Article paru lundi 20 janvier. Titre original "Greece on the brink", traduction Bernard Marx.
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« Vous ne pensez pas qu’ils veulent qu’on échoue ? » Telle est la question que je n’ai cessé d’entendre lors d’une visite brève mais intense à Athènes. Ma réponse a été qu’il n’y a pas de « ils » – que la Grèce ne fait pas face, en fait, à un bloc solide de créanciers implacables qui préfèrent la voir faire défaut et sortir de l’euro plutôt que de laisser un gouvernement de gauche réussir, et qu’il y a plus de bonne volonté de l’autre côté de la table que de nombreux Grecs le supposent.
Mais l’on peut comprendre pourquoi les Grecs voient les choses de cette façon. Et je suis rentré avec la crainte que la Grèce et l’Europe pourraient subir un terrible accident, une rupture inutile qui assombrira durablement l’avenir.
L’histoire, en résumé, est la suivante : À la fin de 2009, la Grèce fait face à une crise générée par deux facteurs : une dette élevée et une inflation des coûts et des prix qui rendent le pays non compétitif. L’Europe a répondu avec des prêts qui ont sauvegardé la liquidité, mais avec comme contrepartie que la Grèce poursuive des politiques extrêmement douloureuses. Appliquées aux États-Unis, les réductions de dépenses et les hausses d’impôts équivaudraient à 3.000 milliards de dollars par an. À quoi se sont ajoutées des réductions de salaire d’une ampleur difficile à comprendre, avec des salaires moyens en baisse de 25%.
Ces immenses sacrifices étaient censés produire un redressement. Au lieu de cela, la destruction du pouvoir d’achat a approfondi la crise, engendrant un choc équivalent à la Grande dépression et une énorme crise humanitaire. Samedi, j’ai visité un refuge pour les sans-abri, et l’on m’a raconté des histoires déchirantes sur les conséquences de l’effondrement du système de soins : les patients exclus des hôpitaux parce qu’ils ne pouvaient pas payer les frais d’entrée de 5 euros, ou renvoyés sans médicaments parce que les dispensaires en manque de liquidités en étaient à court, et pire encore.
Tout ceci a été un cauchemar sans fin, mais l’establishment politique de la Grèce, déterminé à rester en Europe et craignant les conséquences de défaut et d’une sortie de l’euro, a continué d’appliquer ce programme année après année. Jusqu’à ce que les Grecs finalement n’en puissent plus. Alors que les créanciers exigeaient encore plus d’austérité – avec une ampleur qui aurait entrainé une nouvelle chute de l’économie de 8% et une montée du chômage à 30% –, la nation a voté pour Syriza, une coalition véritablement de gauche (par opposition au centre-gauche), qui a promis de changer le cours de la nation.
La sortie de la Grèce de l’euro peut-il être évitée ? Oui, elle peut l’être. L’ironie de la victoire de Syriza, est qu’elle est intervenue au moment même où un compromis viable devrait être possible. Le point clé est que la sortie de l’euro serait extrêmement coûteuse et perturbatrice en Grèce, et qu’elle poserait des risques politiques et financiers énormes pour le reste de l’Europe. Il faut donc l’éviter si un compromis décent est atteignable. Or il l’est, ou devrait l’être.
À la fin de 2014 la Grèce avait réussi à dégager un petit excédent budgétaire "primaire", avec des recettes fiscales dépassant les dépenses, hors paiements d’intérêts. C’est tout ce que les créanciers peuvent raisonnablement exiger, puisqu’on ne peut tirer du sang d’une pierre. En attendant, toutes les réductions de salaires ont rendu la Grèce concurrentielle sur les marchés mondiaux – ou du moins la rendraient concurrentielle si une certaine stabilité pouvait être restaurée. La forme d’un accord possible est donc clair : essentiellement un statu quo sur l’austérité, la Grèce acceptant de faire des paiements significatifs mais pas en augmentation constante, à ses créanciers. Un tel accord ouvrirait la voie à une reprise économique, peut-être lente au début, mais offrant finalement un peu d’espoir.
Mais pour le moment, l’accord ne semble pas venir. Peut-être est-il difficile, comme disent les créanciers, de s’accorder avec le nouveau gouvernement grec ? Mais que peuvent-ils espérer quand des partis qui, n’ayant pas d’expérience gouvernementale, prennent le relais d’un establishment discrédité ? Une raison plus importante est que les créanciers exigent des mesures – de grandes coupes dans les retraites et l’emploi public – qu’un gouvernement de gauche nouvellement élu ne peut tout simplement pas accepter, par opposition à des réformes telles qu’une amélioration du recouvrement de l’impôt. Et les Grecs, comme je l’ai dit, sont fortement enclins à considérer que l’objectif de ces demandes est, soit de faire tomber leur gouvernement, soit de faire de leur pays un exemple de ce qui se passera dans d’autres pays débiteurs si ceux-ci rechignent à la poursuite d’une austérité sévère.
Pour rendre les choses encore pires, l’incertitude politique met à mal la perception des impôts, entrainant probablement l’évaporation de l’excédent primaire durement obtenu. Le plus raisonnable serait très certainement de montrer un peu de patience sur ce front : lorsqu’un accord sera atteint, l’incertitude diminuera et le budget devrait à nouveau s’améliorer. Mais dans l’atmosphère de méfiance généralisée, la patience manque. Il ne devrait pas en être ainsi.
Pour éviter une crise à part entière, les créanciers devraient, certes, avancer une quantité importante d’argent, mais cette trésorerie serait immédiatement recyclée en paiements de la dette. Mais voyez bien l’alternative. La dernière chose dont une Europe, dont les peuples tendent à se monter les uns contre les autres, a besoin est de plonger dans une autre catastrophe, qui plus est totalement gratuite.
C’est le point de vue d’un fervent défenseur du libéralisme économique partisan du statut quo en matière des baisses de salaires, du paiement intégral de la dette sans analyse de sa légitimité, de la mainmise US sur l’économie mondiale donc du refus d’un rééquilibrage mondial tel qu’amorcé par le rapprochement Grèce/Russie.
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