« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres. » Antonio Gramsci.
358 élus régionaux, 6,8 millions de suffrages : le Front national fut le grand vainqueur des dernières élections. Qui peut encore croire que le plafond de verre qui veut que l’extrême droite ne franchisse jamais la barre fatidique des 50% ne cèdera pas ? Foutaises ! Le mode de scrutin majoritaire, pourtant destiné au bipartisme, s’accommode d’un troisième larron invité au festin électoral.
Le pire est à venir, je le crois. L’ultime assaut d’un parti xénophobe, nationaliste, émetteur de haine est en perspective. Faut-il pour autant attribuer à ses électeurs une dérive fascisante ? Le faire croire, c’est jeter des millions de citoyens dans les serres d’un parti qui joue sur les peurs, le rejet de l’étranger, et attise la violence. Il instrumentalise le désarroi, la détresse de tous ceux qui s’estiment délaissés et déclassés socialement.
Dans ce contexte, le discours moralisateur n’a plus de prise sur eux et se brise sur le vécu quotidien de millions de gens. Si les paroles des dirigeants nationalistes d’inspiration pétainiste révèlent l’anti-France sous ses traits les plus abjects, comment rejeter ces ouvriers, ces jeunes, ces employés et même ces cadres en les qualifiant de nostalgiques de Vichy ? Quelle faute politique nous commettrions, et quel renfort formidable nous apporterions aux thuriféraires de la finance. En détournant la colère contre les étrangers, et en divisant le peuple, le FN est le meilleur allié des libéraux.
FN ou austérité libérale, le faux choix imposé au pays
Qui n’a pas compris le jeu dangereux de ceux qui à droite, comme au PS, espèrent tirer profit de la poussée électorale de cette formation ? Le schéma des triangulaires en arrange beaucoup. Mais casser le thermomètre ne fait pas baisser la température. Tout comme les combinaisons électorales, les petits arrangements n’empêcheront pas la progression de l’extrême droite. « Changeons nos comportements », affirment les partis du consensus dans une fausse contrition ; « Faisons de la politique autrement », ajoutent-ils. C’est avant tout changer la politique en France dont nous avons besoin, de cesser de provoquer et de combattre le monde du travail, bannir enfin l’austérité, et promouvoir la solidarité par des services publics performants et utiles.
Rien ne changera avec les forces du consensus. Elles préparent une fuite en avant et de nouvelles alliances électoralistes. La coalition PS / droite en préparation viendra brouiller irrémédiablement les repères gauche / droite au bénéfice d’une union centriste qui gérera la France à droite. La disparition du nom du Parti socialiste porte en lui l’abandon du socialisme par cette formation.
Cette politique conduira tout droit le pays dans le mur et alimentera en carburant le FN. La doxa libérale restera la norme. Pire, elle sera amplifiée, et l’extrême droite peut rêver du pire des scénarios. Cette dernière continuera d’exercer une influence hégémonique sur le débat d’idées en France. Une France qui, inexorablement ces dernières années, bascule à droite, où tout le corps social subit la pression de ces idées funestes. Les formations de droite et le gouvernement sont sous cette emprise : autoritarisme, dérive sécuritaire, et même reprise de slogans du Front national comme la déchéance de nationalité.
Où en est le rêve français aujourd’hui ?
Antonio Gramsci le disait si bien : « Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres ». Ce renoncement des formations républicaines conforte la parole de l’extrême droite et banalise dans l’opinion les comportements chauvins et les thèses d’exclusion. S’adapter à cette réalité pour de vains succès électoraux – autant de victoires à la Pyrrhus – ne changera pas la donne. C’est l’exacte antithèse de cette dérive droitière qu’il faut promouvoir et qui exige une société progressiste, fraternelle, ouverte sur le monde.
