Affirmant que le troisième mémorandum conduit la Grèce vers l’abime économique et social, ils appellent les forces sociales et politiques grecques à mettre en œuvre un nouveau modèle de développement seul susceptible, selon eux, de sortir la Grèce de l’ornière.
Ce nouveau modèle devrait être fondé sur la diversité des formes d’économies, combinant les initiatives privées, un secteur public rénové et un secteur d’économie sociale et solidaire développé et performant. L’appel insiste notamment sur la territorialisation des actions à mettre en œuvre pour développer de nouveaux réseaux productifs (liens entre les entreprises de différentes tailles et les Universités) et de nouvelles solidarités économiques et sociales (systèmes d’échanges localisés, banques temps, circuits courts, économie circulaire, etc.).
Les signataires s’adressent aux forces vives de la Grèce pour qu’elles s’investissent au plus vite dans l’élaboration de ce projet de développement. Ils appellent les autorités grecques, actuelles et futures, à se mettre au service du mouvement populaire et à organiser de toute urgence des "États Généraux du Développement". Voir le texte complet de l’appel.
Gabriel Colletis me l’ayant adressé, je lui ai fait part de mon intérêt et de mes interrogations sur son contenu. Nous publions cet échange d’un commun accord.
Bernard Marx.
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Bernard Marx. Ma principale interrogation sur votre appel tient au fait qu’il s’adresse aux Grecs (forces sociales et politiques, autorités actuelles et futures) et à eux seuls. Je crois au contraire que si l’on veut construire un avenir pour la Grèce, il ne faut pas laisser de côté les autres Européens (institutions, forces sociales et politiques) et ne plus rien exiger d’eux.
Gabriel Colletis Oui. Il s’agit bien d’un Appel "Un avenir pour la Grèce". Un appel signé par des Grecs et aussi, voire surtout, des non-Grecs : Français et autres Européens. Sans doute, d’autres appels, spécifiques, pourraient suggérer la mise en œuvre d’un modèle de développement pour tel ou tel autre pays autre que la Grèce (européen ou non). J’ai moi-même rédigé en 2012 un ensemble de textes intitulé "Un modèle productif pour la France". Peut-on envisager un appel européen ? Certainement. Il n’y a aucune incompatibilité entre ces démarches, ni effet de substitution. Aucun "souverainisme" donc mais une volonté politique de défendre la démocratie dont la nation reste le cadre de référence ou d’exercice.
B. M. S’agissant du mémorandum, je partage très largement l’appréciation de l’appel. Mais je pense personnellement que la responsabilité en incombe pour l’essentiel aux institutions et dirigeants européens et des pays membres et non au gouvernement Tsipras. Or l’appel n’en dit rien. Ce qui surligne a contrario la part de responsabilité de ce gouvernement, comme s’il aurait pu faire autrement que signer tout en restant dans l’euro (ce que je ne crois pas), ou comme s’il aurait dû choisir d’en sortir (ce que les Grecs ne souhaitent pas et ce qui n’était certainement pas son mandat). Bien entendu, cela ne veut pas dire que ce gouvernement n’a pas fait d’erreurs durant ses six mois d’existence, mais cela ne change pas, selon moi, la responsabilité de ce mauvais accord.
G. C. En effet, la responsabilité du gouvernement grec est très grande dans ce qui s’est passé depuis janvier dernier et qui s’est conclu par l’adoption d’un mémorandum qui non seulement accentue les politiques d’austérité en Grèce mais s’accompagne d’un abandon de souveraineté. Évidemment, les "institutions" qui ont négocié avec le gouvernement grec ne lui ont fait aucun cadeau. Cependant, cela était parfaitement prévisible. Le gouvernement grec issu des élections était mal préparé à assumer l’exercice du pouvoir. Je le sais de près… Les raisons en sont multiples. J’en retiens deux ici : un corps de doctrine insuffisamment construit pour un parti très jeune, ayant attiré des mouvances politiques d’horizons nettement différents (dont des cadres issus du Pasok, venus en nombre dans la dernière période) ; une posture globalement protestataire ou critique, à l’image de l’ensemble de la gauche radicale européenne. Une gauche qui a du mal à élaborer un projet positif, a fortiori un programme opérationnel de changement. L’erreur cardinale du gouvernement Tsipras le 26 janvier aura été de ne pas déclarer un moratoire sur la dette et un contrôle des capitaux.
B. M. Quelle est la faisabilité, dans le cadre de ce mauvais accord, du projet de développement pour la Grèce, qui est le corps de votre appel et avec lequel je me sens assez largement en phase. Elle parait très difficile sinon impossible. Mais à quelles actions appelez-vous en fait à cet égard, les autorités grecques à venir ? À ne pas l’appliquer ? À une stratégie de guérilla ? À une recherche de marge de manœuvres à l’intérieur de l’application du mémorandum ? L’appel ne le dit pas. Là encore, cela ne concerne pas seulement les Grecs mais aussi les "Européens". Il me semble que nous devrions continuer d’adresser aux dirigeants européens des exigences pour la Grèce, à commencer par la restructuration de la dette grecque.
