Emmanuel Macron est d’abord un bon produit médiatique, que le gouvernement n’a d’ailleurs pas craint de figurer comme tel. Ses trente-sept ans donnent l’illusion d’un renouvellement de la classe politique, là où il n’y a qu’un petit saut générationnel au sein de la même élite (lire aussi "Les zombies de l’Élysée"). En accédant au portefeuille de l’Économie seulement dix ans après son diplôme de l’ENA, il a juste raccourci une trajectoire classique, qui rappelle les précédents Valéry Giscard d’Estaing ou Laurent Fabius – la caution de la calvitie précoce en moins, avantageusement palliée par une allure qui n’a pas échappé aux chroniqueurs.
Emmanuel Macron est surtout un social-libéral "natif". Contrairement aux vieux routiers du PS, passés par bien des renonciations et bien des conversions, son logiciel n’a pas eu besoin d’être maintes fois reprogrammé. Lui a toujours été en phase avec les idées de l’époque, il est d’âge à n’avoir connu qu’elles et incarne l’aboutissement de la conquête idéologique menée depuis trente ou quarante ans.
Aux frontières du « réel »
Aussi Macron parle-t-il couramment la langue dominante. Les « réformes nécessaires » lui sont aussi naturelles que l’eau du bocal à un poisson rouge (qui par ailleurs ne conçoit pas le bocal). Pour lui, il n’y a aucun renversement lexical à fustiger les « conservatismes » et « l’immobilisme », à se réclamer de la « liberté » et du « progrès ». Ni de crainte à manier les contresens et les sophismes : « Le travail du dimanche c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche. »
Macron se réclame de la « réalité », et bien sûr, il ne saurait y en avoir qu’une. « L’idéologie de gauche classique ne permet pas de penser le réel tel qu’il est », redondait-il en octobre 2013. Vivre et penser dans la tranquille inconscience de l’idéologie qui les gouverne, c’est encore la solution la plus confortable, pour ceux qui nous gouvernent. L’idéologie, c’est les autres, et « être de gauche, c’est partir du réel »…
Lui a donc « raison » contre « la grande coalition du déni » (car il faut faire mine de penser que l’opposition n’est pas déjà vaincue et marginalisée). Il fustige « la gauche qui ne fait rien [et] la droite qui n’a rien fait », il est dans « l’action » : « Il n’y a pas d’autre choix que d’agir pour réformer » ; « Les Français veulent que nous agissions » ; « Nous avons le devoir d’agir vite. » Pour appliquer le programme, nul besoin de s’encombrer d’états d’âme.
Macron, c’est un peu l’Amérique
Le discours est tellement en phase avec le libéralisme actuel qu’il doit faire sonner les cloches de Saint-Paul à la City de Londres, notamment quand il s’agit de faire l’éloge de la volonté et l’apologie de la réussite. Il est en effet plus facile, aujourd’hui, de trouver des exemples de success stories individuelles que les preuves d’un progrès général : en témoigne la fameuse invitation faite aux jeunes d’avoir envie d’être milliardaires.
Le volontarisme et le "volontariat" du travail du dimanche : les bébés Reagan sont bien au pouvoir. On note l’insistance à définir ce que signifie « Être de gauche », selon une conception systématiquement individualiste : « donner à chaque moment de la vie la possibilité d’avancer, de réussir » ; « donner la possibilité aux individus de faire face » ; « permettre à chacun d’aller plus haut ». Macron, c’est un peu l’Amérique.
Parfois, le naturel ressurgit, celui d’un cynisme mal réprimé. Ce furent les ouvrières de Gad qualifiées d’illettrées, ou le récent : « Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre d’abord. » « Il y a beaucoup de Français et de Français qui aimeraient travailler le dimanche pour précisément pouvoir se payer le cinéma », disait-il encore. « J’ai à un moment de ma vie gagné de l’argent, pas suffisamment pour être riche », a-t-il aussi dit. Ce « moment » (un an et demi) lui a rapporté 2,4 millions d’euros… Au-delà de son bocal, notre élite peine à se représenter le monde autrement qu’avec ses propres catégories, à ressentir cette humanité que figurent si mal les données économiques.
En finir avec la gauche
Macron est là pour passer un dernier coup de balai sur les convictions socialistes, de l’extérieur de ce parti dont il n’est plus encarté. Il s’agit de liquider les « archaïsmes ». La lutte des classes, « ce n’est pas un truc moderne », et l’entreprise n’en est pas le lieu. Il faut renoncer à cette « gauche classique » qui veut « l’extension infinie des droits », à ses « certitudes passées » qui sont « des étoiles mortes », pour embrasser une « gauche moderne » qui doit « perdre ses réflexes pavloviens »…
La transformation du PS en "Parti pragmatique", selon le mot de Benoît Hamon, est en cours d’achèvement. Un parti démocrate à l’américaine qui se tient tout près de l’axe présenté comme celui séparant la droite de la gauche. Modérément libéral sur le plan des mœurs et de la culture, radicalement libéral au sens économique du terme. La droite classique en est fort ennuyée, à se voir couper l’herbe sous le pied, parvenant difficilement (mais ainsi encouragée) à promettre de faire plus radical. Déjà tentée par le vote de la loi Macron, la voici réduite à fustiger « l’ego surdimensionné » du ministre.
La loi Macron n’est jamais qu’un prélude : « De nouvelles réformes sociales arrivent », annonce-t-il dans le JDD du 22 février. Et ce « sociales » ne sera pas le moindre de ses oxymores. « Il ne doit pas y avoir de tabou ni de posture », « la société statutaire va inexorablement disparaître », avait-il averti en 2013. La « gauche moderne » de Macron peut d’autant mieux se décomplexer qu’elle n’est ni moderne, ni de gauche.
Sentences motivationnelles inspirationnelles pour prédateur débutant.
« Le travail des enfants, c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche. »
« Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir prolétaires. »
« Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, à tringler. »
« Être de gauche aujourd’hui, c’est donner à chaque moment de la vie la possibilité d’exploiter, de détruire. »
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