Que valent les discours incantatoires sur les valeurs de la République du premier ministre ? Et ceux répétitifs d’autres dirigeants socialistes, a fortiori quand des think tanks proches du pouvoir proposent de tirer un trait sur le monde ouvrier ? Ils résonnent en sourdine par des sons inaudibles, sans prise sur ceux dont les vies sont brisées par la crise du capitalisme. Liberté, égalité, fraternité, plus que jamais. La République comme réponse, plus que jamais ! Mais toute la République, sociale et démocratique. Certainement pas celle dont la liberté est uniquement reconnue selon le statut social auquel on appartient. Alors oui, liberté pour tous, dignité pour chacun. Qui peut croire que des millions de chômeurs, de précaires, aux fins de mois difficiles ont la liberté de s’émanciper, de se cultiver, de voyager ? En deux mots, de vivre avec dignité et de rêver ?
« Du pain et des roses », proclamait le Front populaire. Les roses pour s’émanciper et pour rêver, tout simplement. Où est le rêve français aujourd’hui ? N’est-il pas noyé dans les brumes de la mal-vie ? Qui fait rêver aujourd’hui ? Les comptables et les technocrates, confortés par une Europe libérale qui confisque tout débat démocratique, nous l’interdisent. Ils martèlent que le pragmatisme doit être la règle et que la politique doit s’effacer devant la mondialisation capitaliste. Ici encore, la fin de l’Histoire n’est pas écrite. Le peuple souverain en responsabilité est qualifié pour se rassembler autour d’un projet collectif garant de l’épanouissement et de la liberté de chaque individu.
Sans dépassement du Front de gauche, nous disparaîtrons !
Interrogeons-nous : est-ce que le Front de gauche fait rêver ? Je ne le crois pas. Où plutôt, je ne le crois plus. Dès lors, il se met hors-jeu. Notre Front de gauche est réduit à des querelles dérisoires. L’opinion ne discerne pas son projet, ne comprend pas son offre politique. Bref, il est illisible. Il se rétrécit socialement sous des postures identitaires des formations qui le composent, dans un cartel de partis qui, contrairement à ce que nous voulons pour la société, s’exonère de placer le citoyen au centre du projet. Mais si la maison Front de gauche se fissure au point de s’effondrer, les pierres restent saines, et les murs porteurs debout. Inventons, innovons, confrontons nos idées avec un seul objectif : unir le peuple.
L’idée d’un nouveau Front populaire est séduisante. Je la partage, à condition qu’elle se différencie radicalement du Front unique piloté par un cartel de partis auquel devaient se rallier les électeurs. Le concept de "parti guide" est antinomique de l’évolution des sociétés. Sachons grandir en nous dépassant. En disant cela, loin de moi l’idée que les partis sont devenus inutiles. Je crois simplement que leur place et leur rôle sont d’œuvrer à l’éducation populaire, à la formation citoyenne et à l’animation – avec d’autres forces du mouvement social et syndical – pour la réalisation d’un projet rassembleur.
L’élection présidentielle est la prochaine échéance électorale. C’est une élection piège pour notre famille politique. Cependant, elle n’est pas inaccessible. Le mode de scrutin inique et peu démocratique installe un pouvoir personnel ou l’élu le plus souvent s’exonère de ses engagements, quand il ne trahit pas la confiance que ses électeurs lui ont accordée. Si la 6ème République est urgente, nous sommes contraints d’agir d’ici là sous couvert de l’existant : des institutions telles qu’elles sont et un mode de scrutin tel qu’il est. Prenons garde toutefois à ne pas s’enfermer dans cette culture d’une Vème République hyper-présidentielle.
Le primat au projet
Je crois pouvoir dire qu’il n’existe pas de candidat naturel dans notre famille politique, contrairement aux autres formations qui n’ont de cesse de le proclamer. Accordons le primat de notre action au projet qui jaillira des mille sources de notre pays comme autant de participations citoyennes. D’autant qu’une myriade d’hommes et de femmes engagés vient, avec leurs compétences, enrichir le débat public d’une multitude de propositions alternatives. Le plus souvent circonscrits sciemment à la marge du champ médiatique, ils sont syndicalistes, économistes, intellectuels, universitaires, climatologues, responsables d’ONG, et s’inscrivent à contre-courant de l’idéologie dominante. Ensemble, nous devons réinvestir la production intellectuelle collective.
