Le 15 mai 2012, à peine investi, le tout frais président François Hollande se rend à Berlin pour y rencontrer Angela Merkel, dans un contexte où les velléités de "l’adversaire de la finance", notamment celle d’une politique européenne de croissance et de relance, inquiètent aussi bien l’Allemagne que la Commission. Il envisage alors de renégocier le pacte fiscal adopté en mars, de peser sur les termes du pacte budgétaire (ou TSCG, traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) en cours de discussion, et même de réviser l’attitude de l’Europe envers la Grèce.
La suite est connue : en octobre, le parlement français ratifie un traité qui renforce le sacro-saint pacte de stabilité de 1997 déjà durci en 2011 à la demande de la chancelière allemande, et grave un peu plus dans le marbre (fût-ce sans la constitutionnaliser) la "règle d’or" budgétaire, sans réelle contrepartie en matière de relance par l’investissement. Ce fut le premier, et non le moindre, des renoncements du quinquennat Hollande.
Rappels à l’ordre
Emmanuel Macron, qui a annoncé que sa première visite officielle à l’étranger aurait aussi Berlin pour destination, n’aura pour sa part pas à se renier : il a toujours affirmé son attachement à l’Union et n’a jamais esquissé de remise en cause profonde de ses politiques économiques et monétaires. Libéral et libre-échangiste, avec un vernis social, il est l’incarnation idoine d’un changement de forme pour une continuité de fond.
Le flou de sa profession de foi (« Je ne suis pas un européiste, pas un eurosceptique, ni un fédéraliste au sens classique ») et de son programme (« Une Europe qui protège les Européens ») n’a pas de quoi inquiéter au sommet de l’UE, tant sa foi dans le credo libéral est attestée. Lui-même est le produit assez pur des milieux politiques et financiers qui l’administrent directement ou indirectement – l’absence de toute mention des lobbies dans son programme étant d’ailleurs significative.
Cependant, à Bruxelles comme à Berlin, on est très sensible aux moindres prémices de dissidence, et l’expression du soulagement après le scrutin a vite été suivie par quelques rappels à l’ordre – ou à l’ordolibéralisme. Aussi a-t-on assisté à une salve d’avertissements, Jean-Claude Juncker ayant tiré le premier (« les Français dépensent trop d’argent et ils dépensent au mauvais endroit » – comprendre : dans les budgets publics), imité par Pierre Moscovici (« La France peut et doit sortir maintenant de la procédure de déficit excessif »). La presse conservatrice allemande est allée dans le même sens, non sans s’inquiéter (« Combien Macron va-t-il nous coûter ? », a titré Bild, rejoint par quelques confrères).
L’antienne des "réformes structurelles"
Durant sa campagne, Emmanuel Macron a certes critiqué les excédents commerciaux allemands [1] et « le dumping fiscal et social », préconisé l’émission d’euro-obligations à taux unique pour les pays de la zone euro, la mutualisation des dettes européennes ou la création d’un ministère des Finances européen… Mais le candidat a surtout repris l’antienne des "réformes structurelles" « qui ont trop longtemps été repoussées » et affirmé son désir de respecter les critères européens avec la promesse d’une réduction des dépenses publiques de 60 milliards d’euros en cinq ans, impliquant notamment la suppression de 120.000 postes de fonctionnaires.
De quoi voir dans son programme un « copier-coller des recommandations européennes », selon Martine Orange, ou une récitation des « consignes de la Commission », selon Jean-Luc Mélenchon. De fait, s’il préconise quelques évolutions économiques et institutionnelles, elles sont marginales et déjà avalisées, ou presque, au sein de la Commission européenne et en Allemagne : degrés d’intégration différents pour les États-membres, budget de la zone euro, restructuration de la dette grecque, intégration de clauses sociales et environnementales dans les traités de libre-échange (lire l’article de Mediapart).
Le président en marche voit avant tout des problèmes techniques dans les dysfonctionnements de l’UE, ou des malentendus. La défiance qu’elle suscite serait d’abord due aux « responsables nationaux [qui] ont instillé le virus de la défiance » et en ont fait un « bouc émissaire systématique ». Faute d’un diagnostic critique sur sa dérive anti-démocratique, ses réponses sur ce plan semblent d’ampleur limitée et d’application hypothétique, à l’image des grandes « conventions démocratiques » qu’il voudrait voir organiser par les États-membres [2]. « La logique européenne est mue par une logique de désir qui, par cercles concentriques, entraîne tout le monde », assure-t-il, souscrivant à l’idée qu’il suffirait de raviver la flamme.
New deal, vieilles recettes
Aussi les inquiétudes berlinoises sont-elles très exagérées, et les sommations bruxelloises probablement de pure forme. La chancellerie allemande anticipe simplement une éventuelle évolution du rapport de forces, si Emmanuel Macron – contrairement à son prédécesseur – choisi d’en jouer. Le SPD plaide pour assouplir l’orthodoxie budgétaire et accorder quelques marges de manœuvre au président français, lequel pourrait mettre dans la balance sa volonté de mener les "réformes". On doute cependant que son "New Deal franco-allemand" mette en jeu plus qu’une tolérance de 0,5% pour le déficit public.
Lui-même, écartant toute idée de confrontation, s’est attaché à rassurer le partenaire allemand quant au rétablissement de la « confiance » entre les deux pays, si ardemment souhaité outre-Rhin. Dans l’entretien à Ouest-France du 12 avril qui a fait froncer les sourcils allemands pour son allusion aux excédents, il affirmait aussi : « L’Allemagne, aujourd’hui, attend que la France soit au rendez-vous des réformes. Tant qu’elle ne le sera pas, on ne pourra pas retrouver la confiance des Allemands qu’on a trahis deux fois, en 2003 et en 2007 » [3].
Son alignement idéologique sur Bruxelles et Berlin, à quelques nuances près, promet à la France un ajustement douloureux (sur les terrains du marché du travail, de l’assurance chômage et des retraites) dont les vertus postulées sont pourtant de plus en plus contestées (lire l’article de Romaric Godin). Comment croire que le volontarisme d’Emmanuel Macron, agent d’une continuité politique et économique presque complète pour l’Europe, puisse contribuer à sauver celle-ci ?
Moi je crois que le programme de Macron n’est pas flou du tout.
C’est l’aggravation des politiques libérales intra-européennes et certainement extra-européennes, qui vont tout tirer vers le bas.
Tout ça est clairement exprimé en filigrane dans toutes ses prises de position.
Il faut se préparer à souffrir.
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