En Corse, les 3 et 10 décembre prochains, un scrutin actera la création le 1er janvier d’une nouvelle collectivité territoriale, fusion des deux départements et de l’actuelle Assemblée de Corse. Sept listes se disputent le scrutin, dont la seule liste de gauche est "L’Avenir, La Corse en commun" regroupant La Corse insoumise, le PCF, Manca Alternativa et Ensemble !. Principaux adversaires : les autonomistes et la droite, classique ou macroniste.
Rien d’original, sauf que… L’équipe nationale de la France insoumise (LFI) n’a pas du tout aimé cette alliance qui évoque trop feu le Front de gauche.
Dispute sur le label LFI
Jean-Luc Mélenchon, plus que de dénoncer une « pauvre tambouille », l’a maudite. Sur son blog, le chef de file des députés insoumis arguait le 7 novembre :
« Je déplore que la liste du PCF et des anciens communistes en Corse joue une misérable usurpation de notre sigle. [...] J’admets que le PCF et ses alliés fassent leur liste. C’est bien leur droit le plus strict. Mais pourquoi vouloir faire croire que "La France insoumise" en est partie prenante comme l’a déclaré le porte-parole du PC […], aggravant par une nouvelle provocation le divorce déjà consommé entre nous ? C’est une fois de plus une détestable méthode. Je crois que les électeurs en Corse sanctionneront cette façon de tenter de les duper. »
Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, souligne tout de même que Mélenchon « parle des femmes et des hommes qui ont été les militants de LFI depuis sa création. Il y a là les candidats aux législatives de LFI ». Un argument que n’entend pas Manuel Bompard, directeur des campagnes de LFI, pour lequel « les candidats de LFI aux législatives n’ont pas le droit d’attribuer le label de LFI ». Sauf qu’en l’occurrence, la liste se présente sous le label "Corse insoumise" et que cette décision a été prise par une écrasante majorité de ceux qui soutinrent JLM et LFI au printemps de cette année.
Ce qui chagrine Mélenchon, mais aussi certains Corses insoumis ne soutenant pas la liste, c’est plus la forme que le fond. « Une poignée de personnes a pris "en otage" l’ensemble du mouvement », explique Manuel Bompard. Il ne veut plus entendre parler de « cartel d’organisations politiques », car LFI entend être la seule plateforme légitime pour représenter la gauche. Mais n’allez pas croire qu’il s’agit là simplement d’une querelle LFI / PCF, pas plus que d’un désaccord entre Paris et la Corse.
Hégémonie ou monopole ?
L’un des principaux problèmes de cette liste commune réside dans son processus d’élaboration. À Paris, LFI explique que c’est au comité électoral du parti de donner son approbation à une candidature. D’où l’accusation d’« usurpation d’identité ». « Inacceptable d’un point de vue démocratique », s’énerve Jacques Casamarta,.
Pour la tête de liste et ancien candidat LFI aux législatives, cette réaction pose deux questions. Celle du fonctionnement interne :« Plus de 80% des militants corses ont pris cette décision en toute clarté », assure-t-il, rageant de voir que « Mélenchon ne respecte pas la base ». Et celle de l’unité. Jacques Casamarta s’inquiète de voir LFI devenir un « parti unique » qui ne respecterait pas la pluralité des militants de gauche.
Pour Olivier Dartigolles aussi, c’est clair, « Mélenchon n’accepte pas l’exercice de la démocratie » alors que « c’est une bonne nouvelle quand des gens arrivent à se rassembler ».
Que LFI souhaite devenir hégémonique pour faire gagner la gauche, c’est une chose. Mais est-ce possible en dénigrant son propre camp ? Pour Nathalie Bourras, militante de la Corse insoumise opposée à la liste, « rien n’empêche que sur une liste LFI il puisse y avoir des communistes, des gens du NPA ou des autonomistes de gauche. C’est ça le principe de LFI, on est déjà une plate-forme de rassemblement ».
Exit la gauche, place aux autonomistes ?
Sur le même post de blog, Mélenchon écrit : « Cette pauvre tambouille tourne le dos à toutes les grandes questions qui se posent en Corse à partir du vote des législatives ». Et que s’est-il passé en Corse aux législatives de juin dernier ? Trois députés élus sur quatre étaient autonomistes.
Ainsi, « il est devenu vain d’ignorer que quelque chose de très profond et peut-être d’irréversible s’est produit », ajoutait "JLM", précisant qu’il comptait rencontrer « bientôt les députés autonomistes corses pour échanger avec eux et comprendre leur démarche ».
Selon le secrétaire régional du PCF et numéro 3 de la liste Michel Stefani, Mélenchon est en train de tourner le dos à sa famille politique au nom d’un « populisme de gauche ». Il lance : « Il s’adresse à ses électeurs pour dire ’ne votez pas pour la seule liste de gauche’ et, dans le même temps, il tend la main à la majorité nationaliste. C’est sa conception du rassemblement. Il s’adresse aux gens, indistinctement, et leur demande de se rallier à lui, en ignorant les forces déjà organisées. Il y a trahison. »
Un point de vue qui n’est pas partagé par Nathalie Bourras qui, au contraire, se dit « ravie qu’on puisse discuter, à gauche, du statut de la Corse ». Et elle assure qu’« il y a des autonomistes qui ont voté pour Mélenchon à la présidentielle. On ne peut pas laisser ce débat aux seuls autonomistes. »
Irréductible singularité corse
Même si LFI ne soutient officiellement aucune liste lors de ce scrutin, on peut s’interroger sur la pertinence politique d’un tel rapprochement entre « le plus jacobin des jacobins », comme certains Corses appellent Mélenchon, et des autonomistes qui, par essence, ne sont pas les plus fervents adeptes de la République une et indivisible.
Manuel Bompard développe : « On ne se retrouve pas dans l’offre politique qui existe et on ne peut pas passer à côté du fait que la colère populaire s’exprime dans la démarche autonomiste. Ça ne veut pas dire qu’il faut faire des listes communes, mais prendre en compte ces revendications dans ce qui serait une autre forme de rassemblement en Corse ».
À quoi ses détracteurs "insoumis" ne manquent pas de souligner que Mélenchon peut, au nom de la France insoumise, discuter avec les nationalistes, mais la Corse insoumise, elle, n’a pas le droit de décider et doit de contenter d’obtempérer…
Une chose est sûre : en Corse, les modèles classiques, ni même l’Union de la gauche, n’ont jamais fonctionné. Un particularisme politique bien ancré dans une histoire et une géographie dont chacun doit tenir compte car, comme le dit Jacques Casamarta : « Les décisions qui concernent la Corse ne se prendront pas à Paris. Si, en 1943, les résistants avaient attendu les ordres de Paris, il n’y aurait pas eu l’insurrection ».
La gauche se dechire... Ah bon ? ;)
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