Accueil > Résistances | Par Jean Sébastien Mora | 9 janvier 2017

Faucheurs de chaises : le "radicalo-pragmatisme" selon Txetx et Jon Palais

À l’occasion du procès d’un “faucheur de chaises” ce lundi à Dax, deux figures de l’organisation Bizi, Jon Palais, poursuivi par BNP Paribas, et Txetx Etcheverry, co-fondateur d’Alternatiba, expliquent leur stratégie de lutte "radicalo-pragmatique".

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Lorsqu’on évoque avec lui la "bataille des idées", Jon Palais ne s’attarde pas sur une définition théorique. Pour le militant landais, une certitude, « les choses ne changeront qu’avec un réel mouvement de masse », et pour cela il faut être sur le terrain, capable d’élargir les thématiques de lutte au-delà d’un seul réseau d’activistes. Ce lundi 9 janvier, il est poursuivi par la BNP Paribas pour "vol en réunion" à la suite d’une action de réquisition de chaises qu’il a menée en octobre 2015 dans une agence parisienne avec la plateforme ANV-COP21 (Action Non-Violente Cop 21 [1]).

Le procès de Dax, procès de l’évasion fiscale

S’il risque cinq ans de prison et 75.000 euros d’amende, l’action a avant tout été pensée comme un nouveau levier d’action basé sur l’initiative citoyenne : « L’enjeu de l’évasion fiscale est déjà porté par des journalistes d’investigation, par des parlementaires », explique Jon Palais. En effet, Swissleaks, Clearstream, LuxLeaks, les Panama Papers, les Football Leaks ont amplement révélé l’étendue de l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux, le Luxembourg en particulier. Dès lors :

« Plus que de penser en terme de bataille des idées, il faut voir les choses en fonction du rapport de forces et comment nous pouvons agir de manière stratégique. La réquisition de chaises est une action de désobéissance techniquement facile, à la portée de tous ».

Cofondateur de Bizi !, d’Alternatiba, d’ANV-COP21 et militant basque, Jean-Noël Etcheverry, dit "Txetx" a participé à ces actions de réquisitions de chaises. Désormais, selon lui :

« La question n’est pas d’inventer une nouvelle solution contre l’évasion fiscale, mais comment peut-on pour imposer ce thème de manière permanente dans le débat public ? »

Ainsi, après la mise en scène de la "réquisition des chaises", les militants d’ANV-COP21 ont pensé le procès de ce lundi 9 janvier à Dax comme l’occasion de le transformer en celui de l’évasion fiscale. Vingt-quatre organisations de la société civile (ATTAC, les Amis de la Terre…) ont ainsi appelé à rejoindre Jon Palais sur les marches du tribunal, à coté de nombreuses personnalités publiques et politiques, comme Eva Joly, Edgar Morin, Patrick Viveret, José Bové, Antoine Peillon, Benoît Hamon, HK, Gérard Filoche, Martine Billard… 

Depuis sept ans maintenant, alors que des dizaines d’ONG très institutionnalisées travaillent sur la question de la justice sociale et de l’urgence climatique, c’est encore l’association basque Bizi qui coordonne ce rendez-vous de mobilisation concret et original. En effet, en 2013, l’ONG inaugurait la reprise des actions citoyennes avec le village Alternatiba à Bayonne. Deux ans plus tard, aux côtés de la Coalition 21, Alternatiba s’imposait comme l’expression de la société civile lors du contre-sommet climatique de la COP21 de Paris.

Petites victoires et grands récits

Cette efficacité interpelle, donne même lieu à des ateliers de formation politique. Les membres de Bizi attribuent humblement cette réussite à une méthode qu’ils ont eux-mêmes définie comme "radicalo-pragmatique". Autrement dit par Jon Palais :

« Nous souhaitons changer le système et nous y croyons vraiment. Pour autant, on ne rêve pas d’un grand soir car le rapport de forces actuel ne le permet pas ».

Chez Bizi, la notion de radicalo-pragmatisme prend la forme d’une théorie tactique selon laquelle les petites victoires feront émerger les grands récits mobilisateurs, et que résume Txetx :

« Nous nous fixons des objectifs au regards du rapport de forces du moment : il faut que ces objectifs soient à notre portée. Et lorsqu’ils sont atteints, nous sommes plus forts et plus ambitieux la fois d’après ».

