Samad a croisé mon chemin en décembre, lors d’une rencontre dédiée aux journalistes web et cyberactivistes du monde arabe. Il faisait partie d’un groupe d’une quinzaine de personnes, invitées à échanger leurs expériences cinq ans après le printemps arabe. Le jeune journaliste d’investigation marocain me raconte, un soir, qu’il fait aussi partie d’un groupe de sept personnes, sept défenseurs des droits de l’homme au Maroc qui comparaîtront ce mercredi 27 janvier devant le tribunal de première instance de Rabat pour "atteinte à la sûreté intérieure de l’État".
Les informations fusent. Samad me montre ses dernières contributions au journal en ligne Lakome 2. Ses yeux brillent : le jeune trentenaire semble fier de ses enquêtes journalistiques. Depuis le printemps arabe, ses espoirs de changement l’accompagnent :
« J’ai participé avec des centaines d’autres jeunes à de longs débats, nous cherchions une alternative démocratique dans un Maroc où la tyrannie règne depuis très longtemps ».
Quand le journalisme devient dissidence
Samad coordonnait à Rabat le comité d’information et de communication du mouvement du 20 février (la version marocaine du printemps arabe). Et d’ajouter : « Je fais partie des six modérateurs de la page Facebook du mouvement du 20 février ». Nous dissertons sur le journalisme d’investigation à la lumière de son écran d’ordinateur. Samad œuvre à sa promotion au Maroc en organisant des événements ou des formations. Comment travailler avec ses sources d’informations, les protéger en cas de publication ? Il me parle beaucoup de communications cryptées.
« Mes communications sont surveillées, mon compte personnel a été piraté. Alors je dois prendre mes précautions. »
Nous avançons dans la nuit en navigant sur le Web. Au Maroc comme ailleurs, les critiques grouillent dans les réseaux sociaux. Samad m’explique que c’est pourtant à des publications comme Lakome2, Machahid, Febrayer ou bien à des organisations comme l’Association marocaine du journalisme d’investigation (AMJI), l’Association des droits numériques (ADN) ou l’Association marocaine de droits humains (AMDH), le centre Ibn rochd d’Etudes et de Communication que les autorités marocaines reprochent de ternir l’image du Royaume.
Son pays, Samad le dessine dans la pénombre éclairée de la pièce : un beau et vaste pays, avec des coutumes, des cultures et des paysages différents. Il m’en parle en tamazight. Lui vient de Ouarzazate, aux portes du désert.
Le mirage se dissipe, nous revenons au réel, sur Facebook. Samad fait défiler les publications. Peu à peu, le journaliste s’efface derrière le dissident, celui qui sera bientôt jugé dans son pays. "#Justice4Morocco" : plusieurs articles parlent des défenseurs des droits de l’Homme qui seront traduits en justice ce mercredi dans Mediapart, le New York Times, le Washington Post…Des communiqués ont été lancés par RSF, la FIDH, Human Rights Watch... Une pétition en ligne demande aux autorités marocaines l’abandon des poursuites et le respect de leur engagement à protéger l’exercice des droits civiques et politiques. Au centre de ce tourbillon : Samad.
« Depuis le début, je suis profondément convaincu que mon engagement auprès des défenseurs des droits humains dans un environnement où les libertés sont restreintes ne sera pas sans coûts, que le chemin sera rude et long et que tôt ou tard je devrai payer, comme cela a été le cas pour mon ami proche, le journaliste Hicham Mansouri. »
Interrogatoires et placement sous surveillance
Le journaliste marocain Hicham Mansouri, trente-six ans, fait également partie des sept défenseurs des droits de l’homme poursuivis par les autorités marocaines. Il a été libéré le 17 janvier dernier après dix mois en prison. Il risque à nouveau jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Samad relate sa propre expérience :
« J’avais l’impression d’avoir la capacité de tout supporter, que ce soit les violences pendant les manifestations, l’enlèvement, ou les interminables interrogatoires à propos de mes activités et des investigations que je publie. »
Samad raconte dans le désordre qu’il a subi un interrogatoire de dix heures à Casablanca : la police judiciaire l’a interrogé sur ses relations au Mouvement du 20 février, sur ses activités au sein de l’AMJI, du Centre Ibn Richd, de l’ONG ADN et de l’association Freedom Now. Puis il a été interdit de quitter le territoire national à trois reprises. Et mis sous surveillance.
« Quand je ne peux plus vivre une vie normale de peur d’être arrêté à tout moment, alors je deviens exilé dans mon propre pays. La plus simple des tâches du quotidien requiert la plus grande prudence, car on te cherche la plus petite bavure pour t’envoyer en prison. Tu ne te sens plus en sécurité. »
Son quotidien devenait invivable. Celui de ses collègues aussi. Eux sont restés au pays. Lui a choisi de faire un stage en journalisme citoyen à l’étranger. Un jour de novembre, il a refermé la porte de son appartement derrière lui à Rabat, avec pour seuls bagages un petit sac et ses convictions. La pièce est maintenant baignée de soleil. En fait, Samad a tout quitté. Et en raison de son travail en faveur des droits de l’Homme et de la liberté d’expression au Maroc, il risque maintenant cinq ans de prison. « Juste parce que je vis dans un pays où le système politique ne supporte pas nos activités et articles, précise Samad avant de conclure. Malgré cela, nous continuerons à défendre les valeurs de liberté, jusqu’au bout ».
D’ici son jugement, ce mercredi 27 janvier, Samad Iach – de son vrai nom Abdessamad Ait Aicha – espère non seulement trouver une alternative, mais surtout que les autorités de son pays abandonnent ces accusations fabriquées contre lui. Hasard du calendrier, je me rends au Maroc juste après cette rencontre, un pays que des personnes comme Samad font aimer. Espérons que le Maroc saura le remercier pour ses talents d’ambassadeur.
Harcèlement judiciaire ?
La Cour de première instance de Rabat a reporté au 23 mars 2016 le procès contre les sept défenseurs des droits de l’Homme.
Selon l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme (FIDH/OMCT), quatre des sept accusés étaient présents lors de l’audience.
#Justice4Morocco : les appels au soutien continuent au nom de la liberté d’expression, d’information et de presse au Royaume du Maroc.
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