Dimitris Papachristos est une figure historique de la Grèce depuis qu’en 1973, alors que les chars de la junte cherchaient à étrangler la résistance à la dictature des Colonels menée par les étudiants de l’École polytechnique, il chanta l’hymne national grec à la radio. Sa voix est devenue le symbole de cette résistance. Il dirige aujourd’hui, avec Manolis Glezos, le magazine Politis. Ensemble, ils ont fondé Syriza en 2004, et lui-même a soutenu Alexis Tsipras tout en participant aux luttes dans le pays.
Regards. Quel regard portez-vous sur la situation grecque ?
Dimitris Papachristos. Des erreurs ont été commises. Tout d’abord, l’année dernière, au moment de l’élection du nouveau président de la République, Syriza n’aurait pas dû prendre la voie des élections législatives anticipées en janvier 2015. Ensuite, il n’aurait pas non plus fallu choisir Prokopis Pavlopoulos comme président de la République en février alors que dans le pays, la tendance naturelle était à la progression de la gauche. Puis, une fois au gouvernement, Syriza a signé le pré-accord du 20 février avec l’Eurogroupe : il ne lui laissait aucune marge de manœuvre. Toute la logique a ensuite conduit là où nous en sommes. Comme le prouve la proposition de 47 pages, remises par Alexis Tsipras, qui a été à la fois considérée comme une « base de négociations » par Jean-Claude Juncker et les autres, avant d’être rejetée.
« Alexis Tsipras n’a pas compris que nous n’avions pas en face de nous l’Union européenne, mais l’Europe allemande »
Le gouvernement d’Alexis Tsipras n’a pas pris la mesure des véritables intentions des institutions européennes ?
Le premier ministre lui-même a reconnu que nous avions eu des illusions. Nous avons été dupés par ce qui nous était dit, par ces tapes dans le dos en guise de signes d’amitié quand, en réalité, le Hollandais [Jeroen Dijsselbloem, chef de l’Eurogroupe, ndlr] était le véritable chef d’orchestre. Les Européens pensaient que nous allions nous jeter dans la gueule du loup. Alexis Tsipras n’a pas vu les dents : le système capitaliste, la dette, les banques. Il n’a pas compris que nous n’avions pas en face de nous l’Union européenne, mais l’Europe allemande.
Mais Alexis Tsipras a signé l’accord...
Lui et son équipe ont fini par négocier, le pistolet sur la tempe, et ont été obligés de déclencher un référendum à contretemps. Il aurait fallu le faire deux mois plus tôt. Le système et Wolfgang Schäuble [le ministre allemand des Finances, ndlr] exerçaient un chantage au grexit, mettant dans une situation de terreur le peuple grec et l’eurozone, en disant que c’était l’euro ou la faillite incontrôlée. Le dilemme n’était pourtant pas euro ou drachme. Et le "non" grec le disait. Il dépassait d’ailleurs de loin les 62% obtenus ! C’était un non beaucoup plus grand…
Pourquoi un "non" plus grand ?
Il commence à Marathon. À l’époque, les Grecs pensaient ne pas pouvoir combattre car les Perses étaient beaucoup plus nombreux. Si nous n’avions pas résisté à Thermopyles, toute l’Europe aurait été perse ! Cette histoire s’est répétée de nombreuses fois. Même en 1821 [à la fondation de la Grèce moderne, ndlr], après trois-cents années d’esclavage et de sainte-alliance européenne, les héros de la guerre d’indépendance grecque comme Kolokotronis ou Karaiskaskis se sont lancés dans la bataille avec ce mot d’ordre : « La liberté ou la mort. » Ils se sont affrontés à leurs agresseurs dans les conditions les plus difficiles. Les Grecs ne doivent donc pas avoir peur de dire non. Il n’aurait pas fallu dire non à Hitler et à Mussolini car nous étions un petit peuple qui ne pouvait se battre ? Ils se sont battus, en plein hiver, dans la neige. Et les Italiens, bien plus forts, sont repartis en Albanie. Le problème, c’est qu’ensuite, nous avons systématiquement dû avoir recours à des emprunts qui nous mettaient dans une situation de dépendance.
« Le gouvernement grec a empêché la réalisation du dessein de Wolfgang Schäuble : la mise en place d’une Europe à deux vitesses »
Le gouvernement Syriza aurait-il pu inverser cette tendance ?