Mener la "bataille des idées" pour soustraire les classes populaires à l’idéologie dominante… L’ analyse d’Antonio Gramsci, bien souvent galvaudée, connaît une remarquable résurgence dans la gauche française. Mais à Bizi d’autres penseurs se devinent comme bien plus influents : Albert Camus, Mark Twain, André Gorz. Et surtout Cornélius Castoriadis, qui considérait que « la meilleure éducation en politique, c’est la participation active ». En effet, aujourd’hui, face au danger que représente la droitisation générale du monde politique, la gauche peine à retrouver des leviers d’influence. Pourtant, la mobilisation des classes moyennes et populaires ne peut provenir que des premiers concernés, comme le rappelle Txetx :

« La première des formations c’est la pratique, c’est elle qui crée la conscience et pas l’inverse ».

En effet, depuis sa fondation Bizi défend ses idées au travers d’actions concrètes, avec une logistique exigeante mais permettant à chacun de trouver sa place : montage, communication, cuisine, sécurité, concerts... « Et à partir de là, il faut développer et affiner la formation, rendre les gens plus efficaces, les responsabiliser. C’est ensuite qu’ils acquièrent une vision globale, lorsqu’ils sont confrontés au réel », confie Txetx. Dès lors, la question du pouvoir et de l’influence individuelle devient secondaire. « À l’inverse, trop de blablas et de concepts, de réunions interminables, font fuir les gens normaux et non encore politisés », poursuit Jon Palais.

Enfin, l’autre socle de la pensée radical-pragmatique de Bizi fait écho au boom du community organizing aux États-Unis, à savoir l’occupation du terrain. Txetx conclut :

« Il faut reprendre la bataille de la rue. Les réseaux sociaux sont des moyens de mobilisations exceptionnels mais à Bizi nous affichons également beaucoup. Pas seulement pour informer, mais pour créer un climat de contre-pouvoir et une confiance collective ».

Si ces pratiques font souvent écho à des traditions militantes anciennes (de l’éducation populaire à la coopération ouvrière), le procès de Dax donne l’occasion d’occuper le terrain, tout en traçant de nouvelles perceptives de luttes.

Le mouvement des “Faucheurs de chaises” a mené des actions de réquisition citoyenne de chaises dans des banques impliquées dans l’évasion fiscale. Ces actions, toutes menées de manière non-violente et à visage découvert, répondaient à l’appel à réquisitionner 196 chaises signé par des dizaines de personnalités. Un sommet international a été organisé avec ces chaises pendant la COP21, le 6 décembre 2015 à Montreuil, sur le thème de l’évasion fiscale et du financement de la transition sociale et écologique.

Notes

[1ANV COP21 Action Non-violente COP21 est un mouvement citoyen pour la justice climatique lancé par la publication de l’Appel "Debout et déterminés pour sauver le climat", appel à actions non-violentes avant, pendant et après la COP21.

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Vos réactions

  • Exact : sans faire la preuve qu’on peut affronter la bourgeoisie et son Etat, il ne sert à rien d’informer, et la volonté de savoir n’ira pas loin.
    Mais il faut au départ s’informer un minimum. Concernant fraude et évasion fiscale, j’ai trouvé ce qu’il me fallait dans ces centaines d’articles :
    http://www.anti-k.org/category/leur-monde/fiscalite/

    jim Le 9 janvier 2017 à 14:52
  •  
  • excellentissime journée
    hier
    à Dax
    où nous étions un max
    et obtenions l’option relax(e)

    cantaous Le 10 janvier 2017 à 14:48
  •  
  • Super papier. Il faut en effet que la gauche se réinvente et soit capable d’occuper le terrain. Je dirai que la force du mouvement porté par les gens de Bizi, c’est le sentiment que l’on a de faire parti de quelque chose, de revivre le collectif.
    Autre chose, cette vidéo est super également pour comprendre ce qui se trame derrière l’évasion fisacle. La complicité des dirigeants est afligeante. Je suis surpris que l’audition Fabrice Arfi par la commission d’enquête contre la fraude fiscale n’est que si peu de vue sur youtube
    https://www.youtube.com/watch?v=J13xUWXE1qA

    Jon Snow Le 11 janvier 2017 à 11:17
  •  
  • Il est clair que l’idée de réquisition des chaises est une idée de Bizi ! Son fondateur Txext était membre des DEMO, qui dans les années 2000 avaient réquisitionné les 21 sièges du conseil général des Pyrénées Atlantiques pour réclamer la création d’un département Pays Basque....
    http://demoak.free.fr/franc/filo/index anv.htm

    Orgasmo Gehiago Le 12 janvier 2017 à 22:08
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