photo Louis Camelin
Accueil > Résistances | Par Manuel Borras | 15 juin 2016

Le train en marche : de Rennes à Paris avec les cheminots CGT

Nous avons voyagé avec les cheminots CGT de Rennes, à destination de Paris et de la manifestation contre la loi travail. Discussions riches et ambiance détendue, loin des caricatures sur les syndicalistes. Reportage en texte et images.

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Photos Louis Camelin, à retrouver au complet et en grand format dans le portfolio en fin d’article.

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« L’objectif de la journée, c’est clairement le retrait de la loi travail. On ira loin si nécessaire. » C’est avec détermination que Florent, secrétaire général de la branche "agents d’exécution" de la CGT-cheminots de Rennes, nous présente l’aller-retour express à Paris de cinquante-cinq cheminots rennais de la CGT. Pour preuve de la largeur de cet objectif, le groupe a prévu de défiler au sein d’un cortège départemental interprofessionnel, et non dans un regroupement commun de cheminots de toute la France. Pendant ce temps, treize bus CGT et environ deux-cents personnes en covoiturage ont également quitté la ville. Le syndicat Sud a pour sa part décidé de manifester à Rennes.


« Depuis une trentaine d’années, chaque régression de nos droits en appelle une suivante »

Pourtant, les employés du rail sont actuellement engagés dans une lutte spécifique à leur secteur, relative aux négociations engagées avec la direction de la SNCF sur leurs conditions de travail. Une situation complexe que nous résument Florent et Jérôme – agent d’accueil SNCF et responsable local de la communication de la CGT –, alors que nous prenons place dans un des deux wagons investis par les syndicalistes.

Principale cause de la grogne, l’article 49 de l’accord permet des dérogations locales aux règles nationales. Il est dénoncé comme une « transposition dans le texte de l’article 2 de la loi El Khomri », « véritable tartine libérale » selon Jérôme. La clé du succès de la mobilisation, d’après eux, réside dans l’adoption par la CGT et Sud d’une stratégie commune. « Il doit y avoir d’intenses tractations entre les directions syndicales en ce moment à Paris », parient-ils.


Florent pense en tout cas que l’on « entre dans une période de lutte prolongée », indispensable pour « éviter une évolution vers le modèle anglais, qui a vu les compagnies du rail complètement privatisées à la fin des années 1980, pour ensuite faire appel au contribuable afin de remédier à des conditions de travail et de sécurité déplorables ». La convergence Sud-CGT semble aujourd’hui en marche, puisque l’on vient d’apprendre qu’aucun des deux syndicats ne va signer l’accord.

« On aurait dû bloquer les camions de stylos, la CFDT n’aurait pas pu signer »

La discussion, intense et parfois passionnée, dure près de deux heures, alors que les paysages ruraux défilent par la fenêtre à plus de 300 km/h. Stéphane, syndiqué Sud éducation, et Pascal, cheminot, assistent aux débats, discrets mais attentifs. Tout le monde en prend pour son grade. La direction de la SNCF d’abord, qui a « anticipé sa stratégie depuis plusieurs années, pour être sûre de sortir victorieuse des négociations ». « Même si je n’aime pas le reconnaître, ils ont tout déchiré. On rêverait d’avoir des stratégies comme ça ! » s’exclame Florent.

La CFDT est également pointée du doigt. En cause, « l’immense collusion politique » entre le syndicat et le gouvernement. « On aurait dû bloquer les camions de stylos, comme ça ils n’auraient pas pu signer », regrettent-ils en riant. De plus, lors des grèves, « la CFDT reprend les chiffres de la direction sans se poser de question, alors qu’ils sont faussés ».


Vient ensuite le tour du gouvernement. Florent le sent « gros comme une maison » : lors de la deuxième lecture de la loi travail à l’Assemblée, les socialistes « vont s’opposer aux dispositions introduites par les sénateurs de droite, pour se placer en défenseurs des droits sociaux ». Les quatre syndicalistes sont révoltés par la criminalisation qu’ils subissent. « Alors que la violence symbolique déployée par Macron est énorme, une simple coquille d’œuf sur un costard fait la Une », se désespèrent-ils. Avant d’affirmer qu’au niveau local, « le syndicat a une très bonne image », car ils font en sorte que « les syndiqués CGT adoptent un comportement irréprochable ».

