photo Louis Camelin
Accueil > Résistances | Par Emma Donada | 18 juillet 2016

En France, la lutte contre la violence policière s’organise

Avec le mouvement Black Lives Matter en invité, la journée contre les violences policières s’est tenue jeudi sur la place de la République. Manifestants et familles de victimes se sont unis autour d’une même revendication : la fin de l’impunité.

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Sur l’estrade installée devant la statue, place de la République, à Paris, un groupe de rap originaire de Seine-et-Marne chante devant une foule enthousiaste. Depuis son stand de la Confédération nationale des travailleurs, (CNT), Christian Drouet sourit de satisfaction : « La date du 14 juillet n’était pas préméditée, mais c’est très bien. Jusqu’en 1953, la fête nationale était aussi une fête populaire, comme le 1er mai ».

Dans les années 1950, la manifestation du 14 juillet était devenue le point de rencontre entre la CGT, le PCF et le mouvement indépendantiste algérien (MDLT) dirigé par Messali Hadj. En 1953, la police décide de mettre fin au rassemblement en tirant, sans sommation sur les manifestants. Six Algériens et un Français tombent sous les balles. Le procès aboutit à un non-lieu, confirmé en appel en 1958.

La convergence pour sortir de l’anonymat

Plus de soixante ans après ce drame méconnu, les stands de la place de la République rappellent aux passants que les violences policières existent toujours. L’événement qui s’est tenu tout l’après midi jusqu’au soir a été organisée par Urgence notre police assassine, à l’appel de l’Assemblée des blessés et des familles de victimes. Amal Bentounsi, fondatrice du collectif, explique la démarche :

« Nous avons voulu organiser une convergence entre les collectifs de famille en banlieue et les victimes de violences policières pendant les mouvements sociaux ».

Une dizaine d’organisations ont répondu présent. Réparties en stand autour de la place de la République, on retrouve les familles de victimes, mais aussi la CNT, Femmes en luttes 93, ou encore la coordination anti-répression mise en place au début du mouvement contre la loi travail. « Le déclic, ça été la mort de Rémi Fraisse », explique Christian Tidjani. En 2010, son fils de seize ans, Geoffrey, est grièvement blessé au visage par un tir de Flashball alors qu’il bloquait son lycée à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Le 10 juillet, l’Assemblée des blessés, dont le père fait partie, s’est rendue au rassemblement estival de Notre-Dame-des-Landes pour organiser un débat. « Beaucoup de gens sont venus nous voir pour témoigner des violences qu’ils avaient subies. Le stand n’a pas désempli », raconte avec étonnement M. Tidjani. Cette journée de mobilisation, il la voit comme une nouvelle occasion de faire grandir le mouvement :

« Notre objectif est de montrer qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais manifestants, comme il n’y a pas de bons ou de mauvais citoyens ».

Le soutien des Black Lives Matter

Provoquer la rencontre entre les mondes, c’est bien l’objectif de cette journée. « Nous sommes pas venu faire un concert pour faire un concert », commente Amal Bentounsi avant de reprendre : « On veut que les jeunes qui ont fait le déplacement réfléchissent au sujet ». Au programme, des cours d’éducation populaire sur l’histoire de la police, une exposition photo, des témoignages mais aussi des ateliers de réflexion sur le traitement médiatique ou encore les femmes et la violence policière.

« N’ayez pas peur de comparer la France aux États-Unis, un meurtre est un meurtre », s’exclame Evelyn Reynolds, invitée au micro, en début d’après midi. Pour l’occasion, cette américaine, professeure de sociologie à l’université d’État de l’Illinois a revêtu le tee-shirt d’Urgence notre police assassine. Elle revient sur le choix de venir à Paris :

« Nous avons été très touchés par le soutien des Français sur les réseaux sociaux. Grâce à Internet, nous pouvons suivre ce qu’il se passe ici. C’est important de créer des relations internationales ».

Alors qu’une actualité tragique secoue son pays après la mort, début juillet, de deux citoyens noirs-américains abattus par la police sans raison apparente, un groupe de militants du mouvement Black Lives Matter a fait le voyage en Europe pour soutenir les mouvements de protestation contre les violences policière. Aux États-Unis comme en France, la société civile reste parfois la seule garante de la médiatisation de ces histoires.

