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Accueil > Société | Par Jérôme Latta | 15 septembre 2017

Paris 2024, le péril Jeux

Paris a remporté l’organisation de "ses" Jeux olympiques sans concurrence ni réel débat sur leur pertinence et leur coût final. Derrière l’enthousiasme unanimiste qui salue cette victoire ambiguë, bien des questions restent posées.

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La victoire a été saluée avec un unanimisme dont un des symptômes est l’alignement du discours médiatique sur le discours officiel. Ainsi de la une du Parisien (titrée "EUPHORISANT"), étonnamment semblable à la page de publicité, quelques pages plus loin, placée par le comité de candidature. Le lexique est à l’avenant : c’est celui de l’exaltation. « C’est tellement grand, tellement fort, tellement magique qu’on se pincerait presque pour y croire. D’ici là, la France aura tout le temps de prendre la mesure des conséquences de ce soir historique qui ouvre sur sept ans de bonheur », s’enflamme la journaliste du quotidien.


Il y entre une part de soulagement, voire un sentiment de revanche après les trois échecs précédents (1992, 2008, 2012), vécus comme des gifles et qui avaient donné lieu à des accès d’autodénigrement – notre véritable sport national, qui n’est malheureusement pas discipline olympique.

Une victoire par forfait

Le fait étant enfin accompli ("ENFIN", c’est la une de L’Équipe), on en oublierait presque que la désignation du lauréat, mercredi à Lima, ne revêtait aucun caractère de surprise, et que la "victoire" célébrée depuis est une victoire par forfait. Le seul suspens résiduel (réglé dès juillet dernier) portait en effet sur la répartition des olympiades de 2024 et 2028 entre Paris et Los Angeles, ultimes postulants. La capitale ne peut en réalité se prévaloir que d’avoir imposé sa préférence pour la première des deux années – laissant à la métropole californienne le loisir de négocier avec le CIO des conditions plus avantageuses…

Cette absence de concurrence souligne que Paris obtient les Jeux au moment où jamais l’organisation des grands événements sportifs n’a été aussi critiquée, et les institutions sportives internationales aussi discréditées. Le gigantisme de ces événements, leur mercantilisme, l’explosion systématique des coûts, le legs d’"éléphants blancs", les ardoises laissées aux collectivités, les exemptions fiscales exorbitantes ont alimenté la crise, approfondie par les affaires de corruption.

Cette crise a eu pour effet le plus significatif la raréfaction des candidatures. Pour l’édition 2024, cinq villes ont ainsi successivement renoncé. Boston en 2015, après la campagne menée par deux activistes qui sont parvenus à fédérer une large opposition citoyenne, contraignant le maire à retirer son dossier. Hambourg, à la suite d’un référendum la même année. Rome, par renoncement de la nouvelle municipalité en 2016. Budapest en début d’année, "victime" de la pétition du mouvement Momentum, qui a recueilli plus de 250.000 signatures. Et enfin Los Angeles… assuré de l’emporter pour 2028.

La communication plutôt que la consultation

Si la candidature parisienne a "tenu" jusqu’au bout, elle le doit d’abord à l’absence d’opposition constituée. Le sport et l’olympisme restent des objets consensuels, capables de fédérer par-delà les partis. Malgré quelques réserves, les élus communistes de la majorité municipale ont ainsi soutenu la candidature, laissant aux écologistes et à Danielle Simonnet (Parti de gauche, France insoumise) le rôle d’opposants. Par ailleurs, aucun mouvement significatif n’est parvenu à se former pour alerter et mobiliser médias et citoyens [1].

Ensuite, la démarche de Paris 2024 a soigneusement évité tout réel processus de consultation des citoyens et d’organisation d’un débat public. Au contraire, il s’est agi de mobiliser en priorité le "mouvement sportif", les élus et les partenaires institutionnels et industriels – toutes parties ayant intérêt aux JO –, et de s’adresser à la population au travers de campagnes de communication… dont les slogans certifiaient d’emblée son adhésion : "Paris veut les Jeux". « Tous les athlètes, tous les politiques, tous les Français soutiennent cette candidature », a certifié Anne Hidalgo.

Par la grâce d’une médiatisation très bienveillante [2], il ne restait plus aux sondages qu’à "mesurer" cette adhésion, aussi artificielle soit-elle. Qu’en aurait-il été si les échantillons enquêtés avaient pu bénéficier d’un exposé circonstancié sur les risques d’une telle organisation ? Quoi que l’on pense des bienfaits ou des travers des JO, cet escamotage du débat sur un enjeu aussi important est symptomatique de l’immaturité démocratique nationale.

Une chance pour la Seine-Saint-Denis ?

