Depuis vingt ans, Bruno Piriou est l’opposant de Serge Dassault à Corbeil-Essonnes. Ce militant communiste a décidé d’écrire un livre sur cette expérience inédite, souvent violente, pétrie de défaites – parfois à un cheveu, comme en 2008 avec 174 voix d’écart.
Paru chez Fayard, L’argent maudit est d’abord le récit de la mainmise d’un milliardaire sur une ville, la description du "système Dassault" et de sa chronique judicaire. Mais ce livre est en réalité bien plus que cela.
« Le caractère exceptionnel du système Dassault »
Le caractère exceptionnel du profil de Serge Dassault et du niveau de corruption en jeu masque des enjeux beaucoup plus courants, ceux du développement du clientélisme à l’heure du déclin du communisme municipal et de l’avènement du néolibéralisme. Bruno Piriou constate que « plus on creuse et découvre le caractère exceptionnel du système Dassault à Corbeil-Essonnes, plus s’y dessinent les lignes générales qui traversent la société française aujourd’hui ».
Serge Dassault conquiert la ville en 1995, un bastion communiste depuis 1959. Sa victoire est un revers pour une tradition qui, nous dit Piriou, n’a pas su s’adapter aux réalités nouvelles : « D’un côté, les demandes sociales en tous genres explosent face aux carences de l’État et aux fermetures d’entreprises ; de l’autre, les leviers traditionnels du communisme municipal s’affaiblissent à une vitesse inédite. Cet effet de ciseau plonge la municipalité dans l’incapacité d’innover, puis de résister, dans son rôle de redistribution. »
L’arrivée de Dassault se traduit d’abord par un embellissement de la ville, la création d’une police municipale, la construction d’une mosquée, la démolition de HLM – vestiges symboliques du communisme municipal. Dassault se montre en homme puissant, qui tutoie les ministres et arrive au repas des retraités en hélicoptère. Progressivement, il vend les centres de vacances, supprime la cantine pour les enfants de chômeurs, débaptise les noms de rue ou baisse la fiscalité pour les actionnaires d’IBM.
« Pôle emploi et le Père Noël réunis »
À l’aide de sa fortune, Dassault distille les aides, distribue les billets. « Sa position au sommet de la société, sa fortune ahurissante ne fonctionnent pas comme un repoussoir, mais comme une ressource qu’il nous concède », décrypte l’ancien dirigeant des Jeunes communistes. Les emplois à la mairie sans qualification se développent, les associations fantoches aussi. Les soutiens se monnayent, de nombreux habitants tirent pragmatiquement profit de Dassault pour se sortir d’affaire dans ce monde égoïste, précarisé, en panne de projection collective. « Dassault, c’est Pôle emploi et le Père Noël réunis… », ironise un habitant.
Protégé par la droite au pouvoir mais bénéficiant aussi, pendant une longue période, de la bienveillance d’un Manuel Valls, le clan Dassault se dégage des mailles de la Justice : les affaires mettent du temps à éclore, en dépit des plaintes récurrentes de Bruno Piriou, des dossiers constitués à la force du poignet pour démontrer les faits de corruption. Mais ce que raconte ce livre, c’est que la multiplication des affaires est très peu voire non sanctionnée dans les urnes.
Les procédures concernant blanchiment d’argent, abus de biens sociaux ou achats de vote explosent au fil du temps, mais les scores de Dassault puis Jean-Pierre Bechter ne mollissent pas. Une majorité dans la ville semble s’en tenir à ce constat dressé par Piriou : « Dans un contexte de défiance à l’égard des institutions et où le droit commun ne garantit pas l’ascension sociale, chacun a autour de soi la preuve concrète qu’un coup de pouce du milliardaire peut changer la vie. »
« Le clientélisme ne sert qu’une cause »
La promesse de Dassault a le mérite d’être concrète et palpable quand les grands discours ne répondent pas aux demandes individuelles concrètes : « L’ancrage du système en cause repose sur l’absence de perspectives pour une partie de la population, et notamment la jeunesse. » Et Piriou de citer les travaux de Roberto Saviano sur la mafia en Corse : « Tout est permis parce que tout est pourri. » Nous sommes dans un monde où le déficit moral généralisé excuse les petits arrangements.
Le déclin du monde ouvrier, le développement du chômage et de la précarité ont pour expression l’avènement d’un système d’individualisme radical. Autrement dit, le clientélisme est devenu le mode de fonctionnement de la société ultralibérale, sorte de corollaire nécessaire. Mais « le clientélisme ne sert qu’une cause, celle des oligarques, pour que rien ne change », conclut Bruno Piriou.
L’élu dresse ainsi le bilan comptable de la ville : « En vingt ans, les emplois ont chuté, le nombre de commerces fermés n’a cessé d’augmenter, la vie associative s’est asséchée, les services publics de la petite enfance, de la jeunesse, se sont dégradés (…). Mais le plus grave me paraît être la perte du goût à s’émanciper. » Ce sont les voies de la remobilisation politique dans les villes populaires que Bruno Piriou continue de chercher, avec honnêteté, détermination, conviction. Et pendant ce temps, un gouvernement dit de gauche se félicite des premières ventes d’avions Rafale à l’étranger…
C’est Maurice qui va être content, Clémentine tient bon la barre dans cet excellent site pro PCF (je cite Maurice dans le texte.
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