Ali Ziri, Amine Bentounsi, le frère d’Amal Bentounsi, Amadou Koumé… Sur les banderoles attachées aux barrières métalliques des stands, des noms inconnus sont éparpillés, souvent accolés au terme de justice, ou de vérité. Deux éléments qui font terriblement défaut, en France selon Fatiha Bouras, la mère de Hocine Bouras. Son fils est décédé e 2014, à l’âge de vingt-trois ans, après avoir reçu une balle dans la joue lors de son transfert, alors qu’il était menotté. Depuis le décès de son fils, la famille de Hocine se mobilise pour en éclaircir les circonstances. Pour elle, la version des gendarmes qui indique que Hocine a tenté de s’emparer de l’arme de l’un d’entre eux, ne peut être véridique « puisque aucune empreinte digitale n’a été retrouvée sur l’arme et qu’il était menotté » explique Fatiha Bouras.

En finir avec l’impunité

Malgré ces doutes, en janvier 2016, les juges d’instruction rendent une ordonnance de non-lieu. « J’ai pensé que la justice me donnerait raison, et j’ai eu tord », regrette-t-elle, avant de préciser qu’elle a fait immédiatement appel. Elle a aussi déposé une plainte pour destruction de preuves. La décision sera rendue le 8 septembre. Un parcours malheureusement classique dans les cas de décès à la suite de violences policières.

Pour Christian Tidjani, le père de Geoffrey, le problème vient en partie de la récurrence des faux témoignages. Si son fils a bien été disculpé par la justice de toute action violente, il a d’abord dû démonter la version du policier responsable de sa blessure, qui l’en accusait. Par la suite, ce dernier a été condamné à un an de prison et un an d’interdiction d’exercer pour usage disproportionné de la force.

Une décision en faveur de la victime, plutôt rare dans ce genre de cas. Pas un hasard, selon le père de Geoffrey : « Ce qui manque à notre justice, c’est ce qui est en train de se créer à Bobigny avec l’avocat général Loïc Pageot », explique-t-il en référence au Tribunal de grande instance de Bobigny où s’est tenu le procès de l’affaire. Alors que les enquêtes sont souvent ralenties par la rétention d’information de la part de la police, Christian Tidjani résume les attentes :

« La création d’un pôle spécifiquement dédié aux violences policières permettrait de passer outre ce problème ».

Un espoir pour les familles de victimes de violences policières souvent isolées au moment des procès. « Les avocats de victimes déconseillent aux proches de se rapprocher de l’assemblée des blessés, à cause de la mauvaise image que nous véhiculons », déplore Christian Tidjani. « Nous, on ne fait pas de politique », affirme-t-il avant de reprendre : « Mais quand nous étions seuls, ce ne sont pas les élus de droite ni du PS qui sont venus nous voir ». De leur côté, les collectifs présents jeudi 14 juillet ont présenté en fin d’après-midi un nouvel Observatoire des violences policières, afin que la lutte s’inscrive dans le temps.

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Vos réactions

  • Bonjour,

    La phrase ci dessous est incomplète, ou mal tournée :
    "Notre objectif est de montrer qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais manifestants, comme il n’y a pas de bons ou de mauvais citoyens".
    En fait, nous nous focalisons sur l’attitude des forces de l’ordre et non celle de "contrevenants supposés".
    Notre crédo : Le policier n’est ni juge ni bourreau.
    Son procès verbal doit refleter la realité et non une situation à son avantage qui souvent criminalise sa victime.

    De plus, les victimes et familles de victimes, isolées, ne recoivent d’aides psychologiques que par ceux qui luttent contre les violences d’état. Les gvts successifs, de par leurs repressions tout azimut, font le choix de criminaliser, de radicaliser. La repression du mouvement "loi travaille !", de par sa violence et ses mensonges, suffit à le prouver.
    Les rangs grossissent... en réponse aux "coups de menton" qui précèdent la matraque le "flashball" et la grenade.

    "Radicaliser : Larousse, Rendre un groupe, son action, plus intransigeants, plus durs, en particulier en matière politique ou sociale : En déclenchant la grève, le syndicat radicalise ses revendications."

    Merci pour le papier, Bien à tous. C.T.

    Christian Le 18 juillet 2016 à 17:24
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