Note de la rédaction : afin d’apporter une pièce au débat sur l’installation-spectacle Exhibit B, nous publions en avant-première la chronique de Rokhaya Diallo à paraître dans le numéro d’hiver de Regards, qui sortira à la fin de ce mois.
Dès l’annonce de son arrivée en France, Exhibit B, l’installation de l’artiste sud-africain Brett Bailey s’est trouvée au cœur de la polémique, malgré l’objectif affiché de dénoncer le racisme. Le procédé de mise en scène de comédiens exclusivement noirs reproduisant les postures dégradantes des zoos humains – des corps nus, enchainés, bâillonnés, encagés – est controversé : Bailey, lui-même blanc, expose des figurants noirs réduits au silence, les faisant ainsi apparaitre comme dénués de toute capacité de révolte.
Balayer le ressenti des manifestants
Sitôt lancée, la pétition initiée par un collectif réunissant notamment des artistes majoritairement noirs recueille plus de 20.000 signatures pour demander la déprogrammation de « l’événement raciste », faisant suite à la mobilisation de militants antiracistes qui avaient obtenu son annulation à Londres. Pour appuyer leurs revendications, les pétitionnaires se rassemblent devant le Théâtre Gérard Philippe (TGP) à Saint-Denis, et le 104 à Paris qui accueillent l’installation.
D’emblée, j’ai été saisie par le mépris et l’arrogance avec lequel les responsables de ces institutions ont accueilli leurs objections. D’une part, la newsletter du 104 qualifiant Exhibit B d’« œuvre artistique d’une force et d’une clarté incontestable » balayait d’un revers de main le ressenti plus que légitime des manifestants noirs, pourtant en capacité – du fait de leur expérience de victimes du racisme – de mesurer la « clarté » du message. De l’autre, Jean Bellorini, directeur du TGP déclarait face aux manifestants : « Les représentations vont donc avoir lieu, même si je dois pour cela convoquer les CRS en tenue de Robocop pour que la loi soit respectée. »
Qui défendait alors la liberté d’expression ? L’institution envoyant des CRS brutaliser et gazer des manifestants ? Que dire de l’absurdité d’une situation où le public de l’exposition, très majoritairement blanc, assistait à une performance exposant des corps noirs meurtris au moment même où des CRS presque exclusivement blancs gazaient et réprimaient des militants, en majorité noirs, parce qu’ils affirmaient se sentir offensés et humiliés par le spectacle auquel assistait un public "antiraciste", mais indifférent à leur sort ?
Dénoncer le racisme en faisant abstraction des premiers intéressés
Ce déni, cette insensibilité, cette incapacité à remettre en cause l’œuvre malgré ses intentions louables était perceptible jusque dans la couverture médiatique des premières mobilisations, dont les protagonistes étaient décrits tels d’incultes sauvages incapables de comprendre l’expression artistique. Tandis que Le Monde évoquait une manifestante « pasionaria petite et baraquée », Télérama décrivait « de gros costauds s’affichant comme "La Brigade anti négrophobie" » sans même prendre la peine de donner la parole à ces individus sans doute jugés trop vulgaires.
Contrairement à ce qui a été dit par ces journaux, personne n’interdit à Bailey de s’exprimer sur le racisme parce qu’il est blanc. Les opposants à Exhibit B lui reprochent de prétendre dénoncer le racisme en faisant abstraction des premiers intéressés, dans un contexte où le monopole de la prise de parole artistique est détenu par des artistes blancs.
Or on ne peut pas ignorer l’émotion de celles et ceux qui se sentent blessés et insultés, quelles que soient les intentions initiales de l’artiste. Est-il impossible de réfléchir au racisme sans en reproduire les images les plus insoutenables ? Comment aurait été accueilli un artiste allemand non-Juif décidant de dénoncer la Shoah en reproduisant le camp d’Auschwitz avec acteurs juifs faméliques et vêtus de pyjamas rayés ? Aurait-on accepté qu’un homme dénonce le sexisme en exposant des femmes vivantes dévêtues et enchainées ? Le regretté Nelson Mandela affirmait avec justesse « Ce qui est fait pour nous sans nous est fait contre nous ». Il est temps d’ouvrir les institutions culturelles à la pluralité des regards et de permettre aux artistes de toutes origines de s’y exprimer.
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Rokhaya Diallo a t-elle vu le spectacle ??? Aucun corps n’y est "encagé" ni réduit à l’impuissance . Tous, au contraire nous renvoient par leur regard et leur dignité un questionnement , nous défient de soutenir leur regard. À partir de là toutes de critiques sont possibles , mais sur ce que montre vraiment la pièce , pas ce sur quoi on imagine qu’elle montre (en oubliant de mentionner que chaque tableau vivant est contextualisé avec un cartel qui énonce les faits historiques : massacres, esclavage, oppression . Qualifier ce travail de reproduction humiliante des situations est juste de la désinformation .
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