La collision entre les gouvernements catalan et espagnol qui s’annonçait depuis des semaines a enfin eu lieu. Vendredi dernier, le Parlement catalan a voté l’indépendance de la région, proclamant la République catalane.
Quelques heures plus tard, le Senat espagnol a donné son autorisation au gouvernement de Mariano Rajoy pour mettre sous tutelle la Catalogne, suspendant l’autonomie politique dont la région jouit depuis la fin de la dictature de Francisco Franco.
Puigdemont entre plusieurs feux
Dans la soirée, M. Rajoy a annoncé la destitution du président catalan Carles Puigdemont et de son gouvernement, ainsi que d’autres hauts responsables de l’administration catalane – dont le chef de la police régionale, les Mossos d’Esquadra. Finalement, M. Rajoy a annoncé la dissolution du Parlement catalan et la tenue d’élections régionales le 21 décembre prochain.
La déclaration d’indépendance et la suspension de l’autonomie de la Catalogne par le gouvernement en vertu de l’article 155 de la constitution étaient attendues depuis le référendum d’autodétermination du 1er octobre, qui avait été annulé par la Cour constitutionnelle espagnole. Les militants indépendantistes ont été déçus par le président de la Generalitat, le 10 octobre, quand il a suspendu la déclaration l’indépendance avec l’espoir de réussir à forcer une médiation internationale entre les gouvernements espagnol et catalan.
Cependant, les leaders européens ont assuré un soutien total à Mariano Rajoy et il n’y a pas eu de médiation. Pendant les semaines suivantes, Rajoy a initié les démarches pour activer l’article 155 et mettre sous tutelle la Catalogne, alors que Puigdemont avançait vers la déclaration d’indépendance.
Le premier ministre espagnol était sous la pression du parti de centre-droite Ciudadanos et de l’aile droite du Parti populaire (PP), qui voulaient la punition la plus sévère possible pour les rebelles catalans. Dans le même temps, les partis indépendantistes Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et Candidatura d’Unitat Popular (CUP) exigeaient de Carles Puigdemont une déclaration unilatérale d’indépendance immédiate.
Des conséquences imprévisibles
La suspension de l’autonomie de la Catalogne entraînera de nouvelles manifestations et peut-être des grèves, qui réuniront sans doute des centaines de milliers d’indépendantistes et non-indépendantistes en défense des institutions catalanes. Les deux franges se sont déjà retrouvés sous la même bannière lors des mobilisations contre les violences commises par la police nationale et la Guardia civil, et de la manifestation pour la libération des leaders indépendantistes Jordi Sánchez et Jordi Cuixart, en garde à vue depuis le 16 octobre.
Des milliers d’agents de la Guardia civil et de la police nationale venus d’autres régions de l’Espagne sont installés en Catalogne depuis septembre. Certains d’entre eux sont hébergés dans des navires dans les ports de Barcelone et Tarragone, d’autres sont dans des casernes.
Après la répression du 1er octobre, des manifestations spontanées ont cerné les hôtels où certains des agents logeaient, et plusieurs propriétaires d’hôtels ont décidé de les expulser de leurs établissements. Bien que les agents n’aient pas agi depuis le jour du référendum, de nouveaux épisodes de brutalité policière sont probables, l’application de l’article 155 pouvant difficilement être pacifique.
Le procureur général de l’Espagne a déjà annoncé qu’il alluser accuser de délit de rébellion (passible de trente ans de prison) Carles Puigdemont, tout son gouvernement et les membres du bureau du Parlement catalan qui ont décidé le débat sur la résolution sur l’indépendance de la région. Si la menace du procureur se concrétise et si Puigdemont et le reste du gouvernement catalan sont mis en garde à vue, les conséquences en termes de mobilisation sociale sont imprévisibles.
Des élections pour diviser les indépendantistes
La tenue d’élections régionales le 21 décembre exclut la possibilité d’une mise sous tutelle de la Catalogne de durée indéterminée, qui aurait renforcé l’idée que le peuple catalan ne peut pas être libre dans l’État espagnol. La transformation des mobilisations indépendantistes en insurrection est donc peu probable, puisque les institutions catalanes seront rétablies le 22 décembre, quand un nouveau Parlement régional sera élu.
La décision de Mariano Rajoy d’organiser des élections le plus tôt possible a un autre objectif : diviser le camp indépendantiste. En effet, une partie importante du Partit Demòcrata Català (PDCat) de Carles Puigdemont sera prête à se présenter aux élections, tandis que les anticapitalistes de la CUP, et peut-être ERC, pourraient faire le choix du boycott.
Leurs députés venant de déclarer que la Catalogne est une république indépendante dans laquelle les lois espagnoles ne s’appliquent plus, il paraît logique qu’ils refusent de participer à une élection convoquée par le gouvernement espagnol. Cependant, les indépendantistes ont aussi une bonne raison de s’y présenter : les derniers sondages prévoient qu’ils revalideront leur actuelle majorité parlementaire.
De son côté, la leader régionale de Ciudadanos, Inés Arrimadas, aimerait former une coalition avec les autres partis anti-indépendantistes, le Parti socialiste et le Parti populaire, pour briguer la présidence de la Generalitat. Le PP a déjà accordé son soutien à Arrimadas, mais elle a peu de chances d’être élue.
Podemos en difficulté
La situation est également difficile pour Catalunya en Comù (CeC), le parti frère de Podemos en Catalogne. Pablo Iglesias comme Ada Colau ont exprimé leur opposition aussi bien à la déclaration d’indépendance qu’à l’application de l’article 155 par le gouvernement espagnol. Ils continuent aussi à défendre la solution d’un référendum légal pour régler le conflit.
Cependant, la polarisation du débat politique catalan autour de l’indépendance laisse très peu de place aux positions intermédiaires. Cela explique dans une très grande mesure les perspectives électorales décevantes du parti d’Ada Colau pour les élections du 21 décembre – il obtiendrait 11 ou 12 sièges sur un total de 136, d’après un sondage récent. La situation n’est pas meilleure pour Podemos dans l’ensemble de l’Espagne : sa position favorable au référendum d’autodétermination en Catalogne est en train de lui faire perdre des voix, dans un contexte où le nationalisme espagnol et l’anticatalanisme sont devenus omniprésents.
La situation reste extrêmement tendue et imprévisible en Catalogne, personne ne sachant ce qui peut se produire au cours des prochaines semaines. Néanmoins, il fait peu de doutes que la mise sous tutelle de la région sera contestée dans la rue et que de nouveaux épisodes de violences policières de produiront.
La résolution du conflit semble impossible à court terme, surtout à cause de l’absence totale de propositions politiques de la part du gouvernement de Mariano Rajoy. Quant à eux, Podemos et ses alliés catalans ont de plus en plus de mal à trouver leur place dans une situation politique où le conflit national monopolise les débats.
Visca Catalunya Lliure i Socialista !
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