Réalisation prestigieuse signée par l’architecte Franck Gehry, la Fondation Louis-Vuitton a été accueillie par une vague de louanges. Mais derrière ce bâtiment érigé en lisière du Bois de Boulogne et des quartiers riches, il y a ce que les sociologues Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon appellent un « nœud oligarchique ». Leurs explications.
Regards. Comment Bernard Arnault a-t-il réussi à installer sa fondation sur le site du jardin d’Acclimatation ?
Monique Pinçon-Charlot. Les relations entre les socialistes et l’homme d’affaires ont joué un rôle central dans cette opération. Si Bernard Arnault a pu construire sa fortune, c’est grâce au premier ministre d’alors, Laurent Fabius, qui lui a offert à la fin de l’année 1984, pour un franc symbolique, le groupe Boussac-Saint-Frères. En échange de quoi le "repreneur" s’engageait fermement à ne pas licencier et à garantir la pérennité du groupe dans son ensemble. Dès que le contrat a été signé, il s’est pourtant empressé de dégraisser massivement pour ne garder que deux pépites : Dior et Le Bon Marché. Le conglomérat Boussac était propriétaire de la SARL Maillot Maurice-Barrès qui avait obtenu de la ville de Paris, en 1952, la concession en lieu et place du Jardin zoologique d’acclimatation. De telle sorte qu’en 1992, à l’expiration de cette concession de quarante ans, la Ville de Paris a soutenu le groupe LVMH dirigé par Bernard Arnault.
Quelles missions lui sont confiées ?
Monique Pinçon-Charlot. Le contrat qu’il signe en décembre 1994, sous la présidence de Jacques Chirac, ressemble à une délégation de service public. Plusieurs missions lui sont confiées : « Le Jardin d’acclimatation affecté à titre principal à la promenade publique doit constituer un parc modèle, lieu de détente et d’agrément pour les visiteurs et prioritairement pour la jeunesse. Le caractère familial, éducatif et pédagogique du jardin doit être préservé et développé selon quatre orientations majeures : la nature, la culture, le sport et les jeux », peut-on lire. S’il a tout de même fallu démolir un ancien bowling, une billetterie et un restaurant en lieu et place de la fondation d’art contemporain qui vient d’être inaugurée, celle-ci rentre cependant bien dans la ligne « culture ».
« L’administration fiscale renonce à une partie importante de ses recettes. Le manque à gagner pour l’État est énorme »
Le musée de la fondation Louis-Vuitton tombera dans l’escarcelle de la ville au terme de la concession, si bien que Bertrand Delanoë saluait en 2006 un « immense cadeau fait à Paris ». Qu’en pensez-vous ?
Monique Pinçon-Charlot. Cela permettra surtout au principal actionnaire du groupe LVMH d’accéder à l’immortalité symbolique. Ce qui n’a pas de prix pour quelqu’un comme Bernard Arnault. De plus, cela participera de la légitimation d’une fortune acquise de manière pour le moins pas très règlementaire. Par ailleurs, le groupe a bénéficié de la loi du 1er août 2003, initiée par Jean-Jacques Aillagon [ex-ministre de la Culture UMP et ancien président du château de Versailles], qui encourage le mécénat d’entreprise en permettant de déduire de l’impôt sur les sociétés 60% du montant du don, dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires hors taxe. Lorsque le don dépasse ce plafond, tout est prévu : l’excédent est reportable sur les cinq exercices suivants. Avec ce bâtiment dont le coût initialement annoncé était de 100 millions d’euros [le chercheur Jean-Michel Tobelem estime le montant final à environ 400 millions d’euros], l’administration fiscale renonce donc à une partie importante de ses recettes. Le manque à gagner pour l’État est énorme ! Que la fondation retombe dans l’escarcelle de la Ville de Paris est, on le voit, un cadeau minime.