J’imagine un congrès national, populaire et citoyen. Pourquoi ne pas le tenir au Bourget dans un grand rassemblement qui finalisera cette construction ? L’incarnation arrivera en son temps, mais prenons garde, ne laissons pas le candidat naturel du PS et ses partisans exercer un chantage, le pistolet sur la tempe, pour nous effacer.
Prenons garde à ne pas laisser la droite occuper tout l’espace médiatique et vampiriser la campagne électorale pendant des mois avec sa primaire. Si nous ne brisons pas ce double vitrage, nous disparaîtrons. Alors, à nous aussi d’organiser des primaires. Tout est possible, il n’est pas trop tard.
François Asensi, député de Seine-Saint-Denis.
Lire aussi "Primaire : pour une gauche franche", par Clémentine Autain.
Cher François,
j’ai suivi avec sympathie et parfois soutenu tes initiatives politiques depuis ton attitude critique envers la direction Hue du PCF, jusqu’aux prises de position plus récentes contre la loi Macron. Mais, laisser passer l’état d’urgence à l’Assemblée est un marqueur de la vielle gauche qui croit plus en l’autorité qu’en l’émancipation.
Pire, tu viens de plaider pour le front populaire contre le front unique, ce qui rappelle un débat historique de l’internationale communiste des années 1930, comme tu dois le savoir. Les oppositions de gauche, dont Trotsky et nombre de communistes allemands et italiens avaient plaidé en vain pour le front unique des gauches contre la menace fasciste en Allemagne de la base au sommet, alors que Staline préféra laisser faire les nazis allemands contre la république bourgeoise. Ce n’est qu’après la victoire d’Hitler en 1933 que le PCF français a proposé, sous la pression démocratique de sa base militante, un "front populaire". Il s’agissait d’une version édulcoré du front unique car le front populaire était ouvert aux partis de droite. Finalement, seul le parti radical s’est rallié au front des gauches dans le gouvernement de front populaire, qui gagne les législatives de 1936, mais qui gére la grève générale de juin 36 plus qu’il ne l’a prolongé politiquement. Pour finir, la formule ambivalente et à la longue inefficace de front populaire a abouti au vote des pleins pouvoirs du général Pétain, par les parlementaires issus de la victoire électorale du front populaire, comme tous les manuels d’histoire le montrent !
Le front unique devait concerner tout le monde du travail et tous les citoyens discriminés, "exploités, opprimés, déshérités" (Marx), tandis que le FDG n’a jamais été qu’un cartel électoral minoritaire, sans ambition globale. Et les signataires de l’appel "primaires" ont une assise sociale encore plus limitée, mais il est vrai que l’ouverture à droite, jusqu’à Hollande et le centre, rappelle le mauvais souvenir du front populaire originaire.
Je suis atterré de voir, camarade, que tu revendiques explicitement l’héritage trouble qui s’incarne dans le refus du front unique, et venant de la part d’un ancien élu du PCF cela convoque la part stalinienne de la tradition communiste. En même temps, tu refuses de voter contre l’état d’urgence au parlement, véritable projet historique de la droite gaullienne depuis la guerre d’Algérie...
Ce n’est pas sur des bases idéologiques et historiques aussi peu solides qu’une gauche peut renaitre en France. Merci de dire sans fard le fond de ta pensée ! Bien entendu, il n’y aura pas de front populaire avec Valls et le PS, ni avec la droite républicaine, en 2017, qui vont tout faire pour éliminer les élus communistes et apparentés comme ils l’ont déjà tenté en 2012. Tu seras alors sans doute écarté du parlement et ce sera, hélas, la fin de ce genre de discours alambiqué.
Salutations internationalistes, Sacha Goldwasser
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