Ils ne veulent rien lâcher. Malgré la promulgation de la loi travail au cœur du mois d’août, après trois recours à l’article 49-3 de la Constitution, le mouvement social, sûr de sa légitimité, ne dépose pas les armes. Une nouvelle journée d’action est programmée pour le jeudi 15 septembre, avec plusieurs dizaines de manifestations prévues un peu partout en France. L’objectif ? D’abord, arracher l’abrogation de la loi tant combattue pour les multiples régressions qu’elle inflige au Code du travail. Aussi, remettre la question sociale au cœur d’un débat public aspiré dans une surenchère ultra-conservatrice.
Dans plusieurs secteurs et territoires très mobilisés au printemps, l’énergie et la détermination militantes sont toujours présents. Les deux principaux meetings de rentrée, tenus dans des places fortes du mouvement, au Havre le 30 août et à Nantes le 7 septembre, ont été marqués par une forte affluence, répondant à l’appel des sept organisations qui composent l’intersyndicale active depuis maintenant six mois [1]. En s’appuyant sur la seule CFDT, le gouvernement a réussi l’exploit d’entraîner la constitution d’un front syndical relativement uni et, à ce jour, remarquablement persistant.
« Le gouvernement est loin d’en avoir terminé avec cette loi travail »
En marge ou à l’extérieur des cadres syndicaux, comme cela a été le cas depuis la manifestation du 9 mars, les appels à manifester le 15 septembre ont largement circulé durant l’été, notamment sur les réseaux sociaux. Les syndicalistes du collectif "On bloque tout" renouvellent leur appel à la mobilisation, tout comme les collectifs de lutte constitués sur une base locale. Dans leur style caractéristique, les jeunes du Mili ont lancé un appel à « perturber sa ville ». Des groupes de lycéens comptent aussi relancer la dynamique, tandis que les étudiants tentent de jongler avec des calendriers de rentrée pas toujours favorables selon les universités.
La mobilisation sera-t-elle au rendez-vous ? Côté syndical, on semble parier sur des hypothèses sensiblement différentes. Réunis pour un échange durant la fête de l’Humanité, samedi 10 septembre, les responsables syndicaux, sous un chapiteau encore une fois bondé, ont réaffirmé leur unité préservée – qui contraste avec le morcellement de la gauche politique. Tout en soulignant une difficulté à mobiliser la fonction publique, Bernadette Groison, pour la FSU, a résumé un état d’esprit partagé :
« En cette rentrée, on sent dans la société une volonté de dire "non !", de ne pas nous laisser voler notre mobilisation. Le gouvernement est loin d’en avoir terminé avec cette loi travail. »
Chez les syndicats, différentes options
Jean-Claude Mailly, le leader de FO, se déclare également « prêt à aller jusqu’au bout », tout en se montrant prudent sur les suites à donner à la mobilisation, du moins sur le terrain. S’il appelle, à l’unisson de l’intersyndicale, à battre le pavé jeudi 15 septembre, c’est tout au plus du bout des lèvres. FO annonce vouloir mener la bataille contre la loi travail sur le plan juridique, en contestant la validité des dispositions qu’elle contient au regard de la Constitution ou des traités internationaux. Lilâ Le Bas, qui va bientôt remplacer William Martinet à la tête de l’UNEF, n’a pas davantage insisté pour une éventuelle reprise du mouvement dans les universités.
La CGT et Solidaires se sont montrés les plus enclins à poursuivre la mobilisation dans la rue et dans les entreprises. Avec ici-encore des nuances. Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, appelle de ses vœux la renaissance d’un « mouvement social à l’automne ». Dans cette optique, la journée du 15 septembre aura valeur de test selon lui :
« Il faut élargir le débat avec les salariés. Mais on ne peut pas se contenter des journées d’action interprofessionnelles. Il faut être présents dans les entreprises, pour que cette loi ne puisse pas y faire son entrée. »
Loi Peeters, loi travail... : tentative de convergence
Solidaires, de son côté, continue à jouer son rôle d’aiguillon dans l’intersyndicale. Alors que Jean-Claude Mailly se montrait sceptique – « Après le 15 septembre, je ne sais pas » – Eric Beynel, co-délégué général de Solidaires, soulignait l’importance de poursuivre le mouvement au-delà de la journée du 15, qualifiée de « première date ». De manière moins attendue, il appelait à établir aussi vite que possible une convergence transfrontalière avec le mouvement social belge en lutte contre les politiques de son gouvernement, dont la loi Peeters, l’équivalent local de la loi travail.
Le porte-parole de Solidaires souhaite ainsi mettre en avant la dimension européenne des lois de flexibilité du travail, adoptées du Portugal à la Grèce, en passant par l’Italie et l’Espagne. Les syndicats belges, appuyés par certaines franges du monde associatif, ont décrété une prochaine journée d’action le 29 septembre, avec une manifestation nationale à Bruxelles, comparable à la manifestation unitaire du 14 juin dernier en France. Selon Eric Beynel, une partie des militants mobilisés contre la loi travail dans la région des Hauts-de-France ont déjà prévu de traverser la frontière.
Remettre en avant la question sociale
Au delà de l’objectif fédérateur d’abroger la loi travail, les composantes de l’intersyndicale entendent profiter du mouvement pour réinscrire la question sociale au sein du débat public. À l’approche de la campagne présidentielle, « les questions économiques et sociales sont occultées, constate Philippe Martinez. Cela au profit de débats nauséabonds et racistes ». Le contexte de la rentrée, marqué de nouveaux plans sociaux comme chez SFR ou Alstom, s’y prête particulièrement. Le leader de la CGT a prévenu :
« Dans les grandes entreprises, l’encre des accords autorisés par la loi travail est sèche depuis longtemps. »
Reste à savoir si la mobilisation, qui tente de se donner un nouvel élan, pourra dépasser le cercle des militants les plus impliqués au printemps, pour faire nombre et s’ouvrir de nouvelles perspectives. Une surprise n’est pas exclue. Le mouvement du printemps a su déjouer les innombrables pronostics d’« essoufflement », changer de forme – entre manifestations, grèves, blocages et occupation des places –, alimenté par la fermeture du débat démocratique et par le déni de légitimité des forces contestant l’orientation néo-libérale et autoritaire du gouvernement. Trop heureux de s’être retrouvés au printemps, les citoyens mobilisés n’ont peut-être pas dit leur dernier mot.