Certains socialistes exerçant des responsabilités politiques sont directement impliqués dans le groupe LVMH…
Monique Pinçon-Charlot. En effet, les liens qui existent entre la mairie de Paris et LVMH ne sont pas que juridiques, mais aussi politiques. Christophe Girard, par exemple, était en même temps adjoint à la Culture de l’ancien maire, Bertrand Delanoë, et directeur de la stratégie du groupe LVMH. Cette double casquette éclaire les conditions de la construction de la fondation et de l’obtention des accords nécessaires. Mais il n’est pas tout seul. Une société baptisée Le Jardin d’Acclimatation est aujourd’hui dirigée par Marc-Antoine Jamet qui en est le directeur général et le président du conseil d’administration. Cet ancien énarque, fils du journaliste Dominique Jamet, qui fut le directeur de cabinet d’Henri Emmanuelli et de Laurent Fabius, est aujourd’hui à la fois secrétaire général du groupe LVMH et élu local du Parti socialiste, en sa qualité de maire de la commune de Val-de-Reuil et de conseiller régional.
« La fondation Vuitton est un emblème très important pour Bernard Arnault de son passage sur cette terre »
Le projet a mobilisé contre lui des associations de quartier. Que lui reprochaient-elles ?
Michel Pinçon. La construction de cette fondation a été possible grâce à un nœud oligarchique. Mais elle s’est heurtée aux riverains qui se sont battus pour empêcher ce projet d’aboutir. Ils trouvaient le bâtiment beaucoup trop visible et, surtout, ils étaient ennuyés que, dans cette partie du Bois toujours très bien fréquentée, fassent chaque jour irruption des centaines de voitures et des milliers de visiteurs. Ce qui faisait peur aux différentes associations de sauvegarde du Bois de Boulogne, ce n’était pas l’œuvre d’art extraordinaire de l’architecte Frank Gehry mais le fait qu’elle soit ouverte au tout-venant. Si la fondation Louis-Vuitton avait été réservée à la classe dominante en n’acceptant comme visiteurs que des invités choisis par cooptation, tous ces recours contre les permis de construire n’auraient sans doute pas existé.
Vous décrivez bien dans vos livres la force de frappe de ce type d’associations. Comment ont-elles été mises en échec ?
Michel Pinçon. Certains permis ont été cassés et les travaux arrêtés en raison d’un sursis à exécution. Mais l’oligarchie a toujours les moyens de parvenir à ses fins, de manière légale ou non. Le mardi 15 février 2011, à 22h30, alors qu’il ne reste plus que trente députés présents en cette heure tardive, un cavalier législatif est glissé dans un projet de loi sur le prix du livre numérique qui n’a rien à voir avec le Bois de Boulogne. Cet amendement sur-mesure de quatre lignes, voté par les élus de l’UMP et du PS, a permis aux travaux de reprendre. Sans la vigilance oligarchique de journalistes d’investigation, de sociologues et de politiciens critiques, il serait passé aperçu. Cette mobilisation politique s’est appuyée, dans sa justification, sur un précédent, François Pinault ayant subi des recours contre son permis de construire sur l’île Seguin, si bien qu’il a finalement renoncé à y installer son musée au profit de Venise.
De quoi cette fondation est-elle le nom ?
Monique Pinçon-Charlot. La fondation Vuitton est un emblème très important pour Bernard Arnault de son passage sur cette terre. Ce n’était pas un petit combat ! Mais elle est aussi un symbole de la mondialisation avec laquelle il est en phase. Aucun ingrédient ne manque à l’appel : un homme qui est la première fortune de France ; un secteur, celui du luxe, qui est le seul à être en pointe absolue au monde ; les beaux quartiers ; un musée d’art contemporain. Toute l’idée de la classe dominante de type néolibérale est objectivée dans ce musée.
il n’y a qu’une vrai revolution(revolte du peuple)qui peut changer ce monde pourri !!!en attendant vive la 6emme republique et vite
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