« Ils y mettent quand même un petit peu de zèle »

Dans l’autre wagon, l’ambiance est plus festive. Les agents SNCF se ravitaillent, et les blagues fusent. Estelle et Fred nous informent qu’ils sont « en grève ponctuelle depuis mai, continue depuis le 1er juin ». Une grosse machine à pétards trône à leurs côtés. Les cheminots hésitent à l’actionner pendant le rassemblement : ils craignent que les deux cents décibels qu’elle génère n’effraient les manifestants. Ils souhaitent également éviter de « se faire tirer dessus », blaguent-ils.


Lorsque l’on retourne auprès des dirigeants syndicaux, Fawaz, « simple voyageur », est entré dans la discussion. Pour lui, la responsabilité de la loi travail incombe à l’Union européenne : il est « certain qu’elle a été commanditée », imposée aux responsables politiques français. « Ils y mettent quand même un petit peu de zèle », fait remarquer Florent. Fawaz évoque l’UPR, « seul parti dont le discours sur l’Union européenne tient la route ». Après quelques recherches, Florent nous tend son smartphone avec un regard éloquent. Sur l’écran s’affichent deux articles qui mettent en lumière les liens entre l’UPR et la frange la plus gratinée de l’extrême-droite française. « Ah oui, c’est pas mal l’UPR », ironise-t-il. Sur l’Europe, il a sa propre « théorie de l’herbe verte », qui mériterait de nous être réexpliquée.

Estelle passe distribuer des gilets oranges à ceux qui n’en ont pas, alors que le train approche de la gare Montparnasse. Avant la descente, une dame d’un certain âge adresse ses encouragements aux cheminots. Elle nous explique qu’elle ne va pas en manifestation car elle a « peur des violences, parce que les policiers sont très fatigués ». Même si elle est « d’accord avec les tracts de la CGT ».

« Macron, on va te les tailler, tes costards ! »

Les premiers slogans, effectivement centrés sur la loi travail, sont lancés dès la sortie sur les quais. Les leaders syndicaux prennent la tête d’un cortège bruyant et joyeux. Un attirail important accompagne les chants : profusion de drapeaux, corne de brume, sifflets, et grands bidons d’eau recyclés en tambours. Après des tergiversations à l’ombre de la tour Montparnasse, décision est prise de rallier la Place d’Italie en métro. Le message se propage dans le groupe : « Au métro ! Ligne 6, Nation ! »


Dans la rame, pleine à craquer, les « Tous ensembles ! » raisonnent, forts et soutenus. On ressent chez les manifestants la conscience que l’on entre dans un moment crucial du mouvement. « On fait comme les CRS, on s’échauffe ! », lance une cheminote. On croise des cheminots de Bordeaux, d’abord méfiants envers des journalistes. Parmi eux, Cyril, agent de maintenance à l’infrastructure, nous raconte la dégradation de ses conditions de travail depuis une dizaine d’années. Il évoque également le cas de ses collègues, forcés à être « détachés pour travailler plusieurs jours dans d’autres villes » à cause des suppressions de postes, « ce qu’on ne voyait pas il y a encore deux ou trois ans ».


À la sortie de la station Corvisart, la rame reste statique un long moment. L’ambiance est toujours belle et les sourires de mise. On fait en sorte que les gens qui ne manifestent pas puissent circuler dans les meilleures conditions. Cyril nous annonce que, bien que ce soit « difficile à compter », au moins « une centaine de cheminots » s’est déplacée depuis Bordeaux, accompagnée par « cent quatre-vingt dockers ». Le cortège rennais se dirige vers le lieu de rassemblement, et se positionne sur l’avenue des Gobelins, au beau milieu de l’immense cortège confédéral de la CGT. Les conditions se compliquent quelque peu : une pluie fine – finalement éphémère – et un fond musical au goût douteux font leur apparition. Après une quinzaine de minutes d’attente, la manifestation, massive, s’élancera doucement.

Portfolio

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  • Dans ce pays, plus personne ne travaille ....à quelque moment que vous alliez en ville, à la plage ou n’importe où, il y a une foule d’oisifs ...... il va bien falloir intégrer un jour le "principe de réalité", non ?
    Parce que les "petits patrons" qui vous tiennent à bout de bras depuis des décennies (vous les fonctionnaires -de-lheure-de-la-sortie, et des petits avantages) commencent à fatiguer ...

    stella34 Le 19 juin 2016 à 16:15
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