Mois après mois, jour après jour, voilà ce qu’il faut bien constater : au nom d’une démocratie – en vérité d’une bureaucratie libérale européenne –, jamais l’inégalité, l’exclusion, la crise humanitaire n’ont été si violentes en Grèce et en Europe. Difficultés à se loger, coupures d’électricité ou tout simplement, si l’on peut dire, à se nourrir, jamais autant d’hommes, de femmes, d’enfants, en chiffre absolu, n’ont été affamés, mal logés depuis la fin de la seconde guerre mondiale en Europe. Près d’un quart de la population grecque vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Ne négligeons donc plus cette évidence massive, faite d’innombrables souffrances singulières : aucune de ces catastrophes humanitaires n’aura été possible sans ce qu’on pourrait appeler le despotisme bureaucratique de l’Union européenne.
La démocratie confisquée
On reste sidéré, en effet, devant le traitement réservé à la question grecque ces derniers jours. L’exclusion de citoyens européens précarisés, hors de toute participation à la vie et aux débats politiques des États européens, annonce déjà une crise de la démocratie libérale, parlementaire et capitaliste en Europe. Mais la représentativité ou la vie politique européenne ne sont plus seulement faussées, comme ce fut toujours le cas, par des mécanismes socio-économiques. Elle s’exerce de plus en plus dans un espace dominé par la bureaucratie et des appareils médiatiques.
Le rapport entre la délibération et la décision, le fonctionnement même du gouvernement de l’Union européenne change en effet de nature, lorsqu’un pouvoir bureaucratique s’approprie l’autorité des élus, réduit le champ des discussions, des délibérations et des informations portées à leur connaissance. C’est ainsi que l’on a vu Michael Noonan (le ministre des Finances irlandais) s’étonner, et protester de ne s’être pas vu communiquer le détail des dernières propositions grecques.
Comme l’explique Yanis Varoufakis dans une tribune édifiante, le ministre grec n’a pas lui-même le droit de communiquer les documents à ses homologues. Tout doit passer par le filtre de la Commission européenne. « La zone euro évolue d’une façon mystérieuse. Des décisions capitales sont validées par des ministres des Finances qui restent ignorants des détails, tandis que des experts non élus ont la mainmise sur les négociations menées avec un gouvernement en détresse. Comme si l’Europe considérait que les ministres des Finances élus n’étaient pas à même de maîtriser les détails techniques. »
Une « guerre d’Irak de la finance »
Comment ignorer, dès lors, le pouvoir croissant, de plus en plus illimité et opaque, de ces représentants fantômes que sont les experts et les bureaucrates européens, au point que l’on ne peut plus les dissocier des délibérations et des décisions de représentants élus – représentants élus dont on ne sait plus s’ils leur ont abandonné leur autorité, se dissimulent derrière une autorité "savante", ou se voient véritablement soustraire tout élément de décision ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut que souscrire au diagnostic sévère énoncé par Ambrose Evans-Pitchard : la crise grecque est aujourd’hui à la démocratique européenne ce que fut la guerre d’Irak à la démocratie américaine. On soupçonnera difficilement, en effet, ce journaliste du Telegraph (qui se réclame de Burke) d’être un dangereux gauchiste.
Simplement, les faits sont là : soustraction d’informations ; décisions prises en pleine connaissance de cause du fait qu’elles ne pourront être appliquées (ou appliquées sans engendrer des désastres) ; dissimulations destinées moins à déstabiliser "l’ennemi" (la Grèce) qu’à la communication interne en direction des dirigeants et du public européens. Tous ces faits rappellent l’atmosphère "Alice au pays des merveilles" qui présidait aux rapports du Pentagone. Et, tout comme au temps de la guerre d’Irak, des médias transforment aujourd’hui l’espace public, affaiblissent dangereusement l’autorité de la démocratie elle-même, en relayant et propageant cette atmosphère anti-démocratique.
Le rêve d’un putsch financier
On reste stupéfait, là encore, quand un éditorialiste d’un journal réputé de référence – Le Monde – rêve tout haut d’un putsch financier : « Dans ce contexte, la Grèce doit trouver un accord avec les Européens. Signé par Alexis Tsipras ou un autre, peu importe. Il existe des précédents peu reluisants. C’était en novembre 2011, au G20 de Cannes, au plus fort de la crise de l’euro : le premier ministre grec Georges Papandréou et l’Italien Silvio Berlusconi avaient comparu au tribunal de l’euro devant Sarkozy, Merkel et Obama. ». « Odieusement antidémocratique ? », ajoute Arnaud Leparmentier avec le cynisme éhonté et satisfait qu’on lui connaît.
On reste ébahi que l’humeur antidémocratique, les pulsions autoritaires d’un esprit digne des pires heures de l’ère Nixon trouvent ainsi à s’exprimer aux premières pages d’un quotidien français. Et il faut donc décidément penser, avec Ambrose Evans-Pitchard, que ces apôtres de l’Union européenne ont bien en tête des rêves de « juntes financières ». Qu’ils sont désormais prêts à passer les pires compromis historico-politiques avec les pires forces pour défendre leurs intérêts de classe.
Surtout, en vérité, quelle vision pauvre, étroitement juridique et technocratique de l’Europe : un « tribunal » ! Inquiétante aussi. Arnaud Leparmentier qui se rêve, misérable, en Fouquier-Tinville des institutions européennes, se souvient-il que c’étaient, hier, les régimes autoritaires qui portaient, et condamnaient les demandes démocratiques devant le tribunal de l’histoire et de la raison ?
Pour les Audois (Castel) et/ou Toulousains :
La Grèce est au coeur de l’actualité. Le collectif Majorité Citoyenne de l’Aude participe à la semaine européenne de solidarité avec les Grecs et vous invite vendredi 26 juin à 19h30, au quai n°10 à Castelnaudary (10, quai du port), pour une soirée grecque : projections, échanges, témoignages, et assiettes grecques proposées à la dégustation. La soirée sera animée par Jacques Giron du collectif national de Solidarité France-Grèce pour la Santé , le réalisateurYannis Youlountas , ainsi que Didier Cesses qui vit en Grèce. Eteignez la télé et venez nombreux vous informer sur la situation réelle en Grèce !
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