L’idée que les JO seraient une bonne chose pour le pays et sa capitale a donc pris la forme d’un postulat, voire d’un décret. Le principal axe critique, les dépassements de coûts presque systématiquement constatés lors des précédentes olympiades, est certes affaibli par le profil de la candidature. Paris 2024 prétend maîtriser son budget (moins de 7 milliards d’euros, contre 11 pour Londres 2012 – qui avait initialement budgété 4,8 – et 13 pour Tokyo 2020) en utilisant une majorité d’infrastructures existantes, ainsi que des sites non sportifs qui ont contribué au prestige de son dossier [3]. La charge pour les finances publiques ne serait que de 1,5 milliard d’euros, mais les dépassements seront pour leur compte. L’incertitude pèse notamment sur le poste de la sécurité.


Un argument majeur invoqué en faveur des JO parisiens porte sur l’opportunité qu’ils représentent, le "rôle moteur" qu’ils doivent jouer pour lancer ou accélérer de grands projets d’aménagement. La candidature parisienne peut ainsi se prévaloir de la priorité accordée à la Seine-Saint-Denis, dont le territoire va profiter de l’essentiel des nouveaux équipements avec la construction du centre nautique, du village des athlètes et du village des médias – qui doivent être ensuite convertis en logements.

Saint-Denis doit ainsi poursuivre une transformation qui avait jadis profité de l’impulsion de la Coupe du monde 1998, avec notamment l’aménagement à venir de l’île Saint-Denis et du quartier Pleyel qui accueillera la piscine olympique. La Courneuve, Saint-Ouen, Dugny et Le Bourget figurent également dans le périmètre. La région Île-de-France devrait pour sa part profiter de la construction dans les délais des quatre nouvelles lignes de métro du projet Grand Paris Express (hors budget d’organisation).

Des bénéfices incertains

Une interrogation subsiste cependant : pourquoi faut-il l’échéance d’un événement ne durant que trois semaines pour financer et mener à bien des projets d’utilité publique qui auraient coûté moins cher sans les dépenses spécifiques et les échéances imposées par les Jeux ? Pourquoi la volonté politique fait-elle défaut sans le prétexte olympique ? Il faut croire que d’autres motivations sont requises, c’est-à-dire d’autres intérêts.

Les multinationales "partenaires" (Accor, BNP Paribas, Bouygues, Vivendi, Engie, LVMH, Suez, Orange, JCDecaux…) peuvent ainsi fêter l’attribution sans réserve. Pour elles, les Jeux sont non seulement une occasion de décrocher des marchés et de faire de la communication, mais aussi de consolider leurs relations avec la haute administration.

Le bilan global, lui, s’établira plus tard, et pourrait contredire les promesses aujourd’hui prises pour argent comptant : inévitables dépassements de budget, restitution insuffisante des équipements à la population, spéculation immobilière, partenariats publics-privés au profit des entreprises et à la charge des collectivités, retombées économiques limitées… [4] Le bilan de Londres 2012, généralement présenté comme positif, est en réalité ambivalent : les quartiers rénovés ont été le théâtre d’une gentrification, le stade olympique a eu un coût très élevé pour les finances publiques, les emplois n’étaient pas durables.

Valeurs du sport et élan patriotique

Mais, à l’exemple de Londres et bientôt Tokyo, Paris escompte des bénéfices d’image, plus immatériels : la ville va pouvoir se mettre en scène à la fois comme métropole internationale et haut-lieu touristique en profitant d’une exposition mondiale. Ainsi promeut-on les grandes cités dans un contexte de concurrence planétaire.

La célébration de l’obtention des JO mobilise aussi bien les mythologies sportives que la fibre patriotique, à coup de superlatifs et d’emphase. C’est ainsi qu’une forme de récit national moderne est proclamé, faisant du sport et de ses valeurs les vecteurs d’une identité nationale idéale et inclusive. « Quand la France est ambitieuse, quand elle réunit toutes ses ressources, on peut accomplir de grandes choses », a affirmé Tony Estanguet, président du comité de candidature, saluant « une vraie victoire collective, une vraie unité de la France ».

Une nation a besoin de symboles et d’événements fédérateurs, comme cette « grande fête populaire » attendue des JO. Les symboles ne font cependant pas longtemps illusion dans une société où la réalité les contredit et où les promesses d’égalité et de justice ne sont pas tenues. Les lendemains cuisants de la Coupe du monde 1998, dernier grand moment de célébration d’une forme d’unité nationale autour du sport, sont là pour le rappeler.

Notes

[1Peut-être parce que le sport, malgré ses dérives, n’est pas un objet de mobilisation politique traditionnel au sein des mouvements sociaux et des milieux intellectuels, ou simplement parce que les priorités sociales et politiques sont ailleurs.

[3Pour les premières : Stade de France, vélodrome de Saint-Quentin, Zénith, Bercy, Roland-Garros, stade Pierre-de-Coubertin, etc. ; pour les seconds : tour Eiffel, Grand palais, Invalides, château de Versailles.

[4La "manne" présumée pour l’industrie touristique est ainsi contestée en raison des effets de substitution : les touristes venus pour les JO prennent la place des visiteurs que les JO dissuadent de venir.

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