L’été est revenu sur la place de la République, à Paris. L’occasion pour les "Nuitdeboutistes" de montrer qu’ils ne l’ont jamais quittée. Ce vendredi 8 juillet, le mouvement célèbre sa naissance et ses cent jours d’occupation. David L., membre de la commission écologie, prépare le stand qui accueillera un débat sur les LowTech (les basses technologies), puis la projection d’un reportage sur Notre-Dame-des-Landes. Dans un coin, le four solaire construit pendant trois mois par la commission attend d’être assemblé.
« Il y a toujours du monde, même si ce n’est pas visible de l’extérieur », explique David, qui a rejoint le mouvement dès ses débuts, fin mars. « Je ne sais pas si le mouvement continuera cet été, mais s’il est toujours là en septembre, je reviendrai », affirme-t-il. Selon Gazette Debout, le journal de Nuit debout, la déclaration quotidienne d’occupation en préfecture n’est plus assurée depuis le 12 juillet. Cependant, la place de la République devrait continuer à s’animer tout au long de l’été au rythme des événements organisés par les commissions encore actives. Une façon de perdurer sans épuiser des participants de moins en moins nombreux.
« Le premier mois, c’était l’euphorie. Le deuxième, c’est un peu retombé. Le troisième a été très dur », résume simplement Jules Ragueneau, membre de la commission logistique. Au bureau des modérateurs installés en face de la sortie du métro, Richie M’buaki, mobilisé à Nuit debout depuis le premier jour, regrette le manque d’agressivité du mouvement. « J’aurais préféré faire plus d’actions comme l’apéro chez Valls », explique-t-il.
« Se défaire des illusions »
Ce refus catégorique de négocier avec la violence a poussé le mouvement vers ses limites, selon l’historienne Sophie Wahnich, présente vendredi à République pour un débat sur le temps long en démocratie. « Une fois l’irénisme du mouvement perdu, l’imaginaire de Nuit debout est devenu précaire », analyse-t-elle. Fondée sur l’horizontalité, l’organisation du mouvement repose sur des imaginaires de fiction, selon cette spécialiste de la Révolution française. Sophie Wahnich ajoute, au sujet de la désorganisation du mouvement :
« Évidemment qu’il y a des gens qui se démènent pour que les choses soient en place le lendemain. Il ne faudrait pas que Nuit debout soit le lieu d’entretien d’une illusion ».
Pour autant, l’historienne refuse de parler d’échec : « Appeler cela un échec, c’est comme si l’investissement symbolique de l’espace démocratique pouvait être satisfait immédiatement ». Au contraire, elle explique que « la réussite est indéniable », parce qu’elle a « permis à des gens ordinaires de se sacrer peuple démocratique ». Participante ponctuelle du mouvement, Sophie Wahnich met en avant l’inventivité de Nuit debout. Sa réussite a aussi permis « en produisant un espace démocratique en continu » de « ne plus considérer les manifestations comme des simples journées d’actions discontinues, qui ne seraient que des témoignages », explique-t-elle. Avant de préciser « qu’une fois cela dit, tout reste à faire ».
« L’étape d’après »
Beaucoup de choses sont faites, à vrai dire. Nuit debout ne disparaît pas, mais s’adapte aux divers contextes de manière assez pragmatique. Les facteurs de la mutation sont parfois techniques : baisse de la fréquentation des AG, retour à la vie professionnelle et familiale, arrivée de l’été. Ils sont aussi politiques : l’exigence d’horizontalité démocratique fait que les désaccords sur le rythme d’occupation aboutissent à ce que chacun fasse comme bon lui semble. Aurélie, actrice emblématique des Nuits debout de la région toulousaine, ajoute que « le temps de l’indignation, de la simple critique, est révolu. Nous sommes désormais des gens qui veulent agir et construire concrètement ». Sans remettre en cause la phase initiale, elle envisage la nécessité d’en aborder une nouvelle :
« Même si c’était important symboliquement de se réapproprier l’espace public, je pense que l’on a été au bout de la forme de l’occupation quotidienne et de l’AG à thème libre dont, à force, on sort la tête farcie. »
Un constat que partage Leïla Chaibi, issue du groupe initiateur de l’occupation du 31 mars, pour qui « le mouvement n’est pas mort, mais passe à l’étape d’après ». Ainsi, si l’occupation permanente bat de l’aile, elle laisse place à une plus grande structuration du mouvement, forcément moins visible des médias et du public, alors tentés de proclamer sa mort imminente. Pourtant, ses membres actifs, bien que « moins nombreux depuis la mi-mai » selon Olivier de Nuit debout Paris [1], demeurent déterminés et agissent désormais loin des caméras.
Une logique de transformation
« Maintenant les choses sont moins visibles, mais se structurent davantage, confirme Aurélie. À Toulouse, les commissions travaillent en dehors de la place publique, même si elles rendent des comptes lors d’AG », dont les thématiques sont désormais clairement établies en avance. Se mettent aussi en place des actions innovantes « qui prennent de nouvelles formes », comme des coordinations régionales, ou des modes d’action originaux et parfois propres à chaque ville. L’été est contraignant par son rythme lent, mais permet de « se reposer » et de mettre en place des actions adaptées, comme la participation en tant qu’entité à des festivals, ou l’organisation d’universités d’été [2]. Aurélie se félicite de ces recompositions :
« Cela montre que Nuit debout n’est pas un phénomène statique, mais constitue au contraire un mouvement dynamique qui se redéfini en permanence. »
Olivier, qui souhaite pour sa part parvenir à de nouvelles formes d’occupation qui réagrègent des personnes extérieures au mouvement, appuie et va plus loin : « Les mutations ont démarré dès le début de Nuit debout, elles ne font aujourd’hui que se poursuivre ».
Pas encore l’heure du bilan
Même si elle pense que les occupations « pourraient bien reprendre en septembre », Leïla Chaibi juge « impossible voire présomptueux de pronostiquer la suite ». Elle pense qu’il est « trop tôt pour faire un bilan complet », et préfère insister sur les réussites du mouvement jusqu’ici. Elle rappelle le démarrage en trombe de Nuit debout, complètement imprévu pour ses initiateurs. « Des centaines voire des milliers de personnes ont convergé le 31 mars vers la place de la République, alors qu’on se serait satisfait de cent ou cent-cinquante ». Pour la militante, la « convergence des gens et la convergence des luttes », objectifs initiaux « complémentaires », lui semblent d’ores et déjà atteints :
« On a très vite su créer les conditions de notre dépassement par des jeunes qui n’avaient pour la plupart jamais mis les pieds dans une organisation politique, syndicale, ni même une manifestation. »
Même son de cloche chez Olivier, pour qui « l’impact de Nuit debout sur une partie de la société existe déjà ». Se projetant dans le futur, il pense que la survie du mouvement résidera dans « le dépassement de son incapacité à parvenir à des décisions collectives ». Ce qu’Aurélie juge possible, « car on a gagné en efficacité : on prend le temps, on a intégré la temporalité longue ». Une problématique du temps long qui gagne aussi Leïla Chaibi, pour qui « sans vouloir faire de copier-coller du cas espagnol, il faut se rappeler qu’entre les Indignés et Podemos, deux ans et demi se sont écoulés ».
Cette prise de recul générale fait justement écho à la thématique du "temps long en démocratie" développée le week-end dernier à Paris. On saura à moyen terme si toutes ces déclarations procèdent d’un excès d’optimisme ou de la conscience d’une force de mobilisation réelle et durable…