Gilles Perret, auteur remarqué de La Sociale, a filmé avec L’Insoumis la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon et en même temps, comme on le dit, un des compétiteurs : Jean-Luc Mélenchon. Tout l’intérêt et l’ambiguïté du film est dans cette dualité. Il faut d’abord le voir – chacun avec ses envies et ses préventions – comme un remarquable documentaire.
Mais comme dans tout film, il y a un décor, des costumes, des acteurs avec un rôle-titre et des figurants. Ces derniers sont les figures du film, car ils sont la multitude incontournable d’un peuple qui espère trouver son point d’équilibre et sa projection dans l’avenir en un seul homme.
Ce dernier se défend d’être le porteur unique de cet espoir, quelquefois avec rouerie et souvent avec sincérité. Il faut reconnaître aux metteurs en scène de la campagne leur invention : sans parler de l’hologramme, les tribunes placées au milieu de la foule et le leader s’adressant aux quatre points cardinaux, le bateau qui porte – comme un char carnavalesque – les orateurs sur le canal de l’Ourcq ou, enfin, ces banderoles sur des voiliers qui traversent le Vieux-Port à Marseille.
Mélenchon, acteur de composition
Commençons par le décor. La France, tout d’abord, qui défile vue du train. Les villes de France, à l’occasion des meetings : Toulouse, Paris, Dieppe, Lyon, Lille et d’autres encore, la coque d’un navire résumant Concarneau et aussi Rome, chaque fois ramenées à l’essentiel, saisies en quelques plans, cartes postales, en mouvement, fixées pour toujours dans notre mémoire par l’ancrage d’une silhouette, d’une lumière, d’un repère monumental.
Les costumes. Scène première : des essais de veste avant une rencontre télé et, sans anticiper sur la surprise du dénouement, ce qui se noue, ce qui se joue dans cette partie de porte-manteau, est prémonitoire de la chute. Il y a une vulgarité complaisante dans ces essayages et on en vient à regretter l’éternel veston de tweed gris de Berlinguer, son uniforme de la société civile.
Les acteurs. Tout d’abord l’équipe de campagne dont on entrevoit le rôle essentiel et quelquefois l’inexpérience. Delapierre – mort prématurément –, qui fut l’alter ego de Mélenchon, n’a pas encore trouvé son égal ou son égale. Enfin, dans le rôle-titre, Jean-Luc Mélenchon, acteur de composition ; quelques photos à tous les âges de sa vie, quelques extraits d’interventions datées en montrent le talent, la culture, mais aussi les limites : celles de ses expériences politiques passées, le trotskysme, comme les trente-deux ans au sein de l’appareil du Parti socialiste.
Comme une antienne, on retrouve dans ses attitudes l’autosatisfaction de tout comédien qui commencerait toutes ses phrases par : « M’as-tu vu dans… » Un m’as-tu vu, c’est hélas ce que donne à voir ce documentaire et pour les anciens téléspectateurs on retrouve le Georges Marchais du « Taisez-vous, Elkabbach ! » C’est dommage car, dans l’improvisation, dans la minute de silence intimée à la foule marseillaise s’affirme un tribun et un orateur à l’écoute.
Le peuple retrouvé
Ce peuple mis en mouvement est bien plus qu’insoumis. Car ce mauvais slogan se réfère à l’ordre dominant pour en refuser les règles certes mais encore, mais après ? De tout temps, au parti de l’Ordre que les macroniens ont mis en marche s’opposait le parti du Mouvement. Le mouvement que la candidature de Jean-Luc Mélenchon provoque et suscite transfigure ce dernier, le pousse à improviser quittant la trame rhétorique des discours composés, des programmes ficelés.
Enfin, les figurants. Ceux qui figurent, c’est-à-dire le peuple de France, et c’est un des mérites du film que ces plans de foule plus ou moins resserrés qui montrent la présence des hommes et des femmes, des jeunes et des plus âgés, de tous milieux et de toutes origines. Le peuple introuvable, dont beaucoup se gaussent, se retrouve là, porté par un espoir insensé : on va gagner !
Et tout se délite à quelques points près, car l’analyse de la situation, qui théorise l’étincelle qui mettrait le feu à la plaine, est insuffisante, il ne suffit pas d’écrire « Je prends tout aux riches » pour rassurer les épargnants. Ceux qui ont un compte aux chèques postaux, l’épargne – fruit du travail, disait-on en d’autres temps. Celle d’un peuple encore marqué par ses origines rurales. Et même Jean-Luc Mélenchon dit dans le film qu’il épargne sur son salaire « trop élevé » (sic) de parlementaire !
Raymond Depardon filmait la France et aussi une campagne électorale. Le film de Gilles Perret peut être mis sur la même étagère, tout en haut à gauche, car il parle, à tous, de nos espoirs et de nos désillusions, mais il est d’abord un film sur la France de nos jours.
Finalement, ce film va aider autant les nostalgiques qui théorisait en son temps l’échec, ou ceux au contraire la relative victoire, de la France Insoumise à la présidentielle à revivre des instants passés...
Sinon, apparemment, il s’agit plus d’un film sur J.L. Mélenchon, l’homme avec ses points forts, faiblesses, imperfections, ses relations aux autres ainsi que sa vision du monde dans les coulisses d’une campagne électorale (jusqu’à le présenter "faussement" seul... en occultant son entourage proche... Un vœux semble-t’il du protagoniste principal qui ne souhaitait pas mettre en scène sa famille), que d’un documentaire sur "les espoirs et les désillusions de la gauche"...
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