens à leur campagne de proximité sur ces ensembles dépourvus d’existence réelle.
Des compétences floues pour des "collectivités à durée déterminée"
Plus encore que le mode de désignation des futurs élus, c’est le sens de cette élection qui pose aujourd’hui question. D’intentions en actes, d’annonces en revirements, l’existence, la légitimité et les compétences des conseils départementaux ont été ces derniers mois au cœur de l’actualité politique et, à trois semaines de l’échéance électorale, rien ne semble encore tranché quant à leur avenir.
Tout avait pourtant bien commencé pour les défenseurs du maintien du département : en même temps qu’était mis en place le nouveau mode de scrutin évoqué ci-dessus, le gouvernement décidait de rétablir la clause de compétence générale des conseils généraux, qui leur permet d’agir au delà des domaines explicitement confiés par la loi. Las, placées dans la nécessité d’annoncer des "réformes structurelles" pour relancer un quinquennat abîmé par de mauvais indicateurs socio-économiques, les plus hautes autorités de l’État scellent l’avenir des départements en petit comité et en quelques semaines. Tant François Hollande dans une tribune à la presse régionale que Manuel Valls dans son premier discours de politique générale affirment leur volonté d’en finir avec cette collectivité, tout d’un coup redevenue l’échelon de trop dans l’indigeste mille-feuille territorial français.
Depuis, face aux réactions nombreuses suscitées par ce revirement manifestement (mal) improvisé, les discours se veulent plus rassurants, et d’ailleurs il n’est plus question de suppression des départements dans les débats entourant le projet de loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République). Si la remise en cause de la clause générale de compétence semble bien acquise, les débats vont surtout se focaliser sur les transferts qui pourraient être opérés vers les régions (en particulier pour ce qui concerne les routes et les collèges) ou les intercommunalités. À cela s’ajoute une interrogation majeure concernant les moyens que beaucoup de départements pourront consacrer à leur action : pris dans l’étau entre d’une part la baisse des dotations de l’Etat et d’autre part le dynamisme de certaines dépenses contraintes (en particulier le versement du RSA), beaucoup de conseils départementaux risquent de n’avoir pour seul horizon politique sur les années à venir que la diminution de l’investissement public et de l’offre de services publics.
Un vote à l’aveugle
Quelle que soit l’issue de ces réflexions sur l’utilité ou non des départements, tous ces atermoiements auront en tout cas fait une victime : la clarté du débat public concernant la décentralisation, celle-là même dont les électeurs ont tant besoin pour exprimer un vote éclairé.
Dans ce paysage mouvant et évolutif presque au jour le jour, l’avenir seul nous dira si le département sortira, comme à chaque fois depuis 1982, renforcé des réformes conçues à l’origine pour l’affaiblir ou le faire disparaître. Son maintien, hors métropole, pour la durée d’au moins un mandat semble aujourd’hui une affaire entendue. Son périmètre d’intervention, ses compétences, ses moyens sont en revanche autant d’inconnues, et toute projection dans l’avenir sera, pour les nouveaux élus comme pour leurs électeurs, impossible.
Il ne faudra donc pas s’étonner que les élections des 22 et 29 mars se traduisent par un désintérêt manifeste pour des élections illisibles. Il faudra donc interpréter les résultats à la lumière de ce qu’elles représentent réellement : un simulacre de démocratie.
La seule chose qui soit claire, c’est que le redécoupage doit être électoral. Le binôme paritaire,ça, c’est uniquement pour satisfaire la démagogie féministe. Au fait, on va payer 2 salaires ?
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