Dimanche 18 mai, le petit dernier des partis politiques marqués à gauche, Nouvelle donne, tenait meeting sur la place de la République à Paris. Avec Anne et Michel Hessel, enfants de Stéphane, l’humoriste Guy Bedos, Susan George ou l’ancien Guignol de l’info Bruno Gaccio, l’affiche était aussi alléchante qu’elle pouvait soulever des interrogations sur la pertinence d’un tel attelage. Nouvelle Donne est-il le dernier avatar de ces micro-partis d’agitation, forts en com’ peut-être, mais sans base politique crédible ? Les élections européennes du 25 mai prochain seront un premier test.
Avec une liste déposée dans les sept circonscriptions métropolitaines, pour un objectif de « quatre ou cinq députés élus », d’après son co-président Pierre Larrouturou (lire son interview), Nouvelle donne affiche ses ambitions. Et souhaiterait, malgré des premiers sondages peu favorables, créer la surprise, entre un Parti socialiste en chute libre et un Front de gauche en proie au doute.
Aux origines : "Roosevelt 2012"
« On a tout fait pour secouer Matignon »
Les atouts du parti résident dans son réseau, ainsi que dans un programme politique élaboré depuis deux ans au sein du collectif Roosevelt 2012. Constituée autour de Pierre Larrouturou et de Stéphane Hessel, alors membres du Parti socialiste, l’association entendait peser sur le programme du candidat Hollande, puis sur la politique du gouvernement Ayrault. Le collectif exhorte à rompre avec la doctrine néolibérale : la gravité des crises – économique, sociale, écologique – appellerait une réponse puissante et rapide, inspirée du volontarisme de Franklin Roosevelt et de sa politique du New deal – "nouvelle donne" en français – qui amorça la sortie de crise des États-Unis à partir de 1933. Autour d’un programme ambitieux, centré sur le partage du temps de travail et l’investissement écologique, Roosevelt 2012 rassemble plus de 110.000 signatures de soutien, dont celles de nombreuses personnalités.
Lors du congrès du Parti socialiste en octobre 2012 à Toulouse, une motion conduite par Hessel et Larrouturou, « Oser. Plus loin, plus vite », la plus à gauche, obtient le score surprise de 12%. Le PS reste pourtant sourd à leurs appels. Un an plus tard, tandis que Stéphane Hessel a disparu, Pierre Larrouturou quitte les socialistes pour fonder Nouvelle Donne, en compagnie de membres de Roosevelt 2012. « On a été quinze fois à l’Élysée, quinze fois à Matignon, raconte l’économiste. On a tout fait pour les secouer. Ensuite on a décidé de prendre nos responsabilités, de proposer aux citoyens de voter pour d’autres politiques. Voilà pourquoi on a créé Nouvelle donne. » D’une structure à l’autre, le projet reste sensiblement identique : « Il faut changer radicalement de modèle de développement », avance Larrouturou dans un livre programmatique, La Grande trahison, paru chez Flammarion.
Écologie, partage du travail et "euro-franc"
Depuis, Larrouturou prêche la bonne parole de plateau télé en plateau télé. La croissance économique, en diminution lente mais régulière depuis cinquante ans, ne reviendra pas. Pour remédier au chômage de masse, l’une des propositions phares de ND veut donc remettre la réduction du temps de travail au centre du débat politique : « Le partage actuel du travail entre les désœuvrés et les surmenés est stupide et ne profite qu’aux actionnaires. Il est urgent de négocier un nouveau partage du travail tout au long de la vie ». Le programme actuel du parti ne donne pas de précisions quant à la durée légale envisagée, mais la semaine de quatre jours, pour une durée hebdomadaire ramenée à trente ou trente-deux heures, est régulièrement évoquée.
Sur le plan européen, le parti veut instaurer une "zone d’action resserrée" autour de pays moteurs, pour imposer un "traité social de convergence par le haut", ainsi qu’une série de mesures traditionnellement avancées par la gauche de la gauche : financement de la dette à taux réduit via la Banque européenne d’investissement, séparation bancaire, taxation des transactions financières, impôt européen sur les bénéfices et salaire "anti-dumping". Plus original : la création d’un "euro-franc", émis par la Banque de France à parité avec l’euro, et destiné à soutenir la consommation : « Chaque citoyen résident, âgé de plus de dix-huit ans, recevra chaque mois 150 euro-francs, sur un livret ouvert à cet effet ». Surtout, Nouvelle donne entend s’attaquer frontalement au changement climatique, à travers un "pacte européen" prévoyant l’investissement de mille milliards d’euros dans l’isolation thermique et le développement des énergies renouvelables.
Coalition politique élargie, ou parti "attrape-tout" ?
Pour porter ce programme, Nouvelle donne s’appuie sur une base politique étonnement large, allant du centre à la gauche radicale. Autour de déçus du PS comme la députée européenne Françoise Castex, et d’un noyau d’anciens Verts, telle la députée Isabelle Attard – co-présidente du mouvement – on trouve également Patrick Viverge, en provenance du PG, ou le conseiller régional d’aquitaine Patrick Beauvillard, transfuge du Modem. Alliance encore moins probable s’il en est, Nouvelle Donne revendique la présence de militants issus du NPA, cohabitant avec des gaullistes sociaux et des patrons progressistes.
Autour des politiques, ND est soutenue par des personnalités faisant autorité dans leurs domaines respectifs, qu’elles soient issues de la gauche intellectuelle (Dominique Meda, Patrick Viveret, le climatologue Jean Jouzel...), ou associative (Jean-Pierre Raffin, président d’honneur de France nature environnement, Éric Alt, vice-président d’Anticor...). Le mouvement veut ratisser large : « Nos militants viennent de Greenpeace, du Réseau action climat, des Amis de la terre, ou bien ils étaient engagés sur les questions du logement, du soutien aux sans-papiers », avance Larrouturou. De la "création d’entreprise" à la "biodiversité", en passant par les "circuits courts" et le "pouvoir d’achat", les trente-neuf mots d’ordre inscrits sur l’affiche de campagne du parti manifestent un certain penchant pour l’éclectisme. À moyen terme, la cohérence politique de Nouvelle donne survivra-t-elle à cette nature hétéroclite ?
Réduction du temps de travail, investissement public massif pour le climat financé par la création monétaire : les orientations principales de Nouvelle Donne s’inscrivent à contre-courant des politiques dominantes. Faut-il pour autant y voir une démarcation radicale de toute forme d’orthodoxie libérale ? En la matière, la ligne économique du parti n’est pas sans présenter certaines ambiguïtés. Sur la question du libre-échange, le projet reste prudent, proposant une régulation du commerce mondial par application de normes sociales et environnementales à l’importation. L’hypothèse d’un contrôle resserré des mouvements de capitaux semble également mise de côté.
Les événements diront si cette entreprise de refondation sociale-démocrate, voulant combiner acceptation de la mondialisation et volonté de transformation, pourra convaincre de sa pertinence et gagner un avenir à gauche.
"L’hypothèse d’un contrôle resserré des mouvements de capitaux semble également mise de côté".
Thomas CLERGET rédige un papier sur un mouvement politique dont manifestement il n’a pas lu le projet.
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