G. C. L’appel que nous avons lancé prend précisément en compte les effets prévisibles du chaos économique et social qui sera la conséquence du troisième mémorandum…lequel s’ajoute aux deux précédents. La Grèce est une "terre brûlée" et le troisième mémorandum va achever de brûler ce qui reste. Afin d’atteindre les objectifs d’excédent budgétaire assignés, le gouvernement baissera les dépenses publiques et les dépenses sociales. Ceci touchera en priorité les plus faibles (les retraités, les jeunes, les familles, les malades). La Grèce va devenir le champ d’une économie mafieuse et d’importations "low cost". C’est pour conjurer cette tendance que nous avons lancé cet appel en suggérant la mise en œuvre d’un modèle de développement dont la ressource principale est aussi la finalité : le peuple lui-même, ses besoins, ses compétences, sa capacité à s’organiser. La lecture de l’appel est à ce stade de ma réponse indispensable. Ajoutons que cette démarche n’est pas une démarche contre le gouvernement. Que celui-ci est informé de l’existence de cet appel. Que son co-initiateur, Ioannis Margaris, est membre de Syriza et a été nommé par le gouvernement à des fonctions importantes. Quant aux exigences à adresser aux dirigeants européens, elles n’ont de portée que si elles sont le fait du mouvement social.
B. M. L’appel met en équivalence le fait de rester dans l’euro tel qu’il fonctionne et le fait d’en sortir. Je suis d’accord pour considérer qu’il n’y a pas en la matière de solution positive, mais deux solutions négatives, chacune ayant un coût très élevé. Mais ce ne sont pas les mêmes coûts. Je ne crois pas que dans ces conditions, on puisse appliquer la même stratégie, voire le même modèle de développement, si la Grèce reste ou sort de l’euro, compte tenu notamment de sa très grande dépendance vis-à-vis des importations.
G. C. Sortir de la zone euro représenterait ou représentera pour la Grèce un coût très élevé. En particulier en raison du couplage entre une très forte dépendance de ce pays aux importations et une dépréciation sans doute importante de la valeur de la "drachme nouvelle" qui suivra son introduction. Rester dans la zone euro induit cependant des contraintes dont on a mieux compris la nature à présent. L’euro n’est pas qu’une "simple" monnaie. C’est un ensemble de règles, de normes, d’institutions qui constituent ensemble une camisole anti-démocratique et contraire au développement. Un des objectifs à terme de l’appel est de réduire la dépendance de la Grèce aux importations. Les voies ne seront, en effet, pas les mêmes selon que la Grèce reste ou sorte de la zone euro. L’appel définit des orientations et des principes. Leur mise en œuvre sera différente selon le cas qui risque fort d’être celui d’une sortie de la zone euro. Ce, parce que la Grèce ne parviendra pas à tenir ses engagements d’excédent budgétaire et de privatisations.
B. M. En avril dernier, dans un plan proposé conjointement avec Robert Salais et Jean-Philippe Robé, vous proposiez une transformation de la dette grecque détenue par les autres États européens en certificats d’investissements. Ce n’est pas la solution technique que je veux ici mettre en relief, mais l’idée de fond qu’elle exprimait, à savoir le besoin de financer une relance des investissements productifs indispensables en Grèce, en France et dans les autres pays du Sud de l’Europe. En présentant ce plan, [La Tribune] avait même pu parler d’une proposition de plan Marshall pour la Grèce. Mais cette exigence a disparu de votre nouvel appel, comme si un projet de reconstruction et de développement économique et social pour sortir la Grèce de l’ornière pouvait se réaliser seulement avec l’épargne des Grecs et sans coopérations financières et productives nouvelles avec les autres pays européens. Ce que je crois, en ce qui me concerne, irréaliste.
G. C. Cette proposition demeure et a même été représentée au gouvernement grec ce jour (23 septembre). Dans l’Appel, nous ne l’avons pas évoquée car cela n’était pas l’objectif de l’Appel que de recenser les modalités de résolution de la question de la dette. Ceci étant, il est exact qu’un nouveau modèle de développement doit envisager la question financière mais sous un angle novateur. Plusieurs groupes de travail vont être créés, suite à la signature de l’Appel. Parmi ces groupes, un groupe spécifique sera consacré aux questions de financement. Il est probable que toutes les possibilités seront examinées, allant de l’épargne de proximité à la finance solidaire en passant par les monnaies parallèles. Les coopérations financières internationales seront également prises en compte, de même que des propositions seront faites à la fois pour réorienter certains circuits de financement (BEI, Fonds européens) et, surtout, définanciariser l’économie (développement des SCOP, des banques temps qui permettent de démonétiser les échanges).
“Je suis d’accord pour considérer qu’il n’y a pas en la matière de solution positive, mais deux solutions négatives” (Bernard Marx).
Démoralisant de voir combien l’effet "TINA" sévit jusque dans les esprits de la gauche radicale.
Non, monsieur Bernard Marx, les deux “solutions” ne sont pas comparables : le maintien dans l’euro, c’est la précarisation à perpète, jusqu’à son institutionnalisation à un degré satisfaisant pour la finance ; alors qu’avec la sortie de ce carcan, revient à l’horizon l’espoir que les difficultés engendrées par cette sortie ne seront, elles, que passagères.
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