Quand le gouvernement de gauche a été élu en Grèce, il a été évident que cela pouvait créer un précédent en Europe, et donc créer des problèmes à ceux qui refusent une réorientation de l’Union européenne. C’est pourquoi ils ont continué à faire de nous des cobayes, ils ont continué à vouloir nous imposer le néolibéralisme et l’austérité. En 2010, je disais que si la Grèce était un laboratoire, elle pouvait le devenir pour le renversement et la rupture avec ce système – qui n’a rien à voir avec l’Union européenne, rien à voir avec cette idée d’après-guerre selon laquelle il fallait favoriser l’unité en Europe, chasser toute nouvelle guerre, vivre en solidarité et en liberté entre peuples. Nous avons résisté. Mais nous avons gouverné sur un autre terrain. Nous n’avons pas préparé le peuple grec à ce qui se produirait sans l’euro et avec la drachme. Les victoires ne sortent pas des urnes, mais des luttes, dans les rues, avec comme objectif, pour les peuples, de travailler ensemble sans peur.
Que retenir, tout de même, de positif dans l’expérience de ce premier semestre 2015 ?
Si Syriza au pouvoir a fait deux bonnes choses, ce sont les suivantes. D’abord, il a mis en évidence le mensonge et l’hypocrisie ; il a montré quels sont ceux qui utilisent les banquiers pour transposer leurs ordres. Ceux-là ont été terrorisés quand ils ont vu que l’axe Paris-Berlin était au bord de la rupture. Syriza a donc montré que l’Europe ne tient pas sur ses pieds. Toute sa structure est pourrie. Et la Grèce continue de faire peur. Même si le gouvernement a été obligé de signer, il a empêché la réalisation du dessein poursuivi par Wolfgang Schäuble depuis 1996 : la mise en place d’une Europe à deux vitesses. Dans la tribune qu’il a publiée dans Le Monde, fin mai, Alexis Tsipras affirmait qu’il ne serait pas l’homme de la division de l’Europe. Il n’est jamais allé à la rupture. La deuxième chose positive concerne la politique à l’intérieur de la Grèce. Les partis qui ont signé les mémorandums n’ont plus d’influence dans la société grecque au-delà de leur propre entourage. Le "non" a dépassé Syriza. Malheureusement, par la suite, on a continué à faire chanter le peuple grec. Et le gouvernement promet d’appliquer le nouvel accord mieux que les autres.
« La politique doit renouer avec la société. Elle ne peut avoir que des citoyens actifs »
Que faut-il faire maintenant ?
Il faut construire un front de libération, national, de classe et patriotique, contre la nouvelle occupation économique que les Allemands nous imposent, non avec les armes de l’époque – des tanks – mais avec celles d’aujourd’hui – les banques. Il faut éviter le danger de la division du peuple. C’est le drame que je redoute ! Et je ne suis pas le seul. Nous n’avons pas encore eu le temps de créer ce front. Mais nous devons le faire.
Avec Syriza ou avec Unité populaire ?
En ce moment, les divisions sont nombreuses. Le "non" du peuple a été poussé dans les bras du oui. Unité populaire ne peut pas gérer le "non" ; Syriza ne peut pas gérer le "oui". La lutte ne se termine pas aux élections. Je veux être dans la rue avec les citoyens. Nous devrons être dans la rue pour saigner pour l’ensemble de l’Europe. Manolis Glezos et moi avons fait Syriza. J’appartiens à une gauche communiste qui n’a pas de relation avec le passé communiste de la vérité absolue, du dogmatisme... mais qui revendique la démocratie directe, la citoyenneté active, l’autogestion, la liberté, la justice et le respect de nos différences. Nous devons ramener la Révolution française dans les données d’aujourd’hui et faire émerger les nouvelles Lumières. La politique doit renouer avec la société. Elle ne peut avoir que des citoyens actifs. La démocratie est un sac vide si tu ne le remplis pas ! Quand nous avons créé Syriza, en 2004, nous l’avons fait avec des citoyens actifs, nous étions ensemble, tous participaient. À l’époque j’étais candidat. Il faut rendre de nouveau les citoyens actifs.
Merci à Regards pour cet article de fond. La date de l’interview n’y figure pas. Avant sans doute la création du nouveau parti Unité populaire de Lafazanis, auquel vient de se rallier Zoé Konstantopoulou, présidente de la Vouli. Le combat continue.
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