Photo Philippe Leroyer
Accueil > actu | Par Guillaume Liégard | 5 novembre 2014

Des forces de l’ordre très bleu marine

La mort de Rémi Fraisse est une conséquence logique des politiques de répression actuelles, fondées sur l’impunité des forces de l’ordre – mais aussi aggravées par la radicalisation de celles-ci, de plus en plus séduites par l’extrême droite.

Vos réactions (19)
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Les forces de maintien de l’ordre font souvent un sale métier, reconnaissons leur une particularité, elles le font salement. La mort de Rémi Fraisse sonne comme une douloureuse piqûre de rappel : en France la police, la gendarmerie peuvent tuer dans le cadre de manifestations. Si un tel événement est heureusement rare, il n’est pas non plus un phénomène isolé. Depuis des semaines, les réseaux sociaux ont charrié leurs vidéos de violences policières, notamment au Testet dans le Tarn. S’inscrivant dans une vague de violences policières, toujours impunies, le décès d’un manifestant n’est donc pas un douloureux accident, mais bien le produit inéluctable des agissements des forces de l’ordre. La même semaine, jeudi 30 octobre, à la suite d’une intervention policière à Blois, un jeune homme de vingt ans, touché par un tir de flashball a perdu un œil.

Aux violences systématiques et disproportionnées de la police et de la gendarmerie s’ajoutent les bien curieuses manières de la police dans les manifestations. Le site Reporterre a publié de nombreuses photos de policiers en civil lors de la manifestation à Nantes, curieusement grimés en autonomes. Infiltration, comme le dit le préfet, ou agent provocateur, la question mérite d’être posée. « À Nantes, les forces de l’ordre ont créé le désordre... sur ordre », pouvait on lire sur la blogosphère. Pour nombre de militants aguerris, cela rappelle furieusement les grandes heures du tandem Pasqua-Pandrau au ministère de l’Intérieur à l’époque de la réforme Devaquet.

Des forces de l’ordre gangrenées par l’extrême droite

L’emprise de l’extrême droite au sein de la police et de l’armée n’est pas une donnée totalement nouvelle. Il existe sans doute un tropisme particulier qui pousse les amateurs d’ordre, d’autorité à vouloir l’incarner professionnellement. L’ampleur de la dérive interroge cependant sur la nature fascisante des forces de répression en France.

Lors de la campagne présidentielle, le Cevipof, en partenariat avec Sciences Po et le CNRS, a réalisé une étude sur les intentions de vote des fonctionnaires (voir ici) en janvier 2012. Selon cette enquête, 37% des policiers et militaires (contre 3% des enseignants) affirmaient leur volonté de voter pour le Front National. Ces résultats inquiétants semblent corroborés par les enquêtes réalisées après le premier tour de l’élection présidentielle : en moyenne 23% des fonctionnaires auraient voté pour Marine Le Pen – soit cinq points de plus que sa moyenne nationale. Compte tenu des fortes disparités au sein de la fonction publique, les cadres et le gros bataillon enseignant ayant peu d’appétence pour le vote frontiste, un tel résultat ne peut s’expliquer sans des points de force, notamment dans la police et l’armée.

À ces données produites à partir de sondages, s’ajoute une étude de l’Ifop (lire ici), parue au cœur de l’été et intitulée : Gendarmes mobiles et gardes républicains : un vote très bleu-marine. Gendarmes mobiles et gardes républicains ont cette particularité de résider avec leurs familles dans des casernes. Cette concentration en un même lieu d’effectifs importants offre donc la possibilité d’étudier l’impact de cette présence dans des bureaux de vote où les gendarmes et leurs familles représentent de 15 à 100% du corps électoral.

Deux cas apparaissent comme chimiquement purs avec 100% du corps électoral constitué par les gendarmes et leurs familles : le 10e bureau de Versailles (gendarmerie mobile, camp de Versailles-Satory) et le bureau 14 à Nanterre (gardes républicains). Les résultats sont sans appel. À Versailles, Marine Le Pen obtient 46,1% des voix au premier tour de la présidentielle et 37,5% à Nanterre. Comme il ne serait pas sérieux de construire une théorie statistique sur la base de deux bureaux de vote, l’auteur de l’enquête, Jérôme Fourquet, s’est livré à une étude approfondie des résultats à proximité des différentes casernes. Dans tous les cas étudiés dans cette analyse (à une exception), le bureau où se trouve la caserne est le bureau de la ville qui accorde le plus fort vote à Marine Le Pen. Globalement, l’IFOP estime le vote FN à 46% chez les gardes mobiles et à 34,5% chez les gardes républicains.

L’impunité des forces de répression

Ces données pourraient alarmer les autorités de l’État, il n’en est rien. Le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, proche de Manuel Valls et spécialiste des questions sécuritaires, a ainsi expliqué sur son blog : « Cette étude ne m’alarme donc pas plus. Si le pourcentage réalisé par Marine Le Pen chez les gendarmes mobiles atteint le même niveau en France, là je serai inquiet. S’il y a du souci à se faire, c’est plutôt sur la situation globale des forces mobiles en France : avec les baisses d’effectifs de ces forces d’élite, je ne suis pas sûr que la France puisse faire face à des événements tels que ceux de 2005 s’ils se reproduisaient. »

Décidément bien mal inspiré, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve est sorti d’un impensable mutisme de quarante-huit heures après la mort de Rémi Fraisse pour déclarer : « Ce n’est pas une bavure. » Comme on suppose qu’il n’a pas voulu exprimer qu’il s’agissait d’une préméditation, de quoi donc s’agit-il alors ? D’une réalité assez simple : les forces de l’ordre n’ont jamais tort. Il existe une détestable habitude dans ce pays. À peine installés place Beauvau, les ministres de l’Intérieur soutiennent toutes les turpitudes de leurs troupes, envers et contre tout.

La montée des idées d’extrême-droite, doublée de l’assurance d’une quasi impunité, permet – encourage même – la répétition des dérapages. Il est sans doute exagéré de voir dans les agissements des forces de répression l’expérimentation de dispositifs de contre-insurrection, voire les prolégomènes d’une guerre de basse intensité. Il n’en demeure pas moins que la violence des crises sociales, écologistes, économiques, aggravées par le discrédit et la perte de légitimité du politique, nourrit un chaos croissant. Incapable de répondre aux souffrances de la société, se refusant à s’attaquer aux inégalités de toutes sortes, la tentation autoritaire, celle de l’ordre et de la violence d’État, peut alors s’imposer comme une solution pour certains responsables politiques. Il est grand temps de balayer tout cela.

Vos réactions (19)
  • envoyer l'article par mail envoyer par mail
  • Version imprimable de cet article Version imprimable

Vos réactions

  • DURAND Eric Le 5 novembre 2014 à 12:57
  •  
  • Pour avoir étudié les résultats sur Versailles il y a 15 ans, je confirme. L’électorat du plateau Satory avait meme été invité a voter dans un bureau du quartier historique (les mauvaises langues disaient déja que c etait pour cacher les scores FN trop visibles quand le bureau de vote était en plein dans le quartier Satory).... résultat : 2 fois plus de vote FN dans le bureau du quartier historique que dans l’autre bureau situé à 500 metres

    Bergaut Le 5 novembre 2014 à 14:20
  •  
  • On va se "marrer" quand ils vont attaquer l’exploitation des gaz de shit...

    Flutiot Le 5 novembre 2014 à 14:30
  •  
  • ça arrange tous les gouvernements de gauche et de droite d’avoir des forces de l’ordre agressives et prêtes à cogner fort, faut dissuader toute tentative d’insurrection.

    ciboulette Le 5 novembre 2014 à 16:12
  •  
  • ...très bleu marine et couverte par l’Europe ? :
    "La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire : pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ; pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection"
    Annexe du TCE.

    raphaël Le 8 novembre 2014 à 01:32
  •  
  • "Il est sans doute exagéré de voir dans les agissements des forces de répression l’expérimentation de dispositifs de contre-insurrection, voire les prolégomènes d’une guerre de basse intensité."

    Très bon article, seule cette conclusion est étrange. Pourquoi cela serait-il exagéré ? Les indices, les travaux et autres réflexions sur la militarisation du corps policiers, sur les pensées théoriques et tactiques de maintien de l’ordre ayant pour présupposées un embrasement social généralisé ou diffus existent...
    Qu’elles ne soient pas complètement appliquées est une chose, qu’elles rencontrent des oppositions au sein même des forces de police c’est certain mais qu’elles existent et tendent à s’imposer petit à petit c’est tout aussi certain.

    Je recommande le travail de Mathieu Rigouste, en particulier L’ennemi intérieur, la découverte, 2009 qui est une analyse fort intéressante de ces questions là.
    Je pense que cette conclusion pêche par naïveté excessive, à vouloir trop se rassurer on en oublie les effets de structure et de contexte.

    Manu Le 9 novembre 2014 à 10:04
       
    • Je suis affligé de beaucoup de défauts mais je ne crois pas que la naïveté en fasse partie. Ma conclusion est justement une distanciation avec l’interview de Matthieu Rigouste du 30 octobre dans Médiapart. Non pas qu’il n’y ait pas une militarisation de la police et qu’au sein des différents appareils d’Etat il n’y ait pas de réflexion sur les stratégies à mener. Les forces de répression sont là pour maintenir l’ordre existant au profit de la classe dominante, c’est une évidence, mais la position de Matthieu Rigouste me paraît outrancière et pour tout dire désarme la nécessaire résistance. L’apologie des "actions violentes non conventionnelles" me paraît douteuse. Non pas que le recours à la violence doive être exclu (loin de là), mais il doit être maîtrisé. La prose autonome qui postule que celui qui agit a toujours raison sur celui qui proteste (voir "à nos amis"), va de pair avec le mépris abyssal de toutes les formes démocratiques d’un mouvement social. En cela, certaines violences des autonomes (et je ne considère que les cas où elles sont vraiment autonomes de l’appareil d’Etat ce qui n’est pas toujours le cas), sont pain béni pour la préservation de l’ordre existant. A penser que par nature la police serait fasciste on mésestime des mouvements de fond en son sein.

      Guillaume Liégard Le 9 novembre 2014 à 10:56
  •  
  • Merci beaucoup pour votre réponse, c’est assez rare pour être noté quand un journaliste répond à un lecteur.

    En vérité je partage une partie de votre point de vue. Je ne mettrais peut être pas dans le même sac tous les "autonomes" parce qeu c’est un milieu assez diffus et composite et assez différent dans ses intentions et ses bases. Peut être en avez-vous une meilleure connaissance que moi de par votre profession mais je dois avouer que ce qui me gène aussi c’est une appellation unique pour des choses très diverses. Je ne fais pas d’amalgame du tout mais la police dont la fonction est précisément de nommer les choses et de les réifier use précisément de vocabulaire englobant pour pouvoir matraquer tout le monde.
    J’ai moi même pu observer ce que vous appeler "le mépris abyssal de toutes formes démocratiques d’un mouvement social". Néanmoins ce même mouvement social a parfois un rôle extrêmement ambigu et son absence quasi totale de réaction dans l’affaire du Testet en dit long sur sa collusion avec le pouvoir politique en place. Ou sur sa frilosité qui l’éloigne des dynamiques de ceux qui inventent de nouvelles formes de mouvement social.
    J’ai aussi lu l’interview de Rigouste et je n’y adhère pas complètement : je trouve par exemple que faire le lien avec la question de la mort d’un braqueur présumé n’est pas du tout efficace politiquement (même si elle est très problématique car elle révèle aussi des pratiques policières qui ne font pas débat).
    Enfin on peut dire qu’il existe des théories policières inspirées de la contre-insurrection , et lointainement déviées des théories de la guerre contre-révolutionnaire - sans pour autant cautionner les appels un peu fumeux voire irresponsables et politiquement stérile. On peut le dire sans en faire des théories englobantes et explicatives de tout. Il était une époque où le fait de dénoncer cela appartenait à un mouvement ouvrier large et démocratique aussi. Le PCF par exemple en sait quelque chose sans doue, au fond de quelques mémoires. Cela s’est perdu. Et c’est à mon avis un énorme problème. Le mérite des Rigouste et cie est de nous rappeler cela, je trouve ça assez sain quelque part et je pense que vous en serez d’accord.

    Manu Le 10 novembre 2014 à 07:43
  •  
  • je vous trouve bien naïf monsieur dame dire que c est le FN qui est la cause c est culotté et mensonger car les faits de la police ont été couvert par la gauche et la droite Mr sarko en premier lieu le FN ne donne que son avis et ça vision des choses mais n a jamais été au pouvoir ne serais se pas les autres partis qui mentent comme d habitude sur leurs véritables visions et quand ça tourne mal comme dab c est la faute du FN un peu facile non !!! rappelez- vous du karcher c est lui qui a radicalisé la police avec beaucoup indulgence avec c est même service a bonne entendeur

    toto Le 10 novembre 2014 à 10:01
  •  
  • Ce serait rejetter la faute de la mort de Rémi Fraisse sur les hommes de l’ordre
    alors peut-être mais la première est politique
    expliquez moi en quoi des grenades offensives (ce sont des armes de guerre faites pour tuer) sont nécessaire à l’exercice du maintien de l’ordre ?
    l’état français tire sur sa population et prend le risque de tuer,
    si cela se passait dans un des pays dirigés par ceux que l’onnous désigne comme des méchants, il y a fort à parier que le choeur des vierges effarouchés aurait entonné le refrain des indignations allant jusqu’a réclamer des sanctions
    mais cela se passe en France, et contre des djihadistes verts, alors...............
    La droitisationn’est pas que dans la police, mais dans toute la population de ce pays et les merdias ne sont pas les derniers à répandre la propagancde

    tchoo Le 15 novembre 2014 à 21:54
  •  
  • Pour ce qui est du vote soi disant faible des enseignants pour l’ extrême droite , nous attendrons le vote des élections professionnelles de décembre , qui risque de montrer une poussée du vote de droite ( Snalc notamment ) , suite à un mode de scrutin électronique qui poussera à l’ abstention ... ( dans un contexte plus que morose )

    THIERRY HERMAN Le 16 novembre 2014 à 14:02
  •  
  • Il faut tout simplement que la république fiche les policiers et CRS considérés comme étant d’extrême droite et que des rapports soient rendus, afin d’étudier sérieusement leur mise à pieds ou leur licenciement !

    Vincent Le 19 novembre 2014 à 08:22
       
    • Ah la Stasi... Nostalgie
      un bon petit fichage un bon petit goulag
      le bon vieux temps quoi

      Onsenfout Le 11 mars 2015 à 22:47
    •  
    • C’est génial, mon commentaire n’a suscité qu’une seule réaction de bon sens ...

      J’aurai carrément dû proposer la mise à mort des flics appartenant à un syndicat de droite ...

      Mais ce serait passé inaperçu

      Vincent Le 12 mars 2015 à 06:19
  •  
  • "la tentation autoritaire, celle de l’ordre et de la violence d’État, peut alors s’imposer comme une solution pour certains responsables politiques." Mais cette violence d’Etat est déjà là ! Pas encore à son paroxysme, comme aux plans économique, bancaire, financier, mais par sa propagande, son intolérance de la contestation de certains député-es. Au parlement le pouvoir ne parlemente plus, il impose sa logique ! Une constitution de la soumission au gouvernement et non aux représentants du peuple ! Une démocratie de militaire, cause toujours...

    Chistian09 Le 26 novembre 2014 à 05:32
  •  
  • L’heure indiquée est fausse, j’ai écrit vers 11 heures trente !

    Chistian09 Le 26 novembre 2014 à 05:34
       
    • Pour des raisons inconnues, notre horloge a 6h de retard.

      Guillaume Liégard Le 26 novembre 2014 à 06:04
  •  
  • Un gouvernement socialiste qui fait tuer un manifestant : c’est la faute au FN. Trop fort ! Mais ça risque de ne pas prendre.

    Toto Le 12 décembre 2014 à 18:41
  •  
  • AH parce que selon vous Toto, il y a eu ordre du gouvernement de tuer Rémi Fraisse ? Décidément même ici les bas du Front sont lâchés... à part ça la complaisance du gouvernement avec cette dérive des flics et gendarmes est effectivement criminelle.

    Valdo Le 4 décembre 2015 à 18:09
  •  
Forum sur abonnement

Pour poster un commentaire, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d'indiquer ci-dessous l'identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n'êtes